Citations de Sándor Márai (676)
Chacun possédait toujours une bibliothèque, mais rares étaient ceux qui y cherchaient une Réponse : ce qu'on demandait, à présent, c'étaient des connaissances précises, des moments de distraction, quelque surprise, un choc ou un scandale. [...] Mais aussi ... parce que, selon le constat ultérieur de certains sages, et quel que fût le contenu du livre, la liturgie même de la lecture avait déjà été supplantée par celle, combien profane, de l'image - image que l'on n'avait nul besoin de comprendre, que l'on pouvait se contenter de regarder bouche bée, sans accomplir le moindre effort intellectuel.
p.298
Si l'homme reste solitaire, c'est qu'il est orgueilleux, qu'il n'ose pas accepter le don – quelque peu redoutable, il est vrai – de l'amour. Parce qu'il joue un rôle et qu'il juge ce rôle plus important que l'expérience de l'amour.
Sans elle [la théâtralité], Lajos n’aurait pu exercer aucun pouvoir ; tôt ou tard il aurait été rejeté de partout , comme un illusionniste, un saltimbanque de l’esprit dont le public d’abord amusé ou indigné, fini par se lasser une fois les ficelles et les intentions dévoilées
En effet, approuve le général, autrefois je ne lisais pas. Mais, de nos jours, les livres s'expriment bien plus librement.
C'est comme si les habitants de la cave étaient devenus fous, qu'ils se déshabillaient, brûlés par une chaleur insupportable, comme si un incendie latent embrasait soudain les profondeurs de l'immeuble, comme si on ne pouvait plus attendre ou se préparer; il faut parler, dire ce qu'on a tu, pas seulement la veille, et les dix-huit jours et nuit précédents, mais depuis plus longtemps, pendant des années, pendant toutes les périodes d'infinie souffrance de la vie.
Tout est prêt, les soldats, les canons, les chars, les mines antichars, la gens, la ville toute entière dans ses caves et ses immeubles sans éclairage, tout le monde attend, sans rien pouvoir faire; car enfin, ça y est, ce qui était en gestation est arrivé à terme.
Nous étions donc assis, mon ami et moi, (László Bárdossy) dans ce restaurant à Buda, et ce pays qui était passé du matin au soir d'État pro-allemand mais neutre à celui d'un État en guerre du côté allemand et lié à l'Allemagne à la vie et à la mort ; ce pays obscurci par l'ombre effrayante de la guerre se réveillait ce soir-là de ses songes irresponsables des vingt années précédentes et se trouvait confronté à présent à la réalité cruelle et inexorable. Comment se passa ce réveil?...(page 176)
Tout cela, j'en étais conscient ce matin de mars ...(mars 38, l'Anschluss...) où je m'étais installé à mon bureau -comme tous les jours depuis des dizaines d'années -dans le but de poursuivre cette entreprise obsessionnelle, le travail entamé. Je savais tout cela et, d'une certaine façon, je ne le savais pas. En réalité, j'écrivais pour une poignée de connaisseurs en matière de littérature, et puis pour dix à quinze mille lecteurs issus de la bourgeoisie (page 32).
Le souvenir est un crible merveilleux qui filtre tout .
Souffrir est la destinée des hommes.
" Exiger la fidélité n'est-ce pas agir en égoiste et en présomptueux ? Voulons-nous réellement le bonheur de l'être aimé quand nous lui réclamons sa fidélité ? "
" Assise devant son miroir, elle observait, sa beauté qui se fanait "
..“avant le concert, je longerais le bord de l’Arno, je me promènerais jusqu’à Cascine. Ou plutôt non, je traverserais le Ponte Vecchio, j’irais voir le marché des argentiers, je saluerais la statue de maître Cellini…Non, en fait je me baladerais sur la Via Tuorbuoni, je boirais un vermouth chez Giacosa, je regarderais les belles de Florence et leurs fringants soupirants. Ce serait magnifique, je laisserais lentement Florence agir sur moi avec l’émerveillement intelligent d’un admirateur initié…”
La vieillesse, cette voleuse, cette meurtrière. Un jour, elle entre dans ta chambre, cagoulée comme un cambrioleur, elle arrache des deux mains ta crinière, elle t'envoie son poing en pleine figure, elle te fait sauter les dents, elle vient dérober la lumière de tes yeux, la musique qui résonne dans tes oreilles, les saveurs qui flottent encore dans ta bouche...
Je vis à Paris mais il est rare que je m'en rende compte. Cela fait un an que je n'ai pas donné de nouvelles chez moi et ils m'ont sûrement enterré. (p. 249)
Le sculpteur s'empara du poignet de la fille et, comme pour réparer une erreur, en secouant la tête il rendit la main à sa propriétaire.
"Oui, il est docteur mais pas médecin", dit-il, satisfait de lui-même. "Vous êtes docteur en quoi déjà?
-Es philosophie !" répondit-il.
Il pencha la tête. Tous riaient à présent parce qu'il arborait la physionomie de quelqu'un qui regrettait de s'être profondément trompé de vocation. (pp. 123-124)
Je méprise ceux qui méprisent l'argent. Il y a plus d'imaginaire dans un billet de mille dollars que chez un écrivain ou un peintre moyen. Dedans, il y a du voyage, et si je veux, de l'art également. Il y a de tout, dans certaines limites.
"Les deux enfants comprenaient qu'ils vivaient un moment privilégié, miraculeux de la vie".
"On se prépare parfois, la vie durant, à quelque chose. On commence par être blessé et on veut se venger. Puis on attend. Le général attendait depuis fort longtemps et ne savait même plus à quel moment l'offense et le désir de vengeance s'étaient transformés en attente."
-J'entends une question, répondit-il gravement, avec recueillement. Une question non formulée : quel est le mensonge ici ? Je veux dire, comment le mensonge de toute une vie peut-il se transformer en maladie ?...Vous me comprenez ?"
Bien sûr que je le comprenais... Et je sentais aussi que cette fois -la première depuis notre rencontre- cet homme ne me "soignait" pas mais qu'il me guérissait, c'est-à-dire qu'il me donnait ce que j'avais attendu en vain jusqu'ici, avec une exigence jalouse et muette : la vérité.