AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Scholastique Mukasonga (324)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées


Kibogo est monté au ciel

Un roman qui se lit comme une série de contes tissés autour d'un axe commun : le récit de Kibogo. Les différents chapitres dessinent en trame de fond l'histoire de la colonisation religieuse du Rwanda et son implantation progressive. Sans être subjuguée par ce livre, je l'ai trouvé plein d'originalité et d'intérêt.

Commenter  J’apprécie          30
Kibogo est monté au ciel

Dans les années 1930 et 1940, le Rwanda voit arriver des missionnaires blancs qui viennent apporter la vraie foi en Yézu et Maria. Ces deux divinités nouvelles pourront-elles enfin faire pleuvoir sur la plaine desséchée ? Ou bien faut-il pour cela prier Kibogo, enlevé par le ciel un soir d'orage ? Les croyances s'affrontent, mais finissent aussi par se superposer et développer de nouveaux motifs, au gré des personnes qui les racontent et de celles qui les écoutent.

Dans quatre récits qui se suivent et s'emmêlent, l'auteure, tout comme les "tisseuses de contes" qui filent ces histoires, recrée à la fois la langue orale des conteurs, mais campe aussi ses personnages représentatifs : vieillards que l'on veut croire séniles mais qui sont dépositaires de la mémoire du peuple bien plus que les livre des Blancs, missionnaires qui ne voient que des superstitions païennes à combattre absolument, puis étudiants et chercheurs à la recherche de traces de sacrifices humains qui ne voient et n'entendent que ce qu'ils veulent, et parmi tous ces gens, les malheureux croyants ne sachant plus qui prier et tentant de concilier les rites ancestraux et les nouvelles instructions dénuées de sens.

Le plus beau dans ce tissage, c'est que les croyances qui semblent pourtant totalement opposées en viennent à se compléter et à se ressembler. Ainsi le séminariste défroqué réfugié sur la colline aux esprits et offrant du pain aux enfants, l'éminent professeur poursuivi par les nuages d'orage pour le punir d'avoir profané cette même colline, et finalement, le petit garçon malin qui espère bien qu'en échange des mystères de son peuple, il pourra aller dans une vraie école. Mettre sur le même plan les croyances populaires et la religion chrétienne permet de voir comment elles se nourrissent les unes des autres et donnent ainsi de beaux motifs à ce tissu de contes, tout en faisant sourire le lecteur de parvenir à ces rapprochements inattendus.
Commenter  J’apprécie          180
L'Iguifou : Nouvelles rwandaises

L’inguifu. Ce n’est assurément pas un livre facile à digérer, ce n’est pas un ouvrage que l’on avale goulument sans que le palais n’en sente le goût. Ce livre s’avale comme un sirop pour la toux, ou une aspirine effervescente. On anticipe le goût amer, on serre les maxillaires, on se renfrogne à l’odeur qui se rapproche des narines car on sent que ça ne va pas être bon.



Au fond de nous, nous savons qu’il faut se méfier de ce 4ème de couverture qui annonce "Rwanda", "faim" et qui nous penser "génocide". Nous entamons sur cette lecture à reculons, nous butons sur les premiers mots remplis de Kinyarwanda et de nom Hutus et Tutsi imprononçables.



Nous nous disons, "punaise, je me disais bien que ce livre serait abominablement chiant à lire", mais nous insistons, nous continuons à avancer dans la lecture peut-être parce que la voix de cette enfant qui invective sa faim personnifiée nous a déjà hypnotisée.



Peut-être parce que, petit à petit, les mots nous pénètrent, font tomber nos à priori et nous révèlent cette âme jeune qui ne se plaint pas de l’horrible manque de nourriture qui l’amène au bord du tombeau. Pas de complainte, pas d’injures au sort, pas de mots larmoyants. Rien que le dialogue d’une enfant avec la faim qui est devenue sa compagne. Une ombre permanente dont elle essai de protéger sa jeune sœur sous le regard impuissant de parents que l’on devine au bord du désespoir.



Cette "entrée" n’est que le départ d’un voyage qui nous emmène au cœur du Rwanda. Non pas au cœur de la guerre, mais autour, tout autour, avec, toujours, le génocide que l’on devine en toile de fond.



Dans ces vécus qui nous montrent le quasi-culte des Tutsi pour l’élevage de la vache, science transmise de génération en génération et qui fait la marque de ce peuple,

ces destins qui incombent à celles qui naissent avec la beauté faite vie et qui n’ont d’issues que la misère et la mort, sous le règne de régimes fous et d’un monde aux valeurs corrompues,

Cette peur qui laissent ses relents fétides dans les vies de ceux qui ont vécu l’indicible, qui vivent un présent de frayeurs permanentes. L’horreur anticipée dans l’âme d’une enfant que l’on voudrait entourée que de rires et de désir futiles.



Scholastique MUKASONGA est une auteure d’origine rwandaise qui a, dans sa façon de conter la vie un pragmatisme dans l’écriture et un rendu de l’intenable qui est magnifique.

Dans un style, parfois, quasi journalistique, très descriptive, elle nous apprend à connaitre le Rwanda, l’histoire de ces peuples autrement que par les spéculaires pétarades des canons dont sont friands les apôtres des dieux "Médias". Et si les premières bouchées peuvent sembler difficiles à ingurgiter, ce livre se déguste néanmoins avec le bonheur et la gravité de celui qui sait qu’il sortira de ce festin un peu plus humain qu’il ne l’était.


Lien : http://www.loumeto.com/spip...
Commenter  J’apprécie          71
L'Iguifou : Nouvelles rwandaises

Dans ses nouvelles, Scholastique Mukasonga donne la parole aux enfants de l’avant-génocide, quand la peur s’échafaudait lentement, pas à pas, semant ses grains insidieusement. Elle décrit un monde qui décline dans un quotidien grevée par la faim, la peur, l’appât du gain, l’exil à Nyamata...

Elle aborde le sujet de façon très pudique, par touches subtiles, en peignant la vie de ces enfants, hommes et femmes qui subissent une lutte qui n’a aucun sens pour eux. Elle suggère le massacre, mais jamais elle ne l’aborde de front, permettant ainsi au lecteur d’apprécier cette lecture pure et solaire qui cache une réalité sombre et sanguinaire.

- Seule la dernière nouvelle « Le deuil » parle - mais toujours très délicatement - des années des génocides au travers le vécu d’une jeune exilée qui apprend à vivre avec la mort de tous ses proches :

« Ce n’est pas sur les tombes ou près des ossements ou dans la fosse des latrines que tu retrouveras tes Morts. Ce n’est pas là qu’ils t’attendent, ils sont en toi. Ils ne survivent qu’en toi, tu ne survis que par eux. Mais c’est en eux désormais que tu puiseras ta force, tu n’as plus d’autre choix, et cette force-là, personne ne pourra te l’enlever, elle te rendra capable de faire ce que peut-être aujourd’hui il t’est impossible de prévoir. La mort des nôtres, et nous n’y pouvons rien, nous a nourris, non pas de rancœur, non pas de haine, mais d’une énergie que rien ne pourra briser. » (p. 120)

Cette jeune fille, c’est sans doute l’auteur elle-même qui a perdu les siens lors du génocide de 1994. Elle est l’une des rares rescapées de sa famille et par ces récits discrets, elle offre une digne sépulture à ses proches. Grâce à elle, nous n’oublions pas l’horreur afin de mieux lutter contre son retour…








Lien : http://lecturissime.over-blo..
Commenter  J’apprécie          70
L'Iguifou : Nouvelles rwandaises

L'Iguifou est un recueil de nouvelles sur le Rwanda. Quand on parle de ce pays, tout le monde pense au génocide de 1994 qui a fait environ 800.000 victimes. Ce que nous apprend ce livre, c'est que l'histoire du pays est pavée de massacres, et les enfants tutsis exilés au Bugesera car chassés de leurs terres quelques années auparavant, vivent dans le souvenir des tueries de 1959 ou 1963 et dans la hantise de la prochaine folie qui fera d'eux des victimes d'un conflit fratricide. Ils ont peur des Hutus, peur des militaires qui peut les tabasser ou leur tirer dessus juste pour s'amuser. Tout le monde, que ce soit à la maison ou à l'école, est prêt à fuir et se cacher dans la brousse lorsqu'on viendra les massacrer. Ça se produira à coup sûr, seule la date est inconnue.

L'auteure raconte une blague entendue dans la cour de récréation :

"Elle se rappelait l’histoire que lui racontaient en riant au lycée de Kigali ses camarades hutu :  Un jour, un enfant demanderait à sa mère :

— Dis-moi, maman, qui étaient ces Tutsi dont j’ai entendu parler ? À quoi pouvaient-ils bien ressembler ?

— Ce n’était rien, mon fils, répondrait la mère, ce n’était qu’une légende.” 



Les nouvelles intitulées La faim (l'iguifou), la peur, le deuil, font toutes référence à l'exil intérieur imposé aux Tutsis et aux massacres. J'ai beaucoup aimé celle qui s'intitule "La gloire de la vache", qui montre l'importance de cet animal dans la culture des Tutsis. Leur bétail a été massacré lorsqu'ils ont été chassés de leur terre, et pour eux ce n'était pas seulement une perte économique, c'était une humiliation qui fut vécue presque comme une perte d'identité pour ce peuple d'éleveurs. L'auteure décrit des actions telles que mener les vaches au pâturage ou les traire comme un cérémonial, et elle raconte l'espèce de désespoir qui a envahi son père suite à la perte de son cheptel.



Le tout est écrit dans un style très plaisant, sans jamais tomber dans l'horreur malgré le caractère abominable des évènements passés. Beaucoup ont écrit suite au génocide rwandais, peu l'ont fait avec autant de délicatesse.
Commenter  J’apprécie          14
L'Iguifou : Nouvelles rwandaises

L'Iguifou, c'est la faim qui ronge le ventre des petites Tutsi exilées à un tel point qu'il leur rend si belles et lumineuses les portes de la mort. Alors on se souvient de la vache, du lait, sacré, que l'on buvait assis par terre le dos bien droit et les jambes allongées.



La peur par contre n'a pas de nom mais c'est leur ange gardien, toujours être prêt à se jeter dans les fossés épineux quand un camion de militaire s'amuse à lancer une grenade ou à tirer dans les jambes des écoliers.

Il y a aussi la triste histoire d'Helena, la plus jolie fille de la région, et ce deuil, si difficile à accomplir en exil avec juste devant soi la liste des membres de la famille victimes du génocide.



L'écriture de Scholastique Mukasonga est très belle et reste légère et sereine malgré la gravité du sujet.

Commenter  J’apprécie          223
L'Iguifou : Nouvelles rwandaises

Chaque phrase, chaque mot composant les cinq nouvelles de ce recueil, L’Iguifou, nouvelles rwandaises, empoigne notre cœur qui s'emplit d’angoisse, amène un trop plein de sang qui fait bourdonner nos oreilles et grésiller devant nos yeux le contexte du génocide qui plane au dessus de chaque nouvelle sans jamais véritablement être là. La poésie de l'écriture et de la narration fait que tous les personnages de ces nouvelles sont les rescapés, les réfugiés tutsi, ceux qui ne sont pas mort et qui doivent vivre avec la faim, la peur, le deuil mais aussi avec la nostalgie de leur pays et de leurs vaches. Ceux qui ne veulent ou ne peuvent pas nommer le génocide avant la dernière nouvelle.
Commenter  J’apprécie          10
L'Iguifou : Nouvelles rwandaises

Scholastique Mukasonga est rwandaise. Elle a eu la chance de quitter son pays avant le génocide des années 90, qui a conduit au massacre de 800 000 rwandais, hutus ou tutsis. Mais ce ne fut pas le cas de sa famille, dont presque tous les membres ont été tués. Alors il n'est pas surprenant de retrouver en filigrane, dans les nouvelles de ce recueil, l'évocation de ce massacre. Mais l'art de Scholastique Mukasonga est de mêler à ce thème funeste une écriture splendide qui plonge le lecteur dans l'histoire de cette région d'Afrique.



Cinq nouvelles composent ce recueil. La première donne son nom au recueil : L'iguifou. Pour la petite Colomba, l'iguifou est la faim qui la tenaille lorsqu'elle n'a même plus quelques grains de riz pour la nourrir. L'attente de sa mère qui est sensée apporter quelques fruits ou racines occupe toute entière la petite fille, qui ne parvient pas à oublier sa faim, jusqu'à être éblouie par une lumière étincelante.
Lien : http://livres-et-cin.over-bl..
Commenter  J’apprécie          40
L'Iguifou : Nouvelles rwandaises

Très bien ecrit. C'est une écriture un peu poétique facile et agréable à lire.
Commenter  J’apprécie          50
L'Iguifou : Nouvelles rwandaises

« L’Iguifou », c’est la faim. Celle qui vous tenaille, vous fait mal au ventre, celle qui vous réveille avant le lever du jour. C’est celle qui rend vos yeux plus grands lorsque vous guettez la rondeur pleine de promesses du balluchon de votre mère. Ce méchant Iguifou, c’est celui qui vous emmène aux portes de la mort et c’est celui qu’a connu l’auteur, Scolastique Mukasonga, alors qu’elle était exilée dans la région insalubre du Bugesera, au Rwanda. Parce qu’elle était Tutsi.

Dans ce recueil de nouvelles, l’auteur nous fait partager ses souvenirs rwandais. Que ce soit à travers les personnages de Colomba, Kalisa ou Asumpta, l’auteur dévoile son ancienne vie, celle d’avant le génocide. Un temps où déjà les signes avant-coureur annonçaient le pire…

« La gloire de la vache » nous rappelle que les Tutsis étaient au tout début des éleveurs pour qui les vaches revêtaient une extrême importance. Source de prospérité, la vache apportait chance et nourriture à celui qui en possédait une. Retirer ces bêtes aux Tutsis, c'était leur ôter de quoi survivre mais aussi de quoi rester dignes.

« La peur », c’est celle qui n’a jamais quitté les Tutsis lorsque les persécutions ont commencé. On la guette et, au premier signe - un nuage de poussière au loin, des buissons qui bruissent – on s’enfuit et on se cache.

« Le malheur d’être belle », c’est l’histoire d’Héléna. Jeune femme très belle… mais tutsi. Son avantage physique va décider de son destin. De maîtresse adorée, elle devient prostituée, répudiée et contrainte à l’exil.

Enfin « Le deuil » est la seule nouvelle qui aborde directement le génocide et le thème des survivants. Comment continuer à vivre alors que tous nos proches ont été tués ? Comment « faire son deuil », leur dire au revoir, alors qu’il n’y a pas de corps à pleurer, alors que l’on est exilé dans un autre pays ?

Dans ce livre, Scholastique Mukasonga, tout en sobriété et poésie, nous conte son malheur et celui des siens.

Commenter  J’apprécie          70
L'Iguifou : Nouvelles rwandaises

****

Dans ce recueil de 5 nouvelles, Scholastique Mukasonga nous fait partager la dure vie et les terribles souvenirs des Tutsis au prémices du génocide.

Avec douceur et poésie, elle arrive à poser de jolis mots sur cette période sombre.

Il est toujours compliqué de parler de nouvelles, mais ce recueil là est à savourer... En souvenir... Et pour ne pas oublier...
Commenter  J’apprécie          270
L'Iguifou : Nouvelles rwandaises

La dédicace / citation de Michel Leiris, à la première page de l’Iguifou de Scolastique Mukasonga, peut nous donner une piste :

L’Afrique - qui fit – refit - et qui fera.



Avec lyrisme, et en plusieurs nouvelles du même sujet, l’auteure parle de ce cruel magicien dont les Tutsis ont été frappés au cours du génocide. Ce qui fit l’Afrique, malgré ses magnificences, et en particulier Nyamata, ou l’Iguifou ricane au fond des ventres. Avec sa famille, ce sont des déplacés à Nyamata, où rien ne pousse, dans de misérables cases.

“Mon père espérait obtenir un peu de riz à la mission, ce

qui n’arrivait pas souvent, ou gagner quelques pièces pour

acheter du sel en rédigeant la lettre ou le formulaire administratif d’un gendarme ou d’un notable illettré”

Le faim, c’est toujours plus que la faim, et pour Scolastique et sa petite sœur, cherchant dans le fonds d’une casserole en terre des débris de nourriture, eh bien, mieux vaut dormir si on peut, car l’iguifou déchire leurs ventres de toutes ses griffes.

L’iguifou, c’est la faim.

Ce que l’Afrique fit, et refit, ce sont les rêves, comme ceux qui assaillent la petite Colomba.

Un monde si beau !

Entre rêves d’un monde qui n’existe plus, puisque l’héroïne meurt de faim, les croyances et les interdits de manger tel ou tel mets, même si cela conduit à la mort, par exemple (honteux)boire du lait de chèvre au lieu du lait de vache.

Il n’y a plus de vaches, tuées par les militaires, plus de lait, plus de vie.

La peur s’installe, qui poursuit l’auteure jusque dans des boulevards européens. Va-t-il me tuer ? se demande-t-elle, comme elle devait se le demander devant un militaire, un milicien, un inconnu.

Car la mort est partout, en embuscade. En contraste, la « belle Hélène » dont la beauté a fait le malheur, deuxième bureau d’un homme pas clair, et je ne parle pas de la couleur de peau, puis d’autres, dont Mobutu Sese Seko, aux assauts duquel elle doit être livrée puisqu’aucune Zaïroise, aucune Burundaise, n’accepterait.

La mort des Tutsis, précédée par la mort des vaches, leur principale fortune, la faim la peur le génocide, et la visite à tous ces morts, leurs morts.

Dire tout de même que le régime rwandais est Tutsi depuis 1994.

L’Afrique, qui fera.

Commenter  J’apprécie          6237
La femme aux pieds nus

« Maman, je n’étais pas là pour recouvrir ton corps et je n’ai plus que des mots – des mots d’une langue que tu ne comprenais pas – pour accomplir ce que tu avais demandé. »



C’est pour parer d’un linceul sa mère que Scholastique Mukasonga a écrit ce livre. Un linceul de mot pour lui rendre hommage, à elle ainsi qu’à toutes les autres mères ; les Mères Courage, les Mères Bienveillantes, celles qui ont donné la vie, leur vie, jusqu’à en mourir pour sauver leurs enfants. Car l’auteur est rwandaise et Stefania sa mère, comme des milliers d’autres tutsis, a péri dans la folie génocidaire de 1994. Elle a relaté cette expérience dans son premier livre, Inyenzi ou les Cafards. Dans La femme aux pieds nus, l’écrivain dresse un portrait des réfugiés tutsis au Bugesera, cette province du Rwanda où arrivèrent tant de déplacés, dont ses parents. Elle passe en revue les thèmes du quotidien. A quoi ressemblent les maisons ? Comment se nourrit-on ? Quelles traditions se perpétuent ? Quelles sont celles qui se perdent ? Quelle est la place des hommes, des femmes, des enfants au sein de la famille, du village, de la société ? Toutes ces questions auxquelles elle répond nous apprennent beaucoup. Même certains détails qui paraissent insignifiants au premier abord, deviennent sous sa plume des découvertes d’un monde inconnu. Le chapitre consacré au sorgho par exemple, est passionnant. On y découvre toute la variété des utilisations, sa symbolique, sa place dans l’imaginaire collectif. « Le sorgho, c’était le roi de nos champs ».



Mais au-delà du propos sur le quotidien, c’est bien sûr un témoignage pour les femmes, pour dire toute le courage dont elles ont fait preuve pour surmonter les difficultés. A l’image de Stefania, qui prévoit sans cesse de nouvelles cachettes pour ses enfants en cas d’attaque, ou de Gaudenciana, qui garde ses sept fils auprès d’elle de peur qu’ils ne se fassent tuer. Finalement, on parle assez peu des hommes, hormis quelques figures comme celle du père et des frères de l’auteur. Les hommes ne sont-ils pas ceux qui ont porté la mort…? Certaines scènes sont lumineuses, malgré l’horreur qui se préfigure; comme celle des vermifuges naturels utilisés pour les bambins malades. On se surprend à sourire malgré ce que l’on sait de l’après.



Ce texte pudique et fier est un témoignage de ce qui ne sera plus. Si une certaine mélancolie vous étreint en le refermant, c’est la preuve que, grâce aux mots, nous pouvons faire revivre ceux dont la voix s’est éteinte à jamais. Il est du rôle des survivants de nous la faire entendre.



http://manouselivre.com/la-femme-aux-pieds-nus/
Lien : http://manouselivre.com
Commenter  J’apprécie          40
La femme aux pieds nus

" Maman, je n’étais pas là pour recouvrir ton

corps et je n’ai plus que des mots — des mots

d’une langue que tu ne comprenais pas — pour

accomplir ce que tu avais demandé. Et je suis

seule avec mes pauvres mots et mes phrases, sur

la page du cahier, tissent et retissent le linceul de

ton corps absent."

Ces mots sont pour Stefania, la mère de Scholastique Mukasonga disparue avec toute sa famille lors du génocide des Tutsi au Rwanda en 1994. Scholastique vivait en France depuis peu après avoir fui au Burundi. Il lui aura fallu attendre 2004 pour avoir le courage de revenir au Rwanda , pour retourner dans le Bugesera cette région inhospitalière où les Tutsi avaient été "déplacés"....

Sonnée, je suis sonnée. Des pages inoubliables où l'amour d'une fille pour sa Mère, la Mère nourricière, la femme aux pieds nus , transcende chaque mot en cri d'amour. Ce roman inoubliable a été récompensé en 2008 par le Prix Seligmann contre le racisme et l'intolérance.
Commenter  J’apprécie          400
La femme aux pieds nus

Une mère met tout en œuvre pour sauver ses enfants des horreurs de la guerre et des exactions au Rwanda. L’auteur décrit des traditions menacées de disparaître, ainsi que tout un peuple.



Mukasonga rend hommage à toutes les victimes, femmes, mères, hommes et enfants, du génocide subi par les Tutsi au Rwanda. A travers le portrait de sa mère, l’auteur recueille diverses traditions et savoirs du peuple tutsi. L’hommage à la mère devient universel, et devient aussi un hommage à un peuple décimé.



Avec une déférence extraordinaire, Scholastique Mukasonga rend hommage à sa mère. Pas de pathos, un style simple et élégant, précis. Hommage, transmission d’un savoir, mais aussi hymne à la vie, ce petit livre, très simple en apparence, est tout ça. Il ne faut pas s’y tromper : c’est un très grand livre. Mukasonga partage avec le lecteur l’histoire de son peuple, et c’est un honneur pour le lecteur de pouvoir lire ceci. Un très très beau livre !

Commenter  J’apprécie          20
La femme aux pieds nus

Un roman féministe

Publié en 2008 j'ai découvert ce roman récemment au hasard d'un échange avec l'autrice elle-même à l'occasion du prix Simone de Beauvoir qu'elle a reçu en 2021. C'est peu de dire que ce récit m'a touchée. C'est peut-être de tous les livres que j'ai lus de Scholatique Mukasonga, celui que je préfère. Livre "linceul", livre tombeau consacré à la mère, il est aussi le livre des femmes : mères, sœurs, tantes, voisines, amies. Hommage à la mère, Stefania, femme forte, mère protectrice, nourricière, curatrice, libre dans sa condition de déportée. Mais au delà de ça, c'est un livre de la féminité qui s'interroge sur l'image de la femme et sur sa représentation. C'est aussi un récit qui brise les tabous de la sexualité féminine, évoquant coutumes et mariages (réussis et manqués). Récit aussi de la terrible condition des femmes par temps de guerre, récit du viol, arme de destruction massive parce qu'il broie l'individu et démembre la structure sociale, met à mal la collectivité. Comment ne pas penser aux prix Nobel Denis Mukwege

dans ces pages qui évoquent le viol ? "les viols. Personne ne voulait en parler. Personne ne pouvait en parler. Il n'y avait rien dans la coutume qui permettait de faire face à cette catastrophe qui bouleversait les familles" . Pour lire des extraits cliquez sur mon adresse web.


Lien : https://twitter.com/claire_t..
Commenter  J’apprécie          50
La femme aux pieds nus

Happant. Prenant. Bouleversant. Un livre que j'ai dévoré.

Scholastique Mukasonga nous emmène loin de France, à la rencontre du Rwanda, à la découverte d'une culture à cent mille lieues de la nôtre dans un contexte complètement différent. Elle raconte les champs de sorgho, l'enfance tendre et belle, les nombreux frères et soeurs, les coutumes, le quotidien de son peuple. Et plus encore, elle raconte sa mère, Stefania. Une femme de courage, une lionne dont la principale obsession est d'assurer la survie de ses enfants dans un monde qui ne veut pas d'eux. Car c'est la guerre entre les Hutus et les Tutsis. Ou plutôt, c'est le massacre des Tutsis depuis que les Hutus ont pris le pouvoir. le danger est partout. Ils sont déportés, battus, leurs maisons sont saccagées, leurs femmes violées, leurs enfants tués, leur culture menacée... Toute leur vie est organisée autour de la survie. À tout instant, les enfants doivent être capables de se cacher pour réussir plus tard à franchir la frontière du Burundi – dans le meilleur des cas.



Scholastique Mukasonga raconte son évolution au sein de cet univers à la fois hostile et chaleureux, dans l'ombre d'une mère qu'elle aime et admire – à raison ! Une mère qui la protège, une mère qui est un modèle de dévouement pour sa famille. On ne peut s'empêcher d'admirer la force et le caractère de cette femme si particulière et si extraordinaire.



L'histoire décrit le quotidien de la famille au travers de petites anecdotes qui nous montrent à quel point la culture de ce peuple, ses habitudes, ses croyances sont différentes des nôtres. Certaines choses sont tellement inenvisageables pour nous qu'on se demande parfois si on vit sur la même planète !



Leur quotidien est rempli de surnaturel, ils vivent en permanence avec leurs contes et leurs légendes. Parfois merveilleuses, celles-ci sonnent aussi comme des excuses pour cacher une réalité bien difficile à avouer. Pour eux, un foetus peut très bien se mettre à vagabonder dans le corps de sa mère, mais cela l'empêche de se développer et retarde l'accouchement. Durant son enfance, Scholastique a ainsi connu un homme qui a attendu l'enfant dont sa femme prétendait être enceinte pendant cinq ans. Cinq ans ! Moui. Ils sont bien naïfs, les maris.

Une autre croyance que j'ai trouvé très belle, c'est celle des larmes de la lune, qui tombent parfois sur le ricin, un arbre particulier

J'aime cette ambiance entre réel et magie. Pour les Rwandais, tout est prétexte à maléfice ou enchantement. On dirait encore un monde d'enfant.



Je recommande ce livre à TOUT LE MONDE. Ne serait-ce que pour avoir connaissance de ce génocide qui a lieu au Rwanda. Mais aussi pour pouvoir découvrir la plume de Scholastique Mukasonga, entraînante, enivrante, enchanteresse.
Commenter  J’apprécie          40
La femme aux pieds nus

Cela commence par une bienveillante injonction :"Personne ne doit voir mon corps"; puis une mise en garde : "Personne ne doit voir le cadavre d'une mère sinon cela vous poursuivra"; et enfin un conseil : "Il vous faudra aussi quelqu'un pour recouvrir votre corps".



Mais comment faire dans un Rwanda en proie aux maladies, à la famine et aux massacres ? Quelle place pour la filiation, quelles mécanismes de transmission au sein d'une famille, dans les établissements scolaires ou même au quotidien quand le danger rôde ?



Ce récit qui aurait pu être sombre se révèle riche de vie à travers des anecdotes et souvenirs narrés par des femmes déterminées.



Commenter  J’apprécie          250
La femme aux pieds nus

Vingt-sept membres de la famille de l'écrivaine ont été massacrés pendant le génocide rwandais. Stefania, sa mère tutsie, était des victimes et ce livre rend un hommage magnifique à cette femme africaine contrainte à l'exil avec sa famille à Nyamata, sous la perpétuelle menace des soldats hutus du camp Gako. Nous sommes dans la région inhospitalière du Bugesera, là où sont déportés les tutsis du nord depuis les massacres ethniques qui les ravagèrent en vagues successives depuis 1959.





"Ma mère n'avait qu'une idée en tête, le même projet pour chaque jour, qu'une seule raison de survivre : sauver ses enfants. Pour cela elle élaborait toutes les stratégies, expérimentait toutes les tactiques."



Le livre raconte comment Stefania préserva et éleva ses enfants, cultiva la terre, fit des projets pour eux comme le font les mères rwandaises, selon leurs coutumes, selon leur pauvreté, attentives aux présages du ciel, des corbeaux, des plantes et des eaux du lac. La description du mode de vie et des codes de cette famille est une source d'information sociologique et ethnographique étonnante. Malgré l'épée de Damoclès — un piétinement de bottes sur la piste, une fusillade dans la nuit, l'arrestation d'un voisin —, subsiste une volonté de vivre dignement comme elle l'a fait autrefois sur les pentes des collines, sous le couvert des bananiers. L'époque racontée doit remonter aux années septante, un peu plus tôt peut-être, alors que Scholastique était adolescente (l'auteure est née en 1956).





Stefania n'aime pas l'habitation de torchis et de tôle, "vide d'Esprits", où logent les déportés. Elle veut sa case, l'inzu, la maison de paille, roseau et papyrus, tressée comme une vannerie. L'eau pour le poisson, l'air pour les hommes, l'inzu à Stefania, une maison où elle pourra vivre une vraie vie de famille, où on entend moudre les grains de sorgho sur la pierre, le clapotis des cruches où fermente la bière, le rire des enfants et le bavardage insouciant des jeunes filles. Elle connut le grand bonheur de voir son fils fonder une famille de neuf enfants, dont sept garçons. La famille se perpétuerait donc si quelques-uns survivaient. Elle se trompait.



"Ma raison de vivre est de représenter ce peuple massacré comme des "cafards", de redonner une identité à ces personnes, de faire admettre qu’il avait droit au premier des droits de l’homme, le droit de vivre." Voilà comment s'exprime Scholastique dans une interview à La Libre Belgique.



Le génocide n'est pas l'objet du livre mais il est partout présent. Dès les premières pages, des responsables sont désignés, à savoir les autorités hutu, placées par les Belges et l'Église à la tête du Rwanda nouvellement indépendant.



Plus loin, il est question d'histoires qu'on racontait qui n'étaient pas celles des tutsis: "Les Blancs avaient déchaîné sur les Tutsis les monstres insatiables de leurs mauvais rêves. [...]. Ils prétendaient mieux savoir que nous qui nous étions, d'où nous venions." L'auteur veut parler du mythe hamitique construit par l'explorateur John Hanning Speke : le peuple tutsi serait une minorité raciale supérieure aux Hutus car il n'est pas originaire du Rwanda mais d'Éthiopie. Ce mythe a été utilisé par les extrémistes hutus pour mobiliser les citoyens ordinaires contre les tutsis «envahisseurs» lors du génocide de 1994.



Le journaliste Jean Hatzfeld dans Une saison de machettes (2003) a interrogé des génocidaires de la région rwandaise. Il explique dans un entretien (Afrik.com) pourquoi il a voulu s'adresser aux tueurs et ce qu'il en a retenu.





On constate que derrière ce livre simple, authentique, d'une grande sobriété, subsistent des blessures irréparables et l'immense question des responsabilités, à laquelle ce modeste billet ne saurait répondre.



La femme aux pieds nus a obtenu le Prix Seligmann.




Lien : http://www.christianwery.be/..
Commenter  J’apprécie          120
La femme aux pieds nus

A l'occasion d'une rencontre littéraire à Caen, Scholastique a dédicacé ce livre à mon épouse et à moi-même. Je l'ai lu bien sûr ; l'on percevait déjà les tout premiers signes de la catastrophe qui submergerait plus tard le Rwanda, à travers le récit de son enfance, et l'hommage qu'elle rend à sa mère.



Je retrouve ce livre perdu dans mes rayonnages consacrés aux écrits du monde Noir à l'occasion d'une mise en ordre générale de ma bibliothèque. C'est un beau livre. Les livres qui rendent hommage aux Mères sont toujours beaux... Pat
Commenter  J’apprécie          10




Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Scholastique Mukasonga (1419)Voir plus

Quiz Voir plus

la chambre des morts

Comment Vigo et Sylvain obtiennent-ils les 2 millions d'euros?

en kidnappant une petite fille
en renversant un piéton
en participant à un trafique d'animaux

8 questions
45 lecteurs ont répondu
Thème : La chambre des morts de Franck ThilliezCréer un quiz sur cet auteur

{* *}