Une colère poétique froide se fait jour lorsqu’aux frontières sauvagement imposées aux hommes s’ajoute tant et plus de mépris face au reste du vivant.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2021/07/22/note-de-lecture-de-la-bete-et-de-la-nuit-seyhmus-dagtekin/
Depuis 1997, dix recueils de poésie, un roman (« À la source, la nuit », en 2004) et un manifeste (« Sortir de l’abîme », en 2018), que ce soit directement en français ou depuis le turc ou le kurde, témoignent année après année de la ferveur – n’excluant jamais une forme de rage refondatrice ni une variante de tendresse légèrement désespérée – avec laquelle Seyhmus Dagtekin lutte de tout son être face à ce qui déchire les êtres humains, que la lame coupable surgisse des histoires familiales maltraitées ou des injustices collectives orchestrées par des nations avides – dont rendaient compte par exemple les flots terribles de « Ma maison de guerre » en 2011 ou de « À l’ouest des ombres » en 2016.
Avec ce onzième recueil, ou plutôt ce long poème en quatre parties, qu’est « De la bête et de la nuit », publié début 2021, toujours au Castor Astral, c’est néanmoins peut-être la première fois que l’on sent sourdre à ce point, chez le natif de Harun (Kurdistan turc), vivant en France depuis 1987, une colère nimbée de férocité, en constatant que, à la guerre de l’Homme contre l’Homme qui le hante depuis si longtemps, s’ajoute chaque jour davantage, malgré les constats et les appels toujours plus urgents, une guerre menée au vivant, avec une immense désinvolture, au mieux, et de cyniques combats retardateurs, dans bien trop de situations.
Alors même qu’une lutte constante de la part du poète et de tout ce qu’il inspire et dont il s’inspire tente depuis longtemps de corriger, d’affaiblir et de gommer les frontières artificielles instaurées entre les peuples et les nations, entre les ici et les là-bas, la métaphore se fait ici pour ainsi dire plus cruelle lorsqu’il faut rendre compte du mépris ne ralentissant guère vis-à-vis de ce qui est vivant et qui ne serait pas « nous ». La putréfaction se faufile dans la poésie, de « Exit la terre » à « Tout aussi gras que tu ruines », en pensant par « À chacun son dû, à chacun sa part », au fur et à mesure que notre avidité dégrade, assèche et tue, fort loin des avertissements déjà anciens d’une Rachel Carson ou des efforts diplomatiques plus récents d’un Baptiste Morizot, pour ne citer qu’eux. Une amertume décisive se construit sous nos yeux dans l’écriture de Seyhmus Dagtekin, que même la dernière partie, « Lola au clair de lune », ne parvient pas à effacer, alors que gronde une colère sans pareille, qui appelle moins que jamais la résignation.
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