Citations de Romain Gary (5335)
Mais je tiens pas tellement à être heureux, je préfère encore la vie.
Le bonheur, c’est une belle ordure et une peau de vache et il faudrait lui apprendre à vivre.
Mais, ils n'avaient rien compris à mon amour. Ils avaient oublié de couper le cordon ombilical et je survécus. La volonté, la vitalité et le courage de ma mère continuaient à passer en moi et à me nourrir.
Rappelle-toi qu'il est beaucoup plus touchant de venir toi-même avec un petit bouquet à la main que d'en envoyer un grand par un livreur.
Il y avait 26 ans que ma mère vivait sans homme et, en partant, peut-être pour toujours, je tenais beaucoup plus à lui laisser l'image d'un homme que celle d'un fils.
Je passais mes dernières heures avec Lila. Le bonheur avait une présence presque audible, comme si l'ouïe, rompant avec les superficies sonores, pénétrait enfin aux profondeurs du silence, cachées jusque-là par la solitude. Nos instants de sommeil avaient cette tiédeur où l'on ne sait ce qui est rêveries et ce qui est corps, ce qui est nid et ce qui est ailes. Je sens encore sur ma poitrine son profil dont l'empreinte est sans doute invisible mais que mes doigts retrouvent fidèlement aux heures lourdes de ce malentendu physique qui n'a qu'un seul corps.
Ma mémoire saisissait chaque instant, le mettait de côté ; c'est ce qu'on appelle chez nous le bas de laine, il y avait là de quoi me durer toute une vie.
Et je ne vous dis pas que l'on ne peut pas vivre sans amour : on peut, et c'est même ce qu'il y a de si
dégueulasse.
fraîcheur et feu, on est deux, et chacun est terre, et chacun est soleil.
Je n'avais pas la moindre chance de m'en tirer seul et la raison était bien simple : j'avais trop aimé pour être encore capable de vivre de moi-même. C'était une impossibilité absolue, organique : tout ce qui faisait de moi un homme était chez une femme.
Je ne crois pas aux pressentiments, mais il y a longtemps que j'ai perdu foi en mes incroyances.
Je descendais du taxi et la heurtai, avec ses
paquets, en ouvrant la portière : pain, œufs, lait
se répandirent sur le trottoir – et c'est ainsi que
nous nous sommes rencontrés, sous la petite pluie
fine qui s'ennuyait.
J’emploie souvent des expressions dont j’ignore prudemment le sens, parce que là, au moins, il y a de l’espoir. Quand on ne comprend pas, il y a peut-être possibilité. C’est philosophique, chez moi. Je recherche toujours dans l’environnement des expressions que je ne connais pas, parce que là au moins on peut croire que cela veut dire quelque chose d’autre.
La vérité, c’est qu’il y a une quantité incroyable de gouttes qui ne font pas déborder le vase.
Je sais également qu’il existe des amours réciproques, mais je ne prétends pas au luxe. Quelqu’un à aimer, c’est de première nécessité.
Mais avec deux ou trois francs d'argent de poche par jour, il est difficile de fréquenter, comme on dit dans le midi.
Le seul de mes maitres qui ne paraissait nullement inguiet de mes « prédispositions » était mon professeur de français, M. Pinder. Il ne parut fâché qu'une fois lorsque, récitant Les Conquistadors, dans mon désir de me surpasser, j'entrepris de dire le poène à l'envers, en commençant par le dernier vers. M. Pinder m'interrompit et me menaça du doigt.
- Mon petit Ludovic, je ne sais si tu te prépares ainsi à ce qui semble nous menacer tous, c'est-à-dire à une vie à l'envers, dans un monde à l'envers, mais je te demande au moins d'épargner la poésie.
Personne n'est jamais arrivé à résoudre cette contradiction qu'il y a à défendre un idéal humain en compagnie des hommes.
Je vais entrer ici dans le vif du sujet, sans autre forme de procès. L’Assistant, au Jardin d’Acclimatation, qui s’intéresse aux pythons, m’avait dit :
— Je vous encourage fermement à continuer, Cousin. Mettez tout cela par écrit, sans rien cacher, car rien n’est plus émouvant que l’expérience vécue et l’observation directe. Évitez surtout toute littérature, car le sujet en vaut la peine.
Il est possible que ce qu'on appelle civilisation consiste en un long effort pour tromper les hommes sur eux-mêmes.
- Alors, écoute-moi, Momo.Je ne veux pas aller à l'hôpital. Ils vont me torturer.
- Madame Rosa, ne dites pas de conneries. La France n'a jamais torturé personne, on est pas en Algérie, ici.
- Ils vont me faire vivre de force, Momo. C'est ce qu'ils font toujours à l'hôpital, ils ont des lois pour ça. Je ne veux pas vivre plus que c'est nécessaire et ce n'est plus nécessaire. Il y a une limite même pour les Juifs. Ils vont me faire subir des sévices pour m'empêcher de mourir, ils ont un truc qui s'appelle l'Ordre des médecins qui est exprès pour ça. Ils vous en font baver jusqu'au bout et ils ne veulent pas vous donner le droit de mourir, parce que ça fait des privilégiés.
[...] la domination américaine est là, et elle ne nous vient pas des États-Unis mais d'une acceptation d'un mode de vie qui exige la création de besoins de plus en plus artificiels pour faire tourner de plus en plus vite et avec de plus en plus d'ampleur la machine socio-industrielle. Le résultat, c'est un déchaînement matérialiste annihilateur de tout ce qui fut français depuis Montaigne... La France, c'était du fait à la main, à tous les points de vue, dans tous les domaines, patiemment, avec respect de la qualité et de l'œuvre. Il y avait un certain respect, une honnêteté dans les rapports des mains avec la vie, une certaine honnêteté intellectuelle... [...] des mains ridées, prudentes, qui avaient un rapport vrai, un rapport honnête avec ce qu'elles faisaient... La France, c'étaient des mains humaines, avec un vrai sens du toucher, du fond et de la forme, et qui avaient un peuple derrière elles - et pas seulement une démographie n'est-ce pas, M. Debré, M. Foyer ? "pour faire face à la Chine de l'an deux mille"... [...] Rétrograde? Mon vieux, ils me font marrer. Le plus grand progrès que l'humanité ait connu eut lieu lorsque le Moyen Age a découvert le passé : il a découvert l'Antiquité, la Grèce, et c'est ainsi qu'il s'est ouvert sur l'avenir... S'imaginer qu'en cinq mille ans d'œuvres aucune racine permanente n'a été plantée, c'est d'une rare imbécillité... Les mains françaises, c'était vraiment une civilisation, jusqu'à ce qu'il leur soit venu des poches. Maintenant, le pays est fait de poches qu'il s'agit de remplir et d'agrandir, afin de les remplir et de les agrandir encore davantage, et de les remplir encore plus... C'est ça la "domination américaine", ce n'est pas le Pentagone. (p.92-94)