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Critiques de Saul Bellow (113)
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La Bellarosa connection

Ce court roman au style enlevé, presque léger, comme une conversation autour d'une anecdote concernant un vieux parent ou un voisin, nous dit beaucoup plus qu'il n'en a l'air.



Harry Fonstein est un survivant de l'holocauste qui doit la vie à un drôle de « juste » nommé Billy Rose, plus ou moins mafieux, fort en gueule et désagréable, organisateur de spectacles à Broadway, qui toute sa vie refuse de le revoir.



Le narrateur, parent d'Harry et de son épouse Sorella est intrigué par cette histoire qui questionne le rapport à la Mémoire et aux effets du temps . Ce faisant, constatant l'impermanence des choses, comme diraient les bouddhistes, il va plus loin que s'interroger sur l'identité des Juifs américains, et sur l'Holocauste, il questionne notre propre rapport au temps et à l'Histoire, dans des espaces traversés d'influences et traditions diverses qui modifient le regard sur le passé.



Quelle dose de passé voulez-vous dans votre présent ? Comment le manifestez-vous ? voilà un sujet qui concerne tout le monde, du plus nostalgique à celui qui tourne les pages résolument.



Un excellent petit roman qui fait réfléchir, avec une galerie de personnages originaux, une intelligence du récit, des dialogues vifs, de l’autodérision et une tonalité humoristique douce amère qui nous donne envie d'en lire plus de cet auteur.



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Herzog

Moses. E. Herzog, professeur, homme lettré, chercheur, deux fois divorcé, deux enfants.

Moses est un homme inquiet, sa vie est un perpétuel questionnement.

Sa deuxième femme Madeleine lui fait des misères.

Madame Herzog va avoir une relation avec le meilleur ami de Moses, Valentin Gersbach.

Que faire quand votre femme vous met à la rue avec interdiction d'approcher le domicile conjugal ?

Herzog va écrire des lettres, une sorte d'exutoire, il écrit aux psys, aux avocats, à ces ex-femmes, à ces amis et collègues, même Nietzsche aura sa lettre.

Entre écriture et introspection Herzog va tout faire pour garder le contact avec ses enfants June et Marco.

Une dernière chose qui a son importance, Herzog est juif.

Tout au long de ma lecture, un visage s'offrait à moi, celle de Woody Allen, même stéréotype du juif américain empêtré dans ses questions existentielles, sa relation avec les femmes, sa santé mental, son appartenance à la communauté juive .... comme d'ailleurs le personnage de Philip Roth "Nathan Zuckerman ".

Saul Bellow était un érudit, un fin lettré je dirais même un amoureux de la littérature française, citant Proudhon, Condorcet, ou Rousseau.

Ce roman n'est pas facile, je me suis souvent égaré dans la pensée de Saul Bellow, mais quel bonheur quel raffinement que cette écriture.

Je ne crois pas me tromper en disant que le roman " Herzog " m'a fait découvrir une autre dimension dans la littérature, c'est comme une porte fermée avec l'inconnu derrière.

Amateur de philosophie et de folie, vous qui aimez les défis, l'effort cérébral, ce livre est pour vous.

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Les manuscrits de Gonzaga

Quatre nouvelles de Saul Bellow, quatre individus qui recherchent. Je sais que ce verbe est transitif, qu’il nécessite un complément, mais c’est peu important dans le cas de ce recueil, Les manuscrits de Gonzaga. Je pourrais dire que Woody Selbst cherche des souvenirs de son père décédé, que Rogin cherche l’image de son futur fils dans un inconnu (bon, techniquement, elle lui vient tout seul mais j’interprète), que George Grebe cherche cet élusif M. Green dans un ghetto noir ou bien que Clarence cherche les poèmes disparus d’un auteur espagnol décédé. Mais tous, à travers la quête qu’ils se sont donnés, se recherchent eux-mêmes sans le savoir, veulent se prouver aux yeux des autres mais surtout aux leurs.



La première nouvelle, Un petit plat d’argent, m’a plu d’abord mais je me suis perdu un peu dans touters les aventures du père de Woody, surtout que c’était un fabulateur alors je n’étais jamais certain de croire ce qui était raconté. Quoiqu’il me semblait que c’était représentatif d’une catégorie d’Américains à une certaine époque. C’est la troisième que j’ai surtout aimée, la nouvelle éponyme, Les manuscrits de Gonzaga. Les péripéties de Clarence en Espagne, les rencontres qu’il y fait, les perceptions que les Européens imbus ont des Américains et à laquelle il est confronté… c’était précieux. Dans ces deux cas, Saul Bellow a bien su capturer l’essence des personnages qu’il place les uns en face des autres. Les deux autres nouvelles, je les ai trouvé correctes, sans plus. Mais il ne s’agit que de mon humble opinion.



Dans son discours du prix Nobel de littérature (ajouté à la fin du recueil), Bellow écrit : « Nous savons tous ce qu’être las des ‘’perosnnages’’ veut dire. Les archétypes humains sont devenus faux et ennuyeux. » (p. 193) Quelques plus loin,on peut lire « Les personnages de romans, a dit un jour Elizabeth Bowen, ne sont pas créés par les écrivains. Ils préexistent, et doivent être découverts. » Je contorsionne un peu leurs propos mais j’ai l’impression que c’est ce que j’ai vécu avec ces nouvelles. Les protagonistes, nous les connaissons peu. L’auteur leur donne un nom, un âge, une situation (familiale ou sociale, mais sans s’éterniser dessus), peut-être un souvenir qui les hante ou une passion quelconque, mais c’est à peu près tout. Je serais bien en mal de les décrire physiquement, encore plus de raconter leur histoire. Ils pourraient être Monsieur-Tout-le-Monde. Bellow évite comme la peste les personnages mille fois racontés, fait tabula rasa. Selbst, Rogin et les autres, nous les découvrons à travers leurs interactions, à travers les questions et les commentaires des autres, ou bien à travers leurs réactions aux questions et aux commentaires des autres. Ainsi, j’ai l’impression que Bellow s’intéresse plus aux situations qui peuvent émerger qu’à quoi que ce soit d’autres, voire s’en amuser. En effet, j’ai l’impression que, dans les situation tragiques (pas trop, quand même), il trouve le moyen d’en faire ressortir du comique. Je n’ai pas lu beaucoup de romans de Saul Bellow et c’est un aspect que ne j’avais pas tant remarqué. À suivre…
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Herzog



«Je sens mon coeur et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu.» (Jean-Jacques Rousseau, «Les Confessions»)



Trois National Book Awards - un record absolu ! -, dont un pour l'ouvrage en question (1965), un prix Pulitzer et un Nobel (1976) : voilà un curriculum d'écrivain qui en impose!!

Père putatif par ailleurs d'une ribambelle d'écrivains anglo-saxons à partir des années 60, la notoriété de Saul Bellow semblerait toutefois en perte de vitesse de nos jours (à titre indicatif : 650 lecteurs recensés sur le site de Babelio), nettement moins éminente en tout cas, pour ne citer que deux de ses plus célèbres héritiers, que celles par exemple d'un David Lodge (5 500 lecteurs) ou du plus fidèle parmi tous ses nombreux rejetons, Philip Roth (plus de 14 000 !).



Cela étant, et ceci l'expliquant peut-être en partie, lire un roman comme «Herzog», c'est se soumettre de plein gré à un véritable électrochoc littéraire!!

Le lecteur avance dans la lecture, en effet, quelque peu à l'image de son personnage central, par saccades et par syncopes, alternant des moments de grande exaltation de ses capacités cognitives, et d'autres durant lesquels, ses circuits neuronaux à moitié engorgés par «l'immense et informe intérêt pour l'histoire de la pensée » manifesté par Moses Herzog, il frôlera de près la rupture de sens!!

Le pire (ou le meilleur, au choix…), c'est qu'à l'instar de lui, on s'en moquera bel et bien!



« Si j'ai perdu la tête, ça m'est égal, songeait Moses Herzog ».

Par cet incipit narquois, nous sommes invités à pénétrer dans sa subjectivité, à nous faufiler discrètement parmi les coulées rhétoriques inarrêtables s'épanchant d'un for intérieur en pleine activité volcanique!!

Au moins, on vous l'aura prévenu !



Directement propulsés dans la conscience tourmentée de Herzog. Entre admiration et stupéfaction face à l'extraordinaire éloquence de l'écrivain, et parfois sidérés, donc, par ses fulgurances de très haute volée, toujours séduisantes néanmoins, très vivantes surtout (rien à voir, rassurez-vous, avec un pensum ou une quelconque démonstration philosophique figée), servies en l'occurrence comme l'on n'aura peut-être jamais vu auparavant dans la littérature contemporaine -moi en tout cas…- pas à un tel rythme endiablé, avec autant d'aisance et d'agilité idéative ! Divertis en même temps, dans la même proportion, par une ironie irrésistible et un impayable «sens of humour» juif omniprésents, appliqués sur l'exercice d'auto-observation que son «Moshe» s'obstine à mener sans la moindre concession autour de la crise majeure qu'il est en train de traverser, personnelle et professionnelle, déclenchée par sa débâcle affective et par son sentiment d'échec en tant qu'intellectuel et universitaire, quadragénaire en mal d'inspiration pour boucler un travail de recherche mené depuis de longues années («huit cent pages d'un exposé chaotique qui n'avait jamais trouvé d'unité»), et mari largué par sa femme, trahi par son meilleur ami, son lot de misères et de drames ordinaires servant en même temps de contrepoint, quelquefois d'improbables écrins, à l'émergence d'exubérantes extrapolations d'ordre philosophique !



Après la lecture de Herzog, chef-d'oeuvre incontestable et inégalé en son genre, l'on pourrait être tout simplement tenté de reclasser Woody Allen (si tant est que, déjà «cancelled», il n'en ait été sorti une fois pour toutes!) plutôt dans le rayon «littérature jeunesse» de nos bibliothèques !



Mais soyons un peu sérieux tout de même…

Herzog traverse de toute évidence une crise dépressive grave, consécutive notamment à l'expérience pénible de la trahison de sa femme et de son meilleur ami, et contre laquelle il se défend avec les moyens dont il dispose et qu'il maîtrise le mieux, à savoir son intellect et son sens inné de la dérision…

L'exercice fait cependant très mal, et Moses en viendra à considérer qu'il avait peut-être, non seulement raté son «contrat» de vie, mais aussi complètement trompé sur sa vraie nature et sur l'image qu'il avait de lui-même.



«J'ai fait exprès de mal lire mon contrat. Je n'ai jamais été la partie principale, mais seulement prêté à moi-même. (…) Autant que j'admette les choses comme elles sont, ne serait-ce que parce que, sans cela, il n'est même plus possible de me décrire. Mon comportement implique l'existence d'une barrière contre laquelle je pousse depuis toujours, avec la conviction qu'il est nécessaire de pousser et que quelque chose doit en sortir. Peut-être finirai-je par pouvoir passer à travers? C'est une idée que j'ai toujours dû avoir. Est-ce de la foi ? Où simplement de la puérilité : s'attendre à être aimé parce qu'on a fait son devoir ? Si on recherche l'explication psychologique, c'est en effet puéril, un cas classique de dépression.»



Une fois le « contrat » le liant à son existence dénoncé et l'image qu'il se faisait de lui-même pulvérisée, Hertzog démissionne également de son poste d'enseignant. Retranché chez lui, évitant provisoirement toute forme d'engagement social ou affectif plus conséquent, il se voit entamer une procédure psychique nouvelle et à titre conservatoire (de sa peau avant tout). Une instruction censée au départ rétablir l'ordre dans ses pensées, ainsi que, bien sûr, les responsabilités engagés par les uns et les autres dans le chaos qui a envahi sa vie et sa conscience. Elle sera conduite essentiellement sous forme d'une correspondance compulsive, la plupart du temps à l'état purement virtuel, jamais expédiée au final, qui constituera par ailleurs l'une des principales récurrences narratives et, sans aucun doute, l'un des atouts majeurs du roman de Bellow.

Quoique restés lettre morte, de vrais morceaux de bravoure voient le jour, «rédigés » pêle-mêle à l'intention de destinataires encore vivants ou déjà morts, de sa famille ou de son entourage proche, amical ou professionnel -mais adressés aussi, entre autres, au président des États-Unis, à Spinoza, à Nietzche ou à Dieu lui-même..! Ces courriers expiatoires n'auront pourtant d'autre effet que d'alimenter la détresse d'un homme chuté, comme aurait dit le vieux Dosto, «dans le sous-sol d'une maison en flammes», l'amenant peu à peu à perdre la maîtrise de ses propres pensées et de ses actes.



Entretemps, le lecteur aura été pris à témoin d'une mise à nu en règle, menée par un homme, selon ses propres mots, dans un état de conscience « bizarre, mélange de lucidité et mélancolie, d'esprit de l'escalier, de nobles inspirations et d'absurdité, d'idées et d'hypersensibilité».

Examen de conscience radical qui, en l'espèce, outrepassera le domaine du strictement individuel ou du purement anecdotique, pour toucher à une dimension plus vaste et universelle, «Herzog» préfigurant un ton et des thèmes qui seront par la suite très présents dans une littérature contemporaine s'intéresserant de plus en plus à la crise de valeurs liée à la modernité (ou « postmodernité », si l'on préfère).

Ton qui chez Herzog prend souvent l'aspect sombre de celui d'un moraliste à contre-courant de l'optimisme général régnant alors dans la société américaine, fondé sur un libéralisme et un matérialisme économique effrénés qui ne peuvent, d'après lui, que conduire au pire.



«L'«état inspiré» est considéré comme ne pouvant être atteint que sous sa forme négative et donc poursuivi seulement dans la philosophie et la littérature aussi bien que dans l'expérience sexuelle, ou à l'aide de stupéfiants, ou encore par le truchement du crime «philosophique», ou «gratuit» ou autres horreurs du même ordre. (Il ne vient apparemment jamais à l'idée de semblables «criminels» que se conduire de façon décente avec un autre être humain peut être tout aussi «gratuit».) Des observateurs intelligents on fait remarquer que l'honneur «spirituel» ou le respect autrefois réservés à la justice, au courage, à la tempérance, à la miséricorde pouvait maintenant être acquis négativement par le grotesque. Je pense souvent que ce changement est lié au fait que tant de «valeur» a été absorbée par la technologie elle-même. »



Dans ses élucubrations solitaires ou dans ses lettres plus ou moins "insanes", Herzog convoquera ainsi des penseurs tel Heidegger, quand ce dernier annonçait par exemple l'avènement de «la Seconde Chute de l'Homme dans le quotidien et l'ordinaire», la pensée humaine remplacée alors complètement par la technique, mais sans oublier, paradoxalement, de faire place aux vues d'un Montaigne ou d'un Pascal, lorsque ces derniers affirmaient au contraire que «la force de la vertu d'un homme ou ses capacités spirituelles se mesurent d'après sa vie ordinaire».

Il pourra tout aussi bien soutenir, avec autant de conviction intime, que dans le rapport sur les « Objectifs Nationaux de Eisenhower» l'on aurait dû se préoccuper «avant tout autre chose de la vie intérieure de tous les Américains », comme par ailleurs le fait que «les visions de génie seraient vouées à devenir des mets en conserve pour intellectuels » -«la choucroute en boîte du «socialisme prussien» de Spengler», «les lieux communs de la Terre Brûlée de T.S. Elliot », « les stimulants mentaux de pacotille de l'Aliénation» ( !) Il pourra prôner, avec une même désinvolture, à la suite de Tolstoï, que la « liberté est une affaire entièrement personnelle : est libre celui dont la condition est simple, véridique, réelle », et qu'étendre ses conditions de vie ne peut que se faire «aux dépens d'autrui», tout en pointant la part de responsabilité des artistes et des penseurs refusant catégoriquement de croire à toute possibilité d'un apprentissage collectif par l'humanité, dans l'effondrement des fondements de la civilisation et dans l'avènement des systèmes totalitaires !!

Ceci jusqu'à vous en donner par moment le tournis, et à vous faire demander (lui aussi, remarque…) où il veut en venir exactement, ou s'il ne serait pas en train de perdre complètement pied!



Ce que l'on peut dire en revanche, sans aucune hésitation, c'est qu' il n'y aura pas grand monde, de quelque courant ou bord qu'il soit, qui pourra échapper au regard critique de Herzog ou à ses éventuelles diatribes d'homme du sous-sol de la modernité ! Y compris (voire surtout) ceux-là même qui déclareraient haut et fort (catégorie à laquelle, pourtant, lui aussi aurait pu à certains moments nous sembler, à tort, appartenir !!) «la défaite de la pensée occidentale», ou vanter «les beautés du Vide comme s'il s'agissait d'un terrain à vendre» !!!



Drôle, dérisoire jusqu'à frôler parfois le picaresque et le pathétique, rationnel quoiqu'instable, empreint à un autre niveau de cette flamboyance émotionnelle haute en couleur, typiquement russo-juive, dont il a hérité et qu'il essaie en vain de contrôler («Moshe» a souvent la larme qui monte à l'oeil), érudit et décomplexé, passant sans transition d'une langue savante à un discours familier, oral et direct, toutes les armes sont bonnes dans sa lutte acharnée contre un sentiment de désespoir qui risque de l'immobiliser peu à peu dans ses filets invisibles…



Ce regard critique très en profondeur, incisif, arme diablement efficace, quelquefois déstabilisant aussi pour le lecteur, notamment par rapport à ce qui peut relever pour ce dernier d'une forme de bien-pensance admise et consensuelle, à priori progressiste (et où, soit dit au passage, je pourrais me reconnaître aussi !), vaudra entre autres à Saul Bellow une étiquette de «polémiste conservateur» qui, à mon sens, serait loin de pouvoir résumer toute l'originalité et la richesse sous-jacentes à son propos ici.



Témoin de la première heure de l'agonie et de la mort définitive des idéologies (il semble d'ailleurs que Saul Bellow ait été un brave militant trotskiste dans se vertes années !), de leur remplacement croissant par la production en masse de biens matériels et culturels «accessibles à tous», par des progrès « techniques» considérés comme des valeurs de remplacement du spirituel, source privilégiée de bonheur pour l'humanité ; évoquant déjà au début des années 60 l'auto-destructivité découlant hélas de l'illusion d'un individualisme sans entraves et «sans transcendance» proposé par nos sociétés modernes (nous y sommes en plein !!), ainsi que le risque de la mise en boîte de toute pensée ou vision nouvelle, avalées et digérées rapidement par l'appétit colossal d'un néo-Léviathan, le roman de Saul Bellow devrait pouvoir être considéré avant tout comme un brillant manifeste anticonformiste et, sous certains aspects, prémonitoire.

Un cri de révolte qui ne cherche pas, bien au contraire, à entraîner le lecteur vers aucune chapelle en particulier, en dehors de lui-même et de sa propre conscience.

Très loin aussi du mirage provoqué par les dérives libertaristes et antisystème qui prolifèrent de nos jours, se présentant, hélas, à de plus en plus de sympathisants, comme seules alternatives viables pour combattre efficacement le néolibéralisme mondialisé.

«Herzog» serait au contraire une invitation à cultiver ces «états inspirés» que son héros réussira enfin à retrouver, après s'être dégagé de la gangue de ses ressentiments et de son narcissisme étriqué, blessé de surcroît, pouvant se reconnaître enfin comme étant lui-même peut-être un «grand romantique», et pourquoi pas ? (d'ailleurs, le sujet central de cette fameuse «recherche chaotique, 800 pages en manque d'unité» n'est autre que l'évolution du Romantisme en tant que mouvement, et plus particulièrement sur ses dérives mystico-religieuses et politiques dans la société moderne!).

Ce qui rappellera au lecteur aussi, en définitive toujours identifié quelque peu à «Moshe», la nécessité de garder un «coeur battant», conscient de ses limites et de sa singularité, en diapason néanmoins avec la connaissance et ses « états inspirés», «comme un don pour aussi longtemps qu'on pourra occuper les lieux».



Cinq étoiles pour un roman aussi brillant qu'engageant et captivant, de mon point de vue une ode magnifique à l'exercice d'une libre-pensée qui fait beaucoup de bien par les temps qui courent..!



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Un larcin

Je m’attendais à plus de ce court roman, Un larcin, et surtout je m’attendais à plus de la part de son auteur, Saul Bellow. On y dresse le portrait d’une femme, Clara Velde, à la fois forte et faible comme pouvaient l’être les femmes au milieu du 20e siècle. Forte parce qu’elle a fait de hautes études en langues et en littérature, elle est très cultivée et travaille dans un magazine. Faible parce qu’elle ne peut pas vivre seule, sans un homme à ses côtés. Dès qu’un semblant d’indépendance amoureuse se pointe, elle se trouve un mari. Elle est rendue à son quatrième. Toutefois, c’est son premier amour, le seul qui ne fut jamais son époux, auquel elle tient le plus : Ithiel. C’est lui qui lui a offert cette magnifique bague avec une émeraude, plus chère à ses yeux que toutes les alliances. Le larcin en question dans le titre, c’est celui de cette bague, et il arrive passé la moitié du roman. À ce point, j’étais déjà ennuyé de toutes ces intrigues amoureuses insipides. Et malheureusement le travail de Velde n’apporte pas le piquant espéré. En tant que journaliste et frayant avec la haute société de New York, elle aurait pu apporter un quelconque regard sur cet univers fascinant. Mais non. Je pensais trouver une consolation avec ce crime mais le roman ne prend jamais le tournant d’une enquête policière. On reste dans les potins, dans les sanglots et les soupirs d’une femme gâtée qui se lamente sur ses propres ennuis et qui fait tourner son petit monde autour d’un seul homme, le supposé amour de sa vie. Bref, que du sentimental. Mais pas du genre qui fait les grandes tragédies, plutôt les tragi-comédies. Je suppose que c’était réaliste au lendemain de la Deuxième guerre mondiale mais, en 2018, on est rendu ailleurs. Je n'ai eu aucun plaisir à lire ce roman, heureusement qu'il était court...
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En souvenir de moi

Ouvrage pioché au hasard sur l'un des rayonnages de la bibliothèque pour laquelle je travaille, je me suis aventurée dans cette lecture pour l'auteur qui a obtenu le prix Nobel de littérature en 1976, et non pour l'histoire, ne sachant pas à quoi m'attendre. Alors que je viens de le terminer, je ne sais toujours pas quoi en penser si ce n'est qu'il y a beaucoup de réflexions sur la vie qui m'ont intéressée, contrairement à l'histoire en elle-même. Ici, Louie, notre protagoniste, laisse à son petit-fils une sorte de témoignage en guise d'héritage sur un épisode plutôt rocambolesque de sa jeunesse.



Les lectures du jeune homme qu'il était à l'époque tout comme ses réflexions sont extrêmement passionnantes, tout comme le prologue qui ressemble étrangement à ce que notre société connaît actuellement (comme quoi en trente ans, les choses n'ont pas beaucoup évolué au point que ça peut paraître dramatique sur certains points) mais comme je le rappelais au début de cette critique, l'histoire en elle-même, quoique pouvant porter à sourire par moments, est assez plate et sans grand intérêt. Un récit que je ne peux cependant que vous inviter à découvrir cet ouvrage car c'est peut-être moi qui n'ai pas compris et qui ne suis pas arrivée à rentrer dans l'intrigue. A vous de le dire !
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Le Faiseur de pluie

Tout le long de ma lecture du roman Le faiseur de pluie, je ne savais de quelle façon l’entreprendre, le comprendre. Était-ce un récit philosophique, ou plutôt comique, voire tragi-comique ? Sans doute un peu de tout cela. Son auteur Saul Bellow le savait-il lui-même ? Cette histoire peu ordinaire commence par un Eugene Henderson un peu lasse. Cet Américain raconte (pas assez rapidement à mon goût) ses années de jeune homme : la mort de son frère, qui en a fait l’héritier principal de son père, le plaçant à la tête d’une fortune considérable, la guerre en Europe, ses premiers mariages désastreux, etc. Il se lance des industries inouïes comme l’élevage du porc puis dans toutes sortes d’expériences (il suit des cours pour apprendre à jouer du violon, entre autres choses). Il dit s’être toujours senti incomplet, vouloir servir son prochain, se rendre utile. Je pense surtout qu’il souffrait d’hyperactivité… Il me semblait surtout antipathique.



Un jour, Henderson abandonne tout pour courir l’Afrique. Il dit vouloir satisfaire un besoin de spiritualité, quitter la civilisation pour trouver un monde plus pur, une nature pas encore entachée par l’action destructrice des hommes. Un but louable, bien sur, mais était-ce réaliste ? Même en ce milieu de XXe siècle ? Malgré son humanité qui transpire de temps à autre, cet homme montre tout de même un brin de complexe de supériorité blanche-américaine. Même s’il essaie fort, il ne pourra jamais comprendre les «sauvages» qu’il coitoie. Pire, malgré ses bonnes intentions, il se retrouve à détériorer leur situation. Par exemple, en voulant en débarrasser un puits des grenouilles qui y pululaient, il détruit le bassin par la même occasion. Son geste provoquera assurément une famine mais il ne prend pas le temps de le découvrir ou d’aider, il se dépêche plutôt à s’enfuir.



Ainsi, Henderson se réfugie plus au nord, à la cour du roi Dahfu. D’autres péripéties encore plus invraisemblables lui arrivent. Entre autres, il se fait sacrer ‘’roi de la pluie’’, un titre surtout honorifique (du moins, à première vue). Il s’avère que Dahfu a étudié brièvement la médecine en Occident. Toutefois, ça ne l’empêche pas de porter foi à de nombreuses traditions locales, dont une chasse au lion qui se transforme en cérémonie rituelle pour communiquer avec l’âme d’un défunt, en un rite initiatique. Les deux hommes parlent longuement (en termes de temps mais aussi de pages !), le roi essayant d’expliquer à l’Américain sa vision du monde. J’ai trouvé cette partie longue, très longue. Même si on appréhende toujours une catastrophe (venant de la cour du roi, du lion qui rôde, etc.), elle arrive tardivement.



Finalement, la renaissance spirituelle de Henderson, cet anti-héros improbable, ne se produit pas, le cinquagénaire doit quitter en catastrophe l’Afrique et rentrer chez lui. La fin laisse présager qu’il ira vers d’autres aventures. Le Grand Nord ? Après tout, il lui est impossible de rester en place trop longtemps. Mais rendu à ce point, j’avais seulement hâte de terminer la lecture de ce roman. Après plus de 500 pages, je me demande encore quel était le but recherché par Saül Bellow en écrivant et publiant Le faiseur de pluie. Surtout que c’est parfois confus, la chronologie est étrange (je me mélangeais entre les différentes ex-femmes de Henderson et les événements qui les concernent) et certaines informations sont racontées dans le désordre, comme si elles avaient été oubliées ou pensées après-coup. Je referme ce bouquin assez perplexe.
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Herzog

Roman faussement épistolaire, Herzog met en scène un héros amer et revanchard à l'esprit en roue libre. Ses pensées en entraînent d'autres, souvenirs et brouillons de missives se mêlant en un tourbillon alimentant le maelström. Saul Bellow semble ainsi le père de ces romans juifs américains acerbes et satiriques, frère de Philip Roth par l'esprit (plus de détails :https://pamolico.wordpress.com/2023/07/18/herzog-saul-bellow/)
Lien : https://pamolico.wordpress.c..
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Le Faiseur de pluie

Lauréat du prix Nobel de littérature en 1976, Saul Bellow succède à ses compatriotes Steinbeck, Hemingway, Faulkner, dont malgré le prestigieux prix il n’atteindra ni la célébrité ni la popularité. J’ai souvent vu son nom cité, sans plus, et je ne savais pas trop à quoi m’attendre en ouvrant ce premier livre de lui que j’aborde.



Le roman est le récit fait à la première personne par Eugene Henderson, un Américain, riche héritier d’une fortune qui le met à l’abri du besoin, et pourrait lui permettre de couler des jours heureux et oisifs. Mais une voix en lui exprime une éternelle insatisfaction et le pousse à vouloir aller plus loin, prenant le chemin de la destruction qui finit par l’autodestruction. Son physique impressionnant, ses colères qui montent très vite, son alcoolisme, son absence de limites, font qu’il agresse, qu’il saccage, qu’il casse. Son premier mariage, malgré des enfants a été un échec cuisant, et son deuxième n’est pas non plus une réussite. Le livre commence alors que Henderson s’interroge sur les raisons qui l’ont poussées à faire un voyage en Afrique. Cela l’amène à dévider le fil de son existence, et en parallèle, il nous fait le récit de son périple africain, qui semble une sorte de voyage initiatique, une espèce de conte philosophique, tant ce qu’il décrit est loin de la réalité. Après avoir rapidement quitté les amis avec qui il a fait le voyage, il va, grâce à son guide africain, à la rencontre de deux peuples qui semblent oubliés par le temps, dans des territoires à l’écart de tout, et de la marche du monde. Le premier peuple est amical et généreux, mais Henderson va vite devoir partir, suite à une catastrophe qu’il provoque. Le deuxième peuple est retord et cruel, et il va se faire piéger, pour devenir une sorte de roi de la pluie, ce qui rend impossible son départ, car sa présence est censée être indispensable à la survie de la communauté.



Je ne suis pas vraiment sûre d’avoir compris le propos de l’auteur. Henderson est sans doute un personnage métaphorique, une sorte de géant, trop grand et trop fort pour le monde quotidien. Ce n’est qu’en Afrique qu’il trouve en quelque sorte un décor à sa mesure, entre dieux païens liés aux éléments, nature et animaux sauvages, en particulier les lions. Ce qu’il décrit du continent et de ses habitants est aussi sans aucun doute très métaphorique : les cérémonies, les enjeux de pouvoir, les modes de vie, semblent très loin d’une réalité ethnographique et sont sans doute symboliques. Mais j’ai du mal à définir les symboles et les métaphores sous-jacents. Toutefois le récit picaresque et haut en couleur se lit fort bien, les événements s’enchaînent sans temps morts.



Cette lecture m’a donc laissée une impression mitigée ; elle a sans aucun doute été plutôt plaisante, mais j’ai la sensation d’être restée un peu au bord de quelque chose, sans être sûre d’avoir réussi à pénétrer les intentions de l’auteur.
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La planète de Mr. Sammler

Sammeler est un collectionneur qui ressent mieux que quiconque les émotions et désirs des autres, donc la souffrance des individus de plus en plus soumis à la frustration, maladie moderne. Les désirs des autres le fatiguent et le sens du déclin est aussi celui des États-Unis dont la vision est très pessimiste. Tout au long du roman il est aussi question des Juifs, ainsi que de l’expérience initiale de l’holocauste. Un roman riche, lu il y a longtemps, dont je garde un très bon souvenir.
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Les aventures d'Augie March

Sacré petit bonhomme Augie! pas de trait particulièrement saillant mais un petit soleil à lui tout seul, qui attire à lui protections, conseils et amours auxquels il tétera le jus de l'expérience, mais n'aura de cesse de fuir dès que pèsera sur lui le poids de l'enfermement de ces conforts plus ou moins bienveillants. Car ce que ce petit gars des bas fonds de Chicago cherche avant tout c'est la liberté, et faire, à travers la grande dépression, les expériences un peu borderline avec les truands de la ville, la torpeur mexicaine ou même les rangs de l'armée, son propre chemin de vie.



Cela faisait longtemps que je voulais découvrir Saul Below dont on croise régulièrement le nom quand sont évoqués les grands influenceurs de la littérature américaine, et on retrouve en effet un peu de son parfum dans les oeuvres d'un Roth ou d'un Franzén.. C'est chose faite avec ce gros roman plein de réel, de poisse et de poésie, parsemé de scènes magnifiques bien qu'un peu long, et qui trace une philosophie de vie tout à fait singulière.
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Ravelstein

Un coq à l’âne un peu déroutant : un professeur de philosophie dans une université américaine qui a demandé à son ami d’écrire sa vie pour lui rendre hommage après sa mort.



La notice de l’éditeur le promettait férocement drôle, mais je n’ai pas vraiment souri. Il s’agit peut-être d’une caricature amusante pour les lecteurs qui connaitraient les célébrités représentées, mais pour ma part, j’avoue ma totale ignorance.



Est-ce qu’il vous rappelle quelqu’un ? Un vieil intello qui vit entouré d’une cour de fidèles. Il vit par procuration en gouvernant la vie et les amours de ses disciples et semble mesurer l’intelligence de ses fans à l’aune de l’admiration qu’ils manifestent...



C’est un rustre qui mange de façon tellement malpropre que certaines refusent de le recevoir à leur table (et je ne l’aurais sans doute pas invité non plus…)



C’est aussi un vaniteux qui ne s’achète que des vêtements de marque, mais qui les ruine rapidement par sa négligence et par des éclaboussures maladroites.



Il semble que toutefois que c’était aussi un ami fidèle et généreux, avec qui on pouvait tenir de grandes discussions sur la vie et sur la mort.



Bon, on ne lit pas que des livres dont on aime les héros, mais bien que Saul Bellow ait reçu le Nobel de littérature en 1976 et soit considéré comme un grand auteur américain, je n’ai pas eu beaucoup de plaisir à parcourir cet ouvrage.



Meilleure chance la prochaine fois !

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Un futur père et autres nouvelles

C'est déroutant de découvrir Saul Below dans le format court de la nouvelle après l'avoir cotoyé au long court dans son gros roman Les aventures d'Augie March, d'autant que l'univers de l'auteur est déroutant en lui-même : on retrouve dans ces trois nouvelles cette façon de se perdre dans les détails de l'intimité d'une vie, détails qui s'ouvrent ici sur des perspectives plutôt troublantes : un homme qui divague dans le métro et fantasme sur un voyageur dans lequel il projette son futur fils, modifiant ainsi sa perception de son environnement intime; ou encore cet autre, fonctionnaire en charge de remettre leur chèque de pension à des indigents, qui erre dans Chicago à la recherche d'un improbable Mr Green.

On mesure en tout cas tout ce que Below a apporté aux lettres américaines, en identifiant ce que d'autres après lui ont picoré dans son oeuvre, digéré puis retraduit dans les leurs.
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Herzog - La planète de Mr. Sammler

HERZOG de SAUL BELLOW

Herzog est un professeur connu et reconnu, avec une certaine notoriété. Madeleine, sa seconde femme le quitte. Herzog se réfugie dans sa petite maison de campagne et peu à peu il va perdre ses repères et côtoyer un état proche de la folie. Il va revivre sa vie, mélanger hier et aujourd’hui, la déprime le gagne ainsi qu’un sentiment diffus de s’être fait manipuler et, il n’a peut être pas tort puisque Madeleine le trompe avec Valentin, affligé d’une jambe de bois, beau parleur, son meilleur ami et surtout l’homme vers lequel il se tourne quand il a des problèmes! Il parle tout seul, écrit des papiers à tout le monde ( le président, des philosophes, sa famille) qu’il n’envoie pas la plupart du temps. Il doit gérer des problèmes financiers récurrents avec sa première femme, gérer ses deux enfants, gérer sa superbe maîtresse avec son impuissance.

Herzog est le prototype de l’homme des années 60 qui ne peut suivre une évolution sociale qui le dépasse. Il est totalement inadapté à ce monde qu’il ne reconnaît pas ou plus et il cherche désespérément des réponses à des questions qui n’en ont pas.

Le Saul Bellow que j’ai préféré, on trouve tous les thèmes que Philip Roth reprendra à son compte plus tard, d’ailleurs c’est lui qui écrit le quatrième de couverture et il a toujours admiré Bellow qu’il voyait comme son maître.
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Herzog

Avec Herzog, ce roman exceptionnel publié en 1964, d’une incroyable modernité par son propos et son style, Saul Bellow a dû inspirer beaucoup d’auteurs, Woody Allen, Philip Roth, et les frères Coen entre autres.



Il nous fait ici pénétrer – comme à l’aide d’un scanner - dans l’esprit et les émotions de Moses Herzog, érudit spécialiste de l’histoire des idées, ancien professeur d’université, que Madeleine sa deuxième femme a quitté pour Valentin Gerbasch, son ami à la jambe de bois, et néanmoins orateur flamboyant et sans complexes.



Déprimé d’avoir été abandonné, enragé d’avoir été manipulé, exalté, doté d’une mémoire exceptionnelle mais manquant totalement de sens pratique, en proie à des impulsions et des émotions qui le submergent, Herzog oscille en permanence entre force et faiblesse, acceptation et esprit de vengeance, ambition folle [d’améliorer la condition de l’humanité avec ses idées] et désolation face à son impuissance, euphorie [d’une nuit passée avec Ramona, sa maîtresse au corps superbe] et dépression, gardant [toujours] une conscience aigüe de la dimension comique du quotidien.



Dans cette période de sa vie où tout semble se dilater, comme exutoire des observations et émotions très violentes qui l’envahissent, Herzog ne cesse de composer des lettres, imaginaires ou réelles, pour lui-même, pour ses proches, pour des personnes qu’il a croisées, pour les médias, des hommes politiques, des philosophes, des scientifiques jusqu’à Dieu.

Ainsi, le récit est extraordinaire car il ne cesse de mêler dans une trame unique les pensées intimes d’Herzog et ses idées sur la conduite du monde, l’intérieur et l’extérieur.



« Notre civilisation est une civilisation bourgeoise. Je n’emploie pas ce terme dans son sens marxiste. -Trouillard !- Dans le vocabulaire de l’art moderne et de la religion d’aujourd’hui il est bourgeois de considérer que l’univers a été créé pour que nous l’utilisions en toute sécurité et pour nous donner confort, bien-être et soutien. La lumière voyage à trois cent mille kilomètres par seconde pour que nous puissions voir pour nous peigner les cheveux ou pour lire dans le journal que le jambonneau est moins cher qu’hier. Tocqueville considérait le mouvement vers le bien-être comme une des plus fortes tendances d’une société démocratique. On ne peut le blâmer d’avoir sous-estimé les forces destructrices engendrées par cette même tendance. -Il faut que tu aies perdu la tête pour écrire au Times comme ça ! Il y a des millions d’amers voltairiens dont l’âme est pleine de furieuses satires et qui cherchent sans cesse le mot le plus mordant, le plus venimeux. Au lieu de cela, pauvre imbécile, tu pourrais envoyer un poème. »



Le charme et l’intérêt du roman tiennent enfin aussi au cadre très présent par l’acuité des observations d’Herzog, comme une ode à New-York, à Chicago et à la maison de campagne dans laquelle celui-ci se réfugie, et à la période d’expansion des années soixante dont Saul Bellow et Herzog perçoivent les limites et les dérives avec une lucidité folle, comme s’ils étaient déjà les hommes d’un monde d’avant.



« Dans le taxi qui traversait les rues brûlantes où s’entassaient les immeubles de brique et de pierre, Herzog se tenait à la poignée et ses grands yeux contemplaient New-York. Les formes carrées, loin d’être inertes, étaient vivantes, elles lui donnaient un sentiment de mouvement inéluctable, presque d’intimité. Dans une certaine mesure, il avait l’impression de faire partie de tout cela – des chambres, des magasins, des caves – et en même temps il percevait le danger de ces multiples excitations. »
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Herzog

Je n'ai pu m'empêcher de faire un parallèle entre Moses Herzog et Ignatius Reilly dans La conjuration des imbéciles…

Tous les deux sont des esprits brillants, développés mais très perturbés, qui traversent une grande crise nerveuse et décident d'écrire des lettres pour exaucer leur mal-être…



Herzog, dans une déferlante d'idées plus ou moins classées, nous entraîne dans un tohu-bohu de pensées mal cousues mais définitivement brillantes. Il défend ses idées et ses idéaux avec une logique pertinente et constante. Il s'accorde la mission de penseur des progrès de la civilisation et constitue une sorte de biographie spirituelle.



Dans ce fatras qui inonde les pages sans crier gare, fusionnent des pensées sur la religion juive, le rôle de la femme dans les années 60 et les difficultés des relations amoureuses.



Sa propre histoire malheureuse avec une femme le plonge dans le plus grand désespoir et précipite la spirale de sa dégringolade.

C'est extrêmement disparate et l'enchevêtrement des destinataires de ses lettres écrites ou simplement imaginées donne parfois le tournis. L'intelligence de l'écriture de Saul Below, figure importante de la littérature américaine et Prix Nobel de littérature en 1976, en vaut le détour !



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Herzog

Le héros de 43 ans, personnage principal roman le plus connu de Saul Bellow est absurde. Moses E. Herzog croit en la raison, mais souffre d'une crise nerveuse perpétuelle, suite à l'échec de son deuxième mariage, qui le conduit au bord du suicide. Il déplore la vogue actuelle de l'éthique de crise, des renaissances dionysiaques et des apocalypses palpitantes, mais est professionnellement un historien intellectuel du mouvement romantique qui voyage avec un volume de poche des poèmes de Blake dans sa valise.

C'est un citadin de Montréal qui a passé la majeure partie de sa vie à Chicago et à New York, mais la seule chose qu'il possède est une ferme délabrée dans une zone dépeuplée des Berkshires. Il croit que "la fraternité est ce qui rend un homme humain", mais il a été cocu par son meilleur ami et est devenu un homme à une époque où six millions de ses compatriotes juifs ont été exterminés par les nazis et leurs alliés.

Sa mission sur są terre, il la voit comme "un grand fardeau destructeur d'individualité et de développement personnel", il sait de quoi il parle lui qui a échoué en tant que père, amant, mari, écrivain, universitaire et il fait face chaque jour et chaque nuit à la possibilité que son psychisme soit envahi par les processus d'auto-désintégration d'une véritable psychose.

Herzog est un grand livre parce qu'il a de grands personnages. D'abord, Herzog lui-même. Il erre, distrait, charmeur et nerveux, une sorte d'Oblomov intellectuel en cavale, un Pierre Bezhukhov du siècle thermonucléaire. Il revisite en imagination les scènes de ses mariages brisés, de sa carrière brisée, de son enfance. Il disparaît de New York, se présente à Vineyard Haven, s'envole pour Chicago, où, arme à la main, il aperçoit par une fenêtre l'amant de son ex-femme baignant la propre petite fille d'Herzog et se rend compte qu'il ne pourra jamais saisir la logique rapide de l'assassin.

Enfin, il revient à la ferme du Massachusetts où des hiboux se perchent sur les poteaux de son ancien lit conjugal et où la cuvette des toilettes contient de minuscules squelettes d'oiseaux. Tout au long de son cheminement mental et physique, il a composé des lettres - à des amis et des ennemis, des rivaux professionnels et des collègues, au général Eisenhower et Friedrich Nietzsche, à sa seconde épouse Madeleine, à une femme nommée Wanda avec qui il a eu une brève liaison pendant une tournée de conférences parrainée par la fondation dans les pays du rideau de fer.

Les lettres sont grincheuses, brillantes, poignantes et, bien sûr, elles ne sont jamais envoyées. Le livre, entièrement composé dans la tonalité de la voix et de la conscience d'Herzog, se tait. Mais nous savons que sa voix, malgré sa sauvagerie, son étrangeté et sa folie, est la voix d'une civilisation, notre civilisation.

Le livre réserve ses critiques les plus acerbes à ceux - et on les trouve sans doute aussi bien parmi les hommes publics que parmi les théologiens et les artistes - qui tentent de faire face homéopathiquement à la menace de violence sous laquelle nous vivons tous en cultivant une attitude analogue, une violence imaginaire ou un désespoir intempérant. 

Comme le dit Moses E. Herzog :

'Nous aimons trop les apocalypses... et l'extrémisme fleuri avec son langage palpitant. J'ai eu toute la monstruosité que je voulais.'
Lien : http://holophernes.over-blog..
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Avant de s'en aller

Avant de s'en aller, Before I go en anglais, est un ouvrage fort intéressant, retranscription d'un entretien réalisé sur deux jours en décembre 1999, entre deux écrivains, Saul Bellow et Norman Manea.

Saul Bellow, âgé de 84 ans au moment de l'entretien, est un écrivain américain, fils d'émigrés juifs russes arrivés au Canada en 1915. Il a écrit de nombreux romans et a reçu le prix Nobel de littérature en 1976.

Norman Manea est un écrivain roumain qui a émigré aux Etats-Unis en 1986.



De nombreux éléments rapprochent les deux hommes. Tous deux juifs ashkénazes, aux origines européennes, l'un de Saint Pétersbourg et l'autre de Roumanie, ils ont fait le choix de se consacrer à l'écriture, et ont enseigné dans la même université dans l'état de New-York. Ils se sont rencontrés à plusieurs reprises, dans des colloques ou des réceptions, et ont progressivement noué une solide amitié.

Dans un texte d'introduction, Réflexions sur Saul Bellow, Norman Manea pose le contexte et l'histoire de cette interview.

Norman Manea conduit l'entretien. Il va souvent droit au but et ses questions ne trouvent pas toujours de réponse. Il est sûrement plein d'admiration et veut tout savoir, de la biographie de son aîné, de sa famille, de ses motivations, de ses sujets de prédilection, de ses méthodes d'écriture.

La discussion tourne autour du thème central de la place de l'écrivain juif issu de l'émigration aux Etats-Unis, de la diaspora, de la Shoah, du sionisme. Norman Manea veut entraîner son ami sur le terrain des idées, mais ce dernier se revendique comme artiste et non comme intellectuel.

Les références littéraires sont nombreuses, Saul Bellow évoquant les auteurs dont l'influence a été majeure, Céline, Proust lu en français, Rousseau, Tolstoï, Shakespeare...

Le ton est souvent ironique, teinté d'autodérision, et des anecdotes amusantes ponctuent l'échange, notamment celles relatives à I.B.Singer.

Ce petit livre assez émouvant, donne envie d'approfondir l'oeuvre de Saul Bellow et de découvrir les écrits de Norman Manea.

Je remercie Babelio et les éditions La Baconnière.
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Un homme en suspens

Il s’agit du premier roman de Bellow et, pour moi, du premier contact avec cet auteur récompensé par le prix Nobel.

Le roman se présente comme un journal qui nous fait entrer dans le quotidien plutôt pauvre et morne de Joseph, à Chicago, durant l’hiver 1942-43. Il attend son intégration dans l’armée, intégration retardée du fait de sa naissance canadienne. C’est le journal d’une attente débilitante où se révèlent ses tendances paranoïaques. On assiste à la dégradation progressive de ses relations avec son entourage, où lui-même a du mal à se reconnaître dans ses comportements excessifs, du mal à faire l’unité entre ce qu’il est et ce qu’il croyait être…

Le personnage est très crédible (d’où l’impression d’inspiration autobiographique) mais je n’ai pas réussi à m’y attacher et l’ennui s’est vite installé. Je suis néanmoins allée au bout de ma lecture dont j’attendais sans doute trop à cause de l’étiquette Nobel, label de garantie d’un auteur hors pair. Il me faudra revenir à cet auteur pour me faire une meilleure idée de ce qui lui a valu cette reconnaissance…
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La planète de Mr. Sammler

LA PLANÈTE de M. SAMMLER de SAUL BELLOW

Monsieur Sammler a plus de 70 ans, vit à New York après avoir passé 20 ans à Londres, sa jeunesse en Pologne. Où qu’il se tourne, ce sont des morts auxquels il pense. Il est désormais à moitié aveugle. Il avait vu le monde s’écrouler une fois et craignait que cela ne se reproduise. Il a une fille, Shula. Certains étudiants lui font la lecture, des chevelus qui ne respectent plus l’autorité, il s’en inquiète, les trouve incultes et doit souvent leur expliquer l’étymologie des mots, d’ailleurs il restreint ses lectures aux auteurs du 18 ème siècle et à la bible ou maître Eckhart. Un jour dans le bus il est confronté à un pickpocket noir, énorme, qui le menace ouvertement, il ne compren plus ce monde, il en est resté à sa foi dans l’humanisme, la recherche pour aller dans la lune l’étonne, l’indiffère, seule la capacité à devenir un être humain lui paraît un but acceptable. Il a une nièce et un neveu, elle nymphomane, lui paumé, ils lui demandent souvent d’intervenir zuores de leur père, le prennent à témoin mais Sammler est un survivant improbable, ce qu’il a vécu l’a transformé, ils ne peuvent pas le comprendre tout comme lui ne comprend plus ce monde. Son histoire est à peine croyable…
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