Citations de Robert Badinter (262)
Un cabinet ministériel, c'est une équipe de football. Soudée par l'amitié, consciente des enjeux collectifs, elle peut accomplir de grandes choses et marquer bien des buts. Qu'elle soit rongée par des rivalités personnelles, que le souci des carrières l'emporte sur l'esprit d'équipe, et son efficacité s'altère ou disparaît.
Le moment était venu du grand départ, celui dont on ne revient que comme un étranger à ces lieux qui furent familiers, à ces amis qui furent proches, à une vie qui fut la vôtre. Bref , partir sans esprit de retour, sauf comme un visiteur de son passé.
Parfois, je me suis interrogé sur la foi d'Idiss. Quel sentiment l'animait lorsqu'elle priait ainsi, en ces temps d'épreuves ? Enfant, à l'école de la petite synagogue bessarabienne, elle avait jadis appris les rudiments de la religion juive. Elle avait été élevée dans ses pratiques et avait vécu selon ses rites. Avait-elle cependant conservé une foi inaltérable dans la bonté et la justice divine ? En ces jours du printemps 1940, elle suppliait l'Eternel tout puissant de secourir son peuple et de protéger sa famille. Mais le soleil brillait de l'aube au coucher sur le triomphe de l'armée allemande. Et le silence de l'Eternel était accablant.
Il n’y a rien, dans ma vie professionnelle, que je n’aie autant aimé qu’un grand procès d’assises. Parce qu’on connaît les rites, les personnages, la matière du drame, mais qu’on ignore l’essentiel : le dénouement. Parce qu’à travers ces procédures minutieusement réglées, l’imprévisible peut à tout moment surgir.
J’évoquai les limites de la connaissance psychiatrique, l’incertitude des experts. Nul ne savait réellement qui était ce jeune homme. Pas plus eux, ses juges, que les experts. Mais c’était à eux qu’on demandait de le tuer. C’était donc cela, la peine de mort : ce sacrifice judiciaire dans les ténèbres de l’ignorance.
Une loi de 1978, votée à l'unanimité, avait décidé que, dorénavant, les jurés seraient désignés par simple tirage au sort sur les listes électorales. Les principes démocratiques s'en trouvaient mieux respectés. Mais la sévérité accrue des verdicts témoignait de ce que le sentiment populaire n'était nullement porté à la mansuétude envers les criminels, fussent-ils d'origine modeste ou socialement défavorisés.
Le procureur avait fait citer son épouse. Elle était, comme lui, effacée, résignée : "Il était doux, attentionné, il ne fumait pas, il ne buvait pas." Elle parlait de Garceau à l'imparfait, comme d'un mort.
Aujourd'hui, ayant franchi son âge, je rêve à son passé qui est un peu le mien. Il m'émeut, mais j'en souris aussi, comme si un conteur d'histoires était assis devant moi et évoquait le destin de ma grand-mère, dans sa langue dont les accents ont bercé mon enfance.
Je savais à présent que la justice pouvait tuer. Je l’avais vue à l’œuvre. J’avais été incapable de l’empêcher. Cette pensée-là, j’en étais comme possédé. L’angoisse de mort de la nuit précédente, refoulée par les habitudes et les contraintes du jour, m’envahissait de nouveau dans ce train qui roulait dans la nuit.
Souvent, je me suis interrogé : que pensait-il lorsque, à Drancy, en mars 1943, il montait dans le train qui le conduirait au camp d’extermination de Sobibor, en Pologne ? Arrêté à Lyon par Klaus Barbie, et déporté sur son ordre, c’était aux nazis qu’il devait sa fin atroce, à quarante-huit ans. Mais au camp de Pithiviers ou de Drancy, qui le gardait, sinon des gardes mobiles français ? Tel que je l’ai connu, aimant si profondément la France, a-t-il conservé jusqu’au bout sa foi en elle ? On ne fait pas parler les morts. Mais cette question-là, si cruelle, n’a jamais cessé de me hanter.
Le lien entre dictature et peine de mort est constant. Tout simplement parce que le chef du parti au pouvoir veut montrer qu'il a le droit de vie et de mort sur ses concitoyens.
Il était l'exemple vivant, réalisé, de ce que devrait accomplir un système judiciaire visant à ramener le délinquant, le criminel, dans la communauté, non à l'en écarter, à l'en isoler comme un chien malade.
(Hiver 1941)
Au cœur de l'enseignement public demeurait inscrit le principe de laïcité. Faire état de la religion d'un élève, fut il juif, était un manquement à la tradition laïque qui, pour la plupart des enseignants, avait fait la grandeur de l'école publique.
Adieu Idiss, adieu l'enfance. C'était la guerre, l'Occupation.
Je savais que ses jours étaient comptés. Sa vie allait s'achever et je ne la reverrais jamais. Cette pensée, je la repoussais de toutes mes forces. Mais elle était la vérité.
On ne fait pas parler les morts.
Ainsi dans les catastrophes y a-t-il des moments de répit.
Un bon fils est un trésor, dit le proverbe.
Les prières des grands-mères ont parfois des pouvoirs que l'on ne mesure pas.
Quand je pense à mon enfance, inévitablement, irrésistiblement, je pense à ma grand-mère.