Rhys Bowen

A l'école, on ne m'a rien enseigné d'utile, hormis à parler un français passable, à marcher avec un livre sur la tête, et à placer un évêque à table. Rien qui puisse inciter un employeur potentiel à m'embaucher.

L'on aurait pu croire que nous disputions une partie de ping-pong verbal. En vérité, j'étais rudement fière de moi. Lorsque j'avais fait sa connaissance, près de trois ans auparavant, elle m'intimidait davantage.

Cet homme est une catastrophe, et j'ai toujours trouvé dangereux les hommes de petite taille qui ont une trop haute opinion d'eux-mêmes.

Pour ma part, je me moque de savoir si vous êtes le Saint-Père en personne. Un meurtre est un meurtre, et la justice doit être rendue, que ce soit dans les ruelles de Naples ou dans un palais comme celui-ci.

Tandis que je tâchais de ne pas la manger trop goulûment, je levai les yeux et vis la dernière personne que je m'attendais à rencontrer : une ravissante petite dame aux boucles d'un blond platine sous une toque écarlate. Elle portait un pantalon de lin de même couleur et une veste bleu roi. Aucune femme n'aurait pu se permettre de s'afficher dans une tenue pareille, excepté ma mère.
En temps normal, je n'aurais été guère enchantée de la voir. C'était la personne la plus égocentrique du monde et elle ne s'était que très rarement souciée de moi, sa fille unique, depuis qu'elle m'avait abandonnée, âgée de deux ans. Mais, ce jour-là, je la considérai comme un ange tombé du ciel.

- Que projetez-vous de faire ? lança la voix coupante de Fig, qui venait d'apparaître derrière nous.
- De confier à Georgie une clé de la maison.
- Vraiment ? Afin qu'elle puisse aller et venir à sa guise ?
- Je ne vois pas ce qui vous pose problème.
- C'est parce que vous ne réfléchissez pas, Binky, répliqua-t-elle avant de lui lancer un coup d'œil entendu — le genre de coup d'œil que des parents échangent lorsqu'ils ne veulent pas en dire davantage en présence de leurs enfants.
J'en avais plus qu'assez de ma belle-sœur.
- Franchement, Fig, que diable allez-vous imaginer ? Que j'organiserai des orgies à même le parquet du salon dès que vous aurez le dos tourné ? Ou pensez-vous vraiment que j'entrerai en douce pour subtiliser vos cuillers en argent afin de les vendre ou pour voler votre précieux charbon ? Ou peut-être, pire encore, pour me servir en thé à la cuisine ?
- Vous dépassez les bornes, Georgiana. Réprimandez-la, Binky. Elle insulte votre épouse, précisa-t-elle en le fusillant du regard.
Mon frère s'empourpra.
- Nom d'un chien, Fig, votre conduite n'est pas acceptable, vous savez. Cette maison est autant la sienne que la nôtre. Il se trouve que j'en ai hérité parce que je suis un homme, mais cette résidence appartient à la famille Rannoch, et Georgie est libre d'y aller et venir comme bon lui semble. En outre, je suis ici chez moi, et Georgie est ma sœur. Il est donc grand temps que vous essayiez de vous entendre avec elle. Après tout, je fais de gros efforts pour tolérer votre famille si déprimante.
- Ma famille, déprimante ? répliqua-t-elle d'une voix si tranchante qu'elle aurait pu tailler du verre.
À ma grande stupeur, Binky ne se démonta pas.
- Allons donc ! Reconnaissez que votre sœur et votre beau-frère sont des plus assommants. Et pourtant, vu que je suis un type facile à vivre, j'ai accepté de passer tout un hiver enfermé avec eux. Par conséquent, si vous tenez à ce que nous allions en France, vous feriez mieux d'apprendre à vous montrer un peu plus aimable avec ma sœur. Sinon, c'en est terminé des voyages.
Un silence abasourdi retomba sur le vestibule. Je dus m'abstenir d'applaudir. Le visage de Binky était maintenant cramoisi, mais il me décocha un grand sourire. C'était, devinai-je, la première fois qu'il tenait ainsi tête à son épouse.

Je sentis une bulle de bonheur se former en moi.

Je suivais la conversation tout en songeant qu'en Irlande les choses se passaient plus ou moins de la même manière qu'en Angleterre. L'on fréquentait les écoles privées qui convenaient. L'on pratiquait des sports collectifs. L'on décrétait alors que vous étiez un type bien. L'on appartenait à la même espèce. À la même classe sociale. En conséquence de quoi tout se déroulait sans heurt, et il était possible de s'entraider.

Oh, comme c'est palpitant! J'ai l'impression d'être Hercule Poirot. Nous allons traquer l'assassin et le forcer à passer aux aveux. Nous convoquerons toutes les personnes concernées, nous les ferons asseoir en cercle et nous dirons : « Nous vous avons réunies ici afin de révéler le nom du meurtrier. »

Il faisait bon dans ma chambre et, si un fantôme me rendit visite pendant la nuit, il ne me dérangea point.

Georgie, ma chérie, dit Darcy en m'enlaçant. Je ne voulais pas vous voir mêlée à cette affaire sordide, mais maintenant que vous êtes ici, j'en suis diablement heureux.

De surcroît, je crains qu'il ne soit comme le Darcy d'Orgueil et Préjugés, mon homonyme, lequel affirme que son « estime une fois perdue est perdue pour toujours ».

— Où est-ce que vous allez, comme ça ? demanda Mme Tombs qui, chose troublante, apparaissait dans le vestibule chaque fois que je m’y aventurais. Vous retournez faire des emplettes ?
— Non, je vais prendre le thé avec la reine.
— Oh, ça va, à d’autres. Me racontez pas de blagues ! pouffa-t-elle.
— C’est pourtant la vérité.
— Pourquoi est-ce qu’elle voudrait prendre le thé avec vous, hein ? dit-elle d’une voix des plus sarcastiques.
— Parce que je suis sa cousine et que je suis souvent invitée au palais.
— Merde alors ! s’exclama-t-elle en portant la main à son front. Dire que j’en savais rien. Vous m’rappeliez quelqu’un, c’est vrai. Attendez un peu que j’raconte à la cuisinière d’à côté que j’ai reçu un membre d’la famille royale.

Darcy était ridiculement beau dans un smoking blanc, ses boucles sombres indisciplinées pour une fois domptées.

-Votre fiancé n’est pas là ?
-Il est rentré à Londres. C’est une question de bienséance, voyez-vous.
L’inspecteur s’esclaffa.
-Naturellement. Héberger une bande de voleurs dans votre maison ne pose pas de problème, tant que personne n’y batifole!

Comment t'y prends-tu ? m'enquis-je.

- Pour faire quoi ?
- Pour avoir autant d'emprise sur les hommes. Ils te voient et se transforment aussitôt en imbéciles bredouillants. Même Plunkett s'est empourpré.
- Je suppose que c'est un don, répondit-elle en feuilletant négligemment son journal. Il faut être née avec et toi, malheureusement, tu tiens trop de la famille de ton père, où le mot

Je n'ai pour ma part aucun pouvoir. J'inaugure des hôpitaux, je visite des usines et je dis à mes sujets qu'ils s'en tirent admirablement bien. Dans les grandes occasions, je traverse Londres en carosse avec mes parents [ le roi et la reine ] et les gens m'acclament. Au mieux, je suis un pantin.

- Il est allé marcher sous la pluie, il me semble, comme vous. Il attache beaucoup de prix à sa forme physique. Notre Führer nous encourage à entretenir un corps sain.
Je lançai un coup d'oeil à son ventre plutôt bedonnant et gardai le silence.

Lorsqu'on est reine, c'est à temps plein.

Je pouvais voyager sans femme de chambre, supposai-je. Quantité de femmes modernes le faisaient.