Citations de Roy Jacobsen (149)
Même Antti, l'épicier,m'avait dit avant de partir, tu ne peux pas rester là, Timmo, les Russes vont arriver d'une minute à l'autre, et ils vont te tuer.
« Ils ne tuent pas les idiots, avais – je répondu. Je connais les Russes.
– Ne dis pas de bêtises, ils tueront tout le monde qu'ils les connaissent ou pas. C'est la guerre, Timmo. »
Suomussalmi a été incendié le 7 décembre, après que les quatre mille habitants ont été évacués, sauf moi, car j'étais né là – bas, j'y avais vécu toute ma vie et je ne pouvais imaginer vivre ailleurs – aussi, quand une silhouette en uniforme blanc est apparue devant moi et s'est mise à lire une feuille et à me dire que je devais décamper, j'ai planté mes talons dans la neige et j'ai refusé de bouger. Je suppose que c'est comme ça partout dans le monde, il y en a toujours un, qui ne fait pas comme les autres, il n' a même pas besoin de savoir pourquoi, et là, à Suomussalmi, c'était moi.
Curieusement,il y a avait quelque chose de terrible et de grisant à rester là, tel un pilier de sel solitaire, à regarder le gigantesque océan de flammes dans les forêts glaciales, car elle avait été une belle ville, ma ville, la seule qui pour moi était davantage qu'un ramassis de toits et de murs, et désormais il ne restait que quelques maisons debout, quand tout a été terminé, je n'en comptais guère plus d'une vingtaine.
un ilien n' a pas peur sinon il ne peut pas vivre dans un endroit pareil, sinon il lui faut prendre ses cliques et ses claques, déménager et s'installer dans un bois, ou dans une vallée comme tout le monde. Ce serait une catastrophe, un ilien a l'esprit sombre, il n'est pas raide de peur, mais de sérieux.
Pour un îlien, il est aussi important de savoir nager que de savoir naviguer, ramer et prier.
Puis il vit la ville, une ville à moitié inachevée en bois clair, une ville encore à genoux, une ville en train de se relever, penchée et pourtant si belle et radieuse comme jamais dans le soleil du soir ...
... les obus "ennemis" se rapprochaient comme les piqûres d'une gigantesque machine à coudre, avec des cris de douleur, des ordres hurlés, des infirmiers qui galopaient - la machine s'était emballée, un tapis de fumée brun et ondoyant s'était déposé sur la ville, tellement dense et sans fin qu'il embrassait aussi le ciel, et nous nous trouvions juste au milieu de tout cela, comme des vers dans une pomme pourrie.
... nous n'étions qu'à la mi-décembre, mais j'avais désormais une réponse à la question que, une semaine plus tôt, je n'aurais même pas osé poser : j'allais m'en sortir. Tant que le fait de mourir ou de rester en vie ne me devenait pas complètement indifférent, je ne distinguais plus l'un de l'autre, et tant que je parvenais à survivre à ces premiers jours de labeur sans sommeil, je m'en sortais, et cela m'a donné une forme nouvelle de sérénité.
Cela fut mis en place, tout comme les gens trouvent soudain un nouveau chemin à travers les broussailles et l’empruntent si souvent qu’il devient un sentier, ce qui, au fond, n’est qu’un autre mot pour décrire une habitude.
Ingrid répondit oui aux deux questions et, regardant par-dessus le dos du cheval, elle déclara qu’elle avait beaucoup voyagé au cours de cet été, mais qu’elle n’avait pas encore rencontré une seule personne sincèrement contente que la guerre soit finie.
(p. 213-214, Chapitre 30).
Comme tout marcheur, elle découvrit que ceux qui sont les premiers à arriver à un endroit et qui s’y sont installés ont plus peur que ceux qui les suivent, car ils ont peur de perdre ce qu’ils ont.
Comme si ça servait à quelque chose d'avoir des envies en tête; les désirs et la nostalgie ne sont que poison et égarement pour un homme qui doit tenir d'aplomb sa maisonnée misérable et surpeuplée, à la force de ses bras et avec l'aide d'un Seigneur aux caprices insaisissables.
Maria compta ce que ça avait coûté, mais elle ne dit rien, comme toujours, elle évitait de dire quoi que ce soit.
Et Hans fit comme s’il n’avait rien entendu.
p. 119
Car c’est précisément ce qui s’est passé : rien. On parle de calme avant la tempête, on dit que ce calme est un avertissement, un signer précurseur, il peut signifier quelque chose dont on ne saisira la portée qu’après avoir longuement cherché dans la Bible. Mais le silence sur une île n’est rien. Personne n’en parle, nul ne s’en souvient, tellement il marque les esprits. C’est l’infime aperçu de la mort tant qu’ils sont encore en vie. pp. 115-116
C'était une insulte de demander son salaire, comme si, le jour de la paie, c'était le maître qu'il fallait plaindre et non l'esclave
Quand les Suédois finissent par partir, […] même si les gens de l’île poussent un soupir de soulagement en retrouvant leur nombre habituel, ils éprouvent une certaine mélancolie. Cela a ses bons côtés d’avoir un étranger en visite. Quand il repart, ils restent entre eux et se disent que cela ne suffit peut-être pas. Un visiteur crée un vide. Il montre aux îliens qu’il leur manque quelque chose, que ce manque existait aussi avant sa venue et qu’il va continuer.
Le printemps est revenu, le ciel est dégagé au dessus des îles, les vents sont froids et troublés, mais apportent aussi de brèves bouffées de chaleur. Les pies huîtrières sont de retour et déambulent au bord de l’eau comme des poules blanches et noires, elles donnent des coups de tête et enfoncent dans le sable leurs longs becs rouges, puis elles creusent et creusent encore, elles crient et ne font rien d’autre. La pie huîtrière est un oiseau idiot, mais elle vient avec le printemps.
Mais, en règle générale, les tempêtes sont brèves, et c’est durant l’une d’elles que les feuilles disparaissent. Il n’y a pas beaucoup d’arbres sur l’île, mais il y a assez d » arbustes à baies, de bouleaux nains et de saules qui, à la fin de l’été, ont des feuilles jaunes qui virent au marron et au rouge à des vitesses variées, si bien que l’île ressemble à un arc-en-ciel sur terre pendant quelques jours de septembre. Elle garde cette allure jusqu’à ce que cette petite tempête attaque les feuilles par surprise et les emporte dans la mer, et métamorphose Barroy en un animal loqueteux à fourrure marron. Elle va rester ainsi jusqu’au printemps, si elle ne ressemble pas alors à un cadavre aux cheveux blancs sous les rafales et la grêle, quand la neige violente arrive , disparaît, revient encore et forme des congères comme si elle tentait d’imiter la mer sur terre.
Ingrid ne comprend pas. Ne pas pouvoir rire quand on en a envie, c'est comme être privé d'une jambe.
Mais la vie est un enfer et, ça, elle le découvre bien, et elle cesse de rire ; à la place, elle se met à pleurer.
À sa tête, on aurait dit qu'Antti avait pitié de moi et qu'en même temps il me méprisait. Puis il a posé la main sur mon épaule en regardant ailleurs, d'un air triste, c'était son habitude de détourner la tête quand le simple fait de me voir risquait de mettre à l'épreuve notre amitié fragile.
En particulier, il est difficile à Ingrid de regarder son père. Heureusement qu'elle le connaît car, sinon, Ingrid pourrait croire qu'il a peur, et il n'a jamais peur. Un îlien n'a pas peur sinon il ne peut pas vivre dans un endroit pareil, il lui faut prendre ses cliques et ses claques, déménager et s'installer dans un bois ou dans une vallée, comme tout le monde. Ce serait une catastrophe, un îlien a l'esprit sombre, il n'est pas raide de peur, mais de sérieux.