Citations de Roger Vailland (89)
Ce n’est pas si simple. Il est resté rouge, comme on dit ici… Il lui arrive encore de venir boire un verre à L’Aube sociale, les gars lui disent en riant : « Vieux renégat… toi, tu as « fait ta révolution tout seul. » Il se rengorge, parce qu’il est fier d’avoir été plus fort que les autres. Mais il dit : « Mon vieux cœur continue « de battre avec vous… », et cela aussi est sans doute vrai…
L'agronome a une voiture. Bon. Sur les routes du Sud, il lui est sans doute maintes fois arrivé d'être obligé de freiner à bloc, pour éviter un cycliste qui tourne brusquement sur sa gauche. Oui. Comment fait le cycliste ? Il tend le bras et tourne aussitôt à gauche, même si au même instant une voiture arrive à cent à l'heure derrière lui. Pourquoi ? Parce que c'est son droit. Il a tendu le bras, comme l'exige la loi; donc il a le droit de tourner. Il ne se demande pas si le chauffeur de la voiture qui arrive derrière lui aura la possibilité de freiner à temps. Cela regarde le chauffeur. Lui, puisqu'il a le droit de tourner, son honneur l'oblige a tourner, même s'il doit y perdre la vie. S'il cédait au chauffeur, alors que la loi lui donne priorité sur le chauffeur, alors qu'il a droit sur le chauffeur, il perdrait son honneur auquel il tient plus qu'à la vie.
Assise sur les sacs, elle est en train d'échauder des projets. La réflexion lui plisse le front. Elle a joué avec des fétus de paille, les a brisés, dans la tension de sa pensée, et les brins sont tombés sur ses geniux; elle les manoeuvre maintenant comme les pièces d'un échiquier, les déplaçant sur ses genoux, personnages imaginaires, symboles d'obstacles et d'aides. Elle combien un plan à longue échéance, utilisant les brins de paille, ciomme un comptable son boulier.
« Vous chuchotez trop souvent.
Affaires de femmes…
(…)
Nous sommes comme les boys. Nous avons des secrets qui ne concernent pas les blancs. »
« Toutes les femmes de Bionnas connaissent ce délire rationnel, caractéristique de l’état intermédiaire entre la veille et le sommeil provoqué par le travail prolongé aux presses. Elle avait envie de lui dire « tais-toi », et peut-être de la cajoler jusqu’à ce qu’il s’endorme complètement. Elle ne le faisait pas, respectant son amour-propre d’homme. »
A son idée, aucun travail n'est par lui même "infernal" ; on arrive toujours à apprivoiser son travail ; il y suffit d'un peu ou de beaucoup de réflexion ; si Beau Masque avait été Sisyphe, il aurait inventé une machine pour remonter automatiquement son rocher. Mais ce qui demande une énergie surhumaine, c'est de lutter avec les hommes.
l'athlète sent la matière comme un poids qui freine la performance : pour que l'athlète soit en forme, il faut que la graisse, la lymphe, tout ce qui l'alourdit, se soit transformé en nerfs et en muscles, que la matière soit devenue forme. L'athlète parfait s'imagine flamme se consumant dans la performance sans laisser de cendres.
Voilà à quoi il pense, en attendant que le voyant s'allume. Chaque seconde que bat la grande aiguille de l'horloge de l'atelier est ôtée à son délai de vie. C'est plus angoissant que de voir couler son sang.
Il hâtera le pas la dépassera et marchera un moment devant elle,pour qu'elle ait le temps de s'apercevoir qu'il n'est pas habillé comme un ouvrier.Elle devinera, à l'étroitesse de ses pantalons,qu'il est étudiant. Il est probable que les étudiants ont du prestige aux yeux des ouvrières. (Buchet-Chastel, 1977,p.67)
....Les grandes écoles ou l'administration, les parents d'aujourd'hui ne pensent plus qu'à procurer à leurs enfants des boutons de mandarin.( Buchet-Chastel 1977,p.79)
Il va prendre l'apéritif sur le zinc,dans un bistrot d'ouvriers,comme si c'était la chose la plus naturelle. Il va enfin "faire comme tout le monde".Son oncle et sa tante partagent le sort commun et se conforment sans scrupule à la vieille règle qui exige qu'avant déjeuner on aille prendre l'apéritif sur le zinc.Cette fois, il commandera sans hésiter un Pernod.Son oncle ne lit pas la Somme de Saint Thomas d'Aquin comme son père, sa tante n'habite pas une maison particulière comme sa mère ; mais ils n'ont pas perdu le droit de savoir parler aux autres hommes. (Buchet-Chastel, 1977,p.80)
Les rois disaient - nous voulons-,pour bien nous faire comprendre qu'ils voulaient à notre place ;le peuple n'avait pas le droit de vouloir ;le peuple n'avait qu'à se taire. (Buchet-Chastel ,1977,p.21)
- Quand on me confie un nouveau client, je commence par me faire raconter sa vie. J'écoute. Chaque humain joue son petit air, de jour en jour, d'année en année. J'écoute et je note les dissonances. Mais, dans une vie d'homme, il n'y a pas de véritables dissonances. Je pars du principe que les dissonances apparentes sont les fragments discontinus d'un contrepoint qui m'échappe, ou qu'on me cache. Alors, je me joue l'air de mon client, j'essaie des contrepoints, je tâtonne ; c'est là que l'artiste intervient. Quand j'ai trouvé le contrepoint qui rend leur sens à toutes les dissonances, je sais tout ce que je veux savoir du passé et du présent de mon client. Je peux même prédire son avenir : je n'ai qu'à continuer à jouer dans le ton.
Mais il fut heureux de voir son ami ferme devant la mort. Ce n'est qu'au point final qu'on peut être tout à fait rassuré sur la qualité d'un homme.
page 276
Dans la marine, les hommes de la classe du commissaire Attilio font des plans, donnent des ordres. Les sous-officiers exécutent (en se servant des matelots, comme la main de l'outil). Le bourreau aussi exécute. Ce n'est pas gratuitement qu'on emploie le même mot.
page 206
Il abandonne sa tête sous la caresse légère de la main de Lucrezia, contre la chaleur de son ventre. Il sent se dénouer tout le malheur qui est en lui.
page 172
Il est absurde de mourir pour quelque chose, laquelle chose, pour moi est abolie dans l'instant même ou l'on meurt; mais on ne vit pas intégralement, on ne s"éprouve pas, on ne se trempe pas, on ne se fait pas, on ne mûrit pas, on n'écrit pas sa propre histoire, on ne devient pas souverain, si on ne se prouve pas dans un certain nombre de circonstances qu'on est capable de mourir pour quelque chose.
J'aime la désinvolture des riches. je n'aime pas le contentement des riches.
Elle sortait beaucoup, mais, dans les bars, elle commandait du lait cru. C’est une forte nature. Il faut beaucoup de vigueur et d’amour de la vie pour, sans boire d’alcool, prendre quand même plaisir à fréquenter les bars.
Lever, détacher, baisser, trancher, séparer, jeter...