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Citations de Roland Dorgelès (178)


Ce n'est pourtant pas faute de contrôle. Ces vastes immeubles en construction : des bureaux. Ces palais désaffectés : des bureaux. La moitié de la Russie regarde travailler l'autre en faisant des additions. Avoir pris pour emblème le marteau et la faucille, ce n'est pas suffisant. Il faudrait ajouter un immense porte-plume. C'est même lui qui compte le plus.
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Maintenant, nous savourons la moindre joie, ainsi qu'un dessert dont on est privé. Le bonheur est partout : c'est le gourbi où il ne pleut pas, une soupe bien chaude, la litière de paille sale où l'on se couche, l'histoire drôle qu'un copain raconte, une nuit sans corvée...Le bonheur? mais cela tient dans les deux pages d'un lettre de chez soi, dans un fond de quart de rhum. Pareil aux enfants pauvres, qui se construisent des palais avec des bouts de planche, le soldat fait du bonheur avec tout ce qui traine.
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[Un an après l’armistice. Dans la guerre, Madame Delbos y a perdu son fils unique, André. Depuis de longs mois, elle recherche son corps. En vain. Tout à l’heure, accompagnée de Jacques, elle a cru qu’elle le retrouverait dans cette fosse. Mais le cadavre n’était que celui d’un vulgaire homonyme. Misérable, désespérée, n’ayant rien qui la rattache au monde hormis le fol espoir de retrouver la dépouille de son fils, elle pleure. Jacques, ancien combattant lui aussi hanté par le fantôme d’André, tente de la consoler.]

- Vous pouvez être fière de lui. Il est mort en faisant son devoir...
Alors, le corps affalé se redressa à demi et la vieille mère articula :
- Non... Ne dites pas ça... J’aurais donné la France, moi, pour que mon garçon revienne !...
Jacques se tut, décontenancé. Il regardait cette pauvre tête pitoyable où la capote noire avait glissé, et il imagina André, penché comme lui sur la maman en larmes.
Que penserait-il, s’il revenait ?... Maintenant, la fièvre héroïque est tombée, le mâle orgueil du risque ne soulève plus les hommes, les canons tonnant se sont tus, et l’esprit apaisé a retrouvé ses doutes.
Où est le devoir ?... Des multitudes inconnues ont changé de patrie, on a tracé d’autres traits sur la carte du monde, mais il reste un père, une mère sans soutien, qui, un soir, accablés, le ventre vide, ouvriront le gaz ou allumeront le réchaud, pour que leur sommeil soit enfin le dernier.
Qu’est-ce, après tout, que le devoir ?... N’est-ce pas une tromperie magnifique que l’âme invente pour mener le corps où il ne veut pas ?
Et puis, l’autre devoir, le devoir sacré d’élever des petits ou de soutenir des vieux, qui le remplira désormais pour celui qui n’est plus là ?
On hésite... On ne sait plus... Est-ce dans l’exaltation ou dans le recueillement que le cœur a raison ?
Un poteau frontière qu’on déplace empêchera-t-il une seule mère de pleurer ? Quelles consolations trouverait-il à dire, le mort casqué, s’il poussait soudain la porte de la baraque ?
Personne ne parlait plus... La pluie s’était remise à crépiter, chassée par le grand vent, et, dans le sanglot de l’orage, le sanglot de la vieille ne s’entendait plus.
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Pour quelques fosses retrouvées, combien d'inconnus resteraient pour toujours oubliés dans les champs ! Ne devraient-ils pas s'agiter, sous leur couvercle de terre, comme dans ces rêves où l'on se tord, paralysé, sans pouvoir arracher un son à sa gorge. Ne voulaient-ils pas crier, arc-boutés sur leurs pauvres mains grises :
- Ici, les camarades, ici, ne me laissez pas !
Mais les vivants passaient, n'ayant rien entendu...
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J'ai retrouvé la ferme telle que nous l'avions laissée dimanche, avant l'attaque. On croirait que les quatre compagnies viennent à peine de franchir l'herbage, montant aux tranchées, et le gros chien qui gambade semble courir après un traînard. Rien n'a bougé.
C'est là, par ce chemin de boue gercée, que nous sommes partis. Combien sont revenus? Oh! non, ne comptons pas...
Je rentre dans la grande salle, tout embaumée de soupe, et m'assieds près de la fenêtre, sur ma chaise. Voici mon bol, mes sabots, mon petit flacon d'encre. Cela semble si bon de retrouver ces choses à soi, ces riens amis qu'on aurait pu ne jamais revoir.
Mon bonheur m'attendait; la vie continue, avec de nouveaux délais d'espoir. Une sorte d'âpre joie sourd en mon coeur. Je vois le soleil, moi, j'entends l'eau qui chante, moi; et mon coeur est tranquille, lui qui a tant battu.
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Il en faut de la force pour tuer un homme ; il en faut de la souffrance pour abattre un homme.
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Il a fallu la guerre pour nous apprendre que nous étions heureux
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Devant moi, un homme blessé laissa tomber son fusil. Je le vis vaciller un instant sur place puis, lourdement, il repartit les bras ballants, et courut avec nous, sans comprendre qu'il était déjà mort. Il fit quelques mètres en titubant et roula
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Faire la guerre n'est plus que cela : attendre. Attendre. la relève, attendre les lettres, attendre la soupe, attendre le jour, attendre la mort... Et tout cela arrive, à son heure : il suffit d'attendre...
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- Quoi ? La parade maintenant ? Ils ne se foutent pas de nous ? On n'est pas assez crevés comme ça ?
- Non, le général veut compter ceux qu'il n'a pas fait tuer...
[...]
- Faire une revue après ce qu'on vient de se tasser, il faut avoir du crime approuvait posément Lemoine.
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- Oui, il fallu connaître la misère, approuve Gilbert. Avant nous ne savions pas, nous étions des ingrats...
Maintenant, nous savourons la moindre joie, ainsi qu'un dessert dont on est privé. Le bonheur est partout : c'est le gourbi où il ne pleut pas, une soupe bien chaude, la litière de paille sale où l'on se couche, l'histoire drôle qu'un copain raconte, une nuit sans corvée... Le bonheur ? mais cela tient dans les deux pages d'une lettre de chez soi, dans un fond de quart de rhum. Pareil aux enfants pauvres, qui se construisent des palais avec des bouts de planche, le soldat fait du bonheur avec tout ce qui traîne.
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Dans le premier élan, nous enlevâmes deux lignes de tranchées, mais sur la position de repli le combat devint atroce. Les rafales de mitrailleuses et les salves de 105 faisaient de tels ravages qu'il fallut se blottir dans un boyau allemand. Seul, Boucard voulut se nicher à son idée et préféra un entonnoir, qu'il jugeait mieux garanti. La nuit s'écoula, mouvementée, et quand l'aube parut, nous aperçûmes ce pauvre sourcier inerte dans son trou, la tête fracassée.
- Pauvre gars, soupira Lousteau. Je l'avais bien dit qu'on avait tord de lui refiler une capote neuve.
Et ce fut là toute l'oraison funèbre de Boucard, le braconnier, que j'ai laissé quelque part en Artois, sur la terre à personne où les ronces sont de fer rouillé et les terriers creusés à coups d'obus.
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« Le chef souverain ce n’est déjà plus le Gouverneur général dans son palais trop neuf d’Hanoi, ni l’empereur d’Annam (…) Le seul chef, c’est l’Argent.. Le symbole, ce n’est plus le Pinceau du lettré, c’est le fronton des banques. (…)
Est ce un bien, est ce un mal ? Mon jugement dépend souvent de la couleur du jour (…)
« Un bien, sans doute, puisque la brousse inculte va produire, que la montagne va livrer des richesses, que des canaux et des routes vont s’ouvrir. Un bien, puisque le monde entier a besoin de matières premières et que c’est l’unique excuse de la colonisation d’aller les chercher partout où elles se trouvent. Un bien, puisque ces capitaux, s’ils ne se plaçaient pas là fuiraient à l’étranger. Un bien, puisque sans cet argent on ne pourrait rien entreprendre et que le Chetty ou le prêteur chinois régneraient plus durement.
Mais c’est un mal aussi, un mal mortel, car ces accaparements, ces monopoles de fait vont augmenter autour de nous la somme des haines ; un mal parce que la France n’est pas allée conquérir ces terres lointaines pour le seul profit de cent gros porteurs de titres ; un mal parce que beaucoup de ces affaires, gonflées par les spéculateurs, sombreront dans un Krach ; un mal parce que l’indigène libéré par la France de la tyrannie des mandarins , tombe maintenant au pouvoir de ces tyrans nouveaux ; un mal parce que les petites misères font les grandes révoltes ; un mal, enfin, parce qu’il y a , de l’autre côté de la Muraille de Chine, quatre cent millions de Jaunes qui s’éveillent(…)
Si nos hommes d’Etat, nos Gouverneurs, cédant à la pression des profiteurs de la colonie, appliquent en Indochine une politique de force, s’ils refusent d’accorder à l’indigène des droits plus étendus, s’ils ne font rien pour augmenter son bien-être et le considèrent plus longtemps comme l’outil vivant uniquement chargé de les enrichir, la France, avant trente ans, aura perdu son plus bel empire. »
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Fagus se raidit sous l'outrage :
— Ce n'est pas vrai ! Je me rinçais la bouche avant d'entrer au café !
Maintenu en belle humeur par la purée « septembrale » chère à l'autre « Maître François » il allait le nez en l'air, souriant aux nuages. Mais le Paris encombré n’aime pas les rêveurs et comme il regagnait son modeste logis, il ne prit pas garde à un camion qui fonçait. On l’a ramassé, broyé, dans les ailes rougies de sa pèlerine. Comme un oiseau abattu en plein vol.
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Peut-on, avec de simples mots, ressusciter les morts ? Je l'ai souvent tenté et je le tente encore. C'est pour les arracher un instant à l'oubli que je crie les noms de Franconi, de Drouard, de Gaston Coûté, de Depaquit, comme on appelle des enfants égarés dans la nuit. Je les revois sous les traits du bel âge et nous reprenons gaiement nos entretiens là où le sort les a interrompus.
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Tu copies de la viande, tu contrefais de la vaisselle, tu mets ta signature sous des bottes de radis. Voilà ce que tu appelles peindre. Une œuvre d’art ne doit pas se lire comme une image de calendrier. Dès que tu comprends, c’est moins bien.
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On récitait pêle-mêle du Villon et du Verlaine, du Baudelaire et du Laforgue, et quand Barbenfeu réclamait du Lecomte de Lisle, le grelottant Hubert, pour lui faire plaisir, se mettait au piano, sans quitter ses mitaines ni sa toque de fourrure et improvisait un accompagnement.
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Un joli soleil pâle de la Saint-Martin. Sur le ciel d’un bleu tendre, les nuages étaient pareils à des flocons de shrapnells.
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Dieu ! que nous avons changé !...Les maigres sont maintenant gras, les hardis timorés, les pauvres sont devenus riches et les riches n'ont plus le sou...On reste même étonné devant la courbe fantaisiste de certaines existences. Les uns, qu'on imaginait triomphant, ont sombré dans l'oubli, tandis que d'autres, dont on n'attendait rien, sont devenus célèbres. Pourquoi ?...On ne sait pas...Le talent, c'est juste le travail obstiné. Mais aussi le hasard, les circonstances, la chance. Il semble que la vie s'est amusée à jeter des chausse-trapes en travers de certaines vocations. Que de faillites injustes, que d'avortements ! J'ai retrouvé un sculpteur de talent réduit à fabriquer des accessoires pour les Folies-Bergère, un rimeur devenu photographe, un peintre d'avenir pêcheur à la ligne, un humoriste patron d'auberge. Ce qui m'a consolé, c'est qu'aucun ne se plaignait.
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Ces souvenirs me reviennent pêle-mêle en tapotant sur le coin de ma table l'appel aux morts. Poulbot, Depaquit, Delaw, Laborde, Falké : de qui encore ai-je parlé ? Et combien de temps ces noms évoqueront-ils une présence humaine, une oeuvre, un visage ? De l'autre côté du fossé des deux guerres, les événements de tout un siècle se confondent et, aux yeux des jeunes gens, nous rejoignons les héros de Murger, les bohèmes de Nerval, les chicards de Gavarni. Ce qui, pour nous, est hier, pour eux est le temps jadis. Jamais je ne l'ai plus cruellement ressenti qu'en recevant, certain jour, la visite d'un jeune artiste qui se documentait sur la Butte d'autrefois pour illustrer l'un de mes livres. Sans se douter qu'il me vexait terriblement, car j'ai horreur qu'on ajoute à mon âge, il me demande si j'avais beaucoup fréquenté le Chat Noir - fermé l'année de ma première communion -, si j'avais dansé avec la Goulue, fréquenté les "maisons" avec Toulouse-lautrec, puis, mettant le comble à ses gentillesses :

- De votre temps, questionna-t-il, y avait-il de l'herbe dans les rues ?

Sur le moment, j'en ai perdu le souffle. Assurément, le cher garçon supposait que "de mon temps", les filles portaient la crinoline, les garçons le pantalon à sous-pieds, et que nous dansions le rigodon, le jour de la vendange, sur l'aire du Moulin de la Galette.

- De l'herbe, allais-je me récrier. De l'her...

Mais la protestation m'est restée dans la gorge. Je venais, dans un éclair, de revoir le Montmartre de ma jeunesse, et je me rappelais soudain qu'il y avait non seulement de l'herbe entre les pavés, mais de la menthe le long des talus, du mouron, de l'anis, du fraisier sauvage, du laceron au suc laiteux, du pissenlit pour les lapins. Mieux encore : on fauchait le foin devant le Sacré-Coeur, et nous aurions pu, ces soirs-là danser la bourrée au Lapin Agile, où Alathème jouait de la vielle.

Comment ne pas le regretter, ce village sans pareil ? Tout se transfigurait pour enchanter nos jeunes yeux. La nuit, dans les ruelles du maquis où les Italiens chantaient des barcaroles, nous pouvions nous croire en Sicile, et nous rêvions d'aventures lointaines en regardant scintiller les fanaux des frégates sur la mer brumeuse de Saint-Ouen. C'est pour tous ces souvenirs que je continue d'aimer mon cher quartier. On a nivelé les rues, coupé les arbres, abattu nos bicoques, pourtant j'y retourne quand même, et lorsque je m'assieds sous l'acacia de la rue des Saules, il me semble que rien n'a changé.
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