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Citations de Stéphane Audeguy (130)


Opera Mundi

L'homme européen aime à oublier la nature. Le séisme philosophique déclenché par le tremblement de terre de Lisbonne est, à cet égard, le moment crucial où le penseur des Lumière s'est trouvé rappelé au désordre de la nature. Il en est d'autres, de temps à autre : l'éruption du Krakatoa en 1883, que j'ai longuement décrite dans La Théorie des nuages, le tsunami de décembre 2004 en Asie du Sud-Est, l'éruption du volcan islandais Eyjafjöll en 2010. Mais la civilisation technicienne a produit, elle, des impensables d'un nouvel ordre : Hiroshima et Nagasaki, Tchernobyl, Fukushima. Tandis que les technocrates, comme toujours, fournissent le lexique approprié à de nouvelles falsifications : on veut nous faire dire accident au lieu de catastrophe ; et les journalistes docilement s'exécutent. On s'étonnera peut-être de trouver ici, en un essai littéraire, comme on dit, et s'agissant de romans, une référence à ces catastrophes ; j'écris certainement d'avantage en rapport avec ces événements qu'en relation avec ce qu'il est convenu d'appeler mes contemporains, ou même avec le contemporain.

Maintenant souvenons-nous des images de la dernière catastrophe à ce jour, celle de Fukushima : qu'avons-nous vu, dans un premier temps ? Un spectacle étrange, parce que sans victimes : d'abord parce que les médias japonais répugnent à les montrer au public ; ensuite parce que la puissance du tsunami réduisait brusquement tous les objets à une échelle dérisoire : ces petites boîtes que charriaient la vague surpuissante, il nous fallait faire un effort pour y reconnaître enfin d'énormes 4X4. Et c'est cela que l'image nous signifiait : non pas tellement un phénomène naturel, mais celui d'une civilisation matérielle brusquement perceptible pour ce qu'elle est, c'est-à-dire la plus fabuleuse production d'objets de l'histoire universelle. Ce que nous avons vu filer follement sur les plaines cultivées du Japon, ou dans les avenues changées en fleuves de boues, emporté par les eaux noires indifférentes, chalutiers et poteaux électriques, voitures et maisons, bâches agricoles et rails de sécurité, c'est notre monde : celui des choses. Nous avons assisté au choc de deux puissances : d'un côté l'énergie déchaînée de la Nature, d'une violence inouie. De l'autre côté, l'énergie de la civilisation occidentale mondialisée, incarnée dans tous ces objets manufacturés, ici vaincue, balayée.
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Il n'était pas de tout repos de nourrir un lion et un chien. Personne n'avait jamais tué une bête de sa vie et le voyage en mer semblait l'avoir rendu plus délicat encore. Il avait toujours eu peu des lapins, et il ne pouvait voir une poule vivante sans témoigner la plus vive répugnance. D'ailleurs les plumes le faisait éternuer. Hercule partageait cette phobie des oiseaux, qu'il poussait jusqu'à ne pouvoir en manger. Aussi Jean Dubois, qui avait grandit à Paris et s'était attiré pendant toute sa jeunesse, les quolibets de ses semblables, parce qu'il s'évanouissait à la seule vue du sang, et faisait de grands détours pour ne pas côtoyer les étals de boucherie, terrains de jeux de tous les enfants de son quartier, Jean Dubois, qui manquait également de défaillir à chaque dissection organisée au jardin royal, se mit en devoir, soir après soir, d'égorger, de dépouiller, de vider, de préparer la pitance de ses protégés. Hercule grignotait sa part, Personne engloutissait la sienne ; ils se couchaient dans la paille, et au matin ils partaient avant l'aube, pour éviter les questions indiscrètes, et pour ne pas susciter ces peurs volatiles qui, en ces temps de trouble, n'étaient jamais très loin des violences et du massacre.
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...la peur pousse la masse des hommes vers la religion ; il convient de se dépendre d'elle , parce qu'elle tue l'esprit.

page 12
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Seule une poignée d'êtres vit sa vie, sa seul vie ; rien qu'une vie, mais toute entière.

page 11
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Il pensait que les Noirs mentaient tout autant que les Blancs, que ce monde tout entier mentait ; et que malheureusement il n’en était pas d’autre
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Si les lions parlaient, nous ne pourrions pas les comprendre. Ou du moins pas davantage que nous ne comprenons les hommes.
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D’une part, les mathématiques constituaient un espace et un temps profondément étrangers à ceux des hommes, et Yacine s’y promenait avec ivresse, comme en pays de connaissance, jouissant de la rigueur de ses lois, des singularités inouïes de certains êtres étrangers qu’il y rencontrait, des splendides paysages mentaux qui surgissaient soudain dans l’esprit de l’apprenti mathématicien. D’autre part, la science mathématique était cet outil formidable de description de la nature, ce point d’appui à partir duquel tous les ingénieurs du monde des Blancs construisaient des ponts, des forteresses, des vaisseaux, des armes, grâce à quoi ils étaient capables de s’orienter sur toutes les mers, de prévoir les phénomènes les plus disparates, de connaître, en somme, la plupart des secrets de la nature des choses, de sorte qu’ils pouvaient prétendre, un jour, comprendre entièrement l’univers, et s’en faire le maître le plus absolu, comme ils avaient ici à peu près asservi les populations qui étaient à leur portée ; et soumis les tribus plus lointaines à leurs façons de commercer.
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il n’avait pas eu besoin de travailler ou d’apprendre, si apprendre est une peine et travailler une servitude.
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Adal avait participé à la rédaction d’un cahier de doléances, au commencement de la Révolution, pour le compte des Africains. Il était celui qui avait dit aux Noirs d’y faire marquer tout ce qui n’allait pas ; et les anciens avaient choisi Adal pour tenir ce cahier parce qu’il avait appris à lire et à écrire auprès d’un Blanc. Adal avait tout noté, scrupuleusement. Il avait porté lui-même ce document vénérable aux États généraux de Versailles. Puis les choses n’avaient cessé de tourner mal. Il n’avait pas même eu le droit de visiter Pelletan dans sa prison. Et maintenant celui-ci était mort. Quant au Bonaparte, il avait changé de nom comme seul un démon sait le faire. Il s’appelait désormais Napoléon et avait rétabli l’esclavage, qu’on n’avait d’ailleurs pas cessé de pratiquer.
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Dans un silence défiant mais attentif, il dit que la plus grande sottise des savants d’autrefois était d’avoir affirmé que le lion était le roi des animaux ; que précisément, et au contraire, il était un être égalitaire, juste, magnanime, vivant en bonne intelligence avec ses semblables, fils, filles, compagne ; tout comme les citoyens ici présents qui, dans leur juste colère, se trompaient de cible ; les citoyens ne remarquaient-ils pas, en effet, que de tout temps sa fière indépendance avait valu au lion d’être jeté dans les fers de l’arbitraire royal, qui se plaisait à aliéner cette personnification de la liberté la plus ombrageuse ?
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Il n’est pas de tout repos de nourrir un lion et un chien. Personne n’avait jamais tué une bête de sa vie, et le voyage en mer semblait l’avoir rendu plus délicat encore. Il avait toujours eu peur des lapins, et il ne pouvait voir une poule vivante sans témoigner la plus vive répugnance.
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Il existait donc, apparemment, toutes sortes d’hommes blancs : des colosses massifs, de complexion rose pâle, aux cheveux presque jaunes ; de petits êtres à la peau verdâtre, au cheveu noir et luisant, secs comme des sarments ; d’autres encore, affichant toutes les nuances de teint possibles, du blanc au brun. Et cependant Yacine avait l’impression qu’ils se ressemblaient tous. Il se demanda comment il ferait pour les différencier, quand il faudrait entrer en commerce avec eux. Tout ce monde criait en des langues qu’il ne pouvait identifier, à l’exception du français.
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Aux yeux de l’enfant qu’il était, le grand Homère apparaissait comme cette figure sans visage, solitaire et sans famille, qui se tenait debout, seule, à l’origine de toute littérature profane ; seule, et cependant régnant sur la communauté sans nombre de ses lecteurs.
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Yacine aimait le grec. Il admira les héros de l’Antiquité dont il traduisait les vies dans le vieux Plutarque de son maître, à la Mission ; mais ce qu’il adora par-dessus tout, ce furent les mathématiques. Quand le bon père lui avait montré les rudiments de cette science mystérieuse, il n’avait pas eu besoin de travailler ou d’apprendre, si apprendre est une peine et travailler une servitude. Il avait littéralement vu, et même, lui semblait-il, senti de toutes les fibres de son corps, qu’un monde nouveau s’ouvrait devant lui, avant même que de commencer à le comprendre véritablement.
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Yacine savait qu’imprégné de l’odeur des hommes, il subirait l’hostilité de quelque habitant de la savane : un lion, incommodé par sa puanteur, le déchirerait avec colère ; une hyène famélique lui broierait la gorge.
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La peur pousse la masse des hommes vers la religion ; il convient de se déprendre d’elle, parce qu’elle tue l’esprit. Il avait compris que cette sagesse lui suffirait, jusqu’à sa mort. Un peu de temps, un peu d’espace. Au-dessus de sa tête, le ciel fixe des mathématiques, qui le fascinait. Et puis rien.
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Le gros des hommes ignore qu’il va mourir ; ceux qui le savent ne veulent pas, pour la plupart, le comprendre, et n’en tirent aucune conséquence pratique. Seule une poignée d’êtres vit sa vie, sa seule vie ; rien qu’une vie, mais toute entière. Poussière est le nom secret des hommes qui adviennent à la terre et la quittent sans un bruit, sans un frémissement du ciel.
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Ensuite, en grandissant, il avait aimé élargir cette pensée jusqu’à comprendre dans sa méditation les milliers d’hommes, ancêtres inconnus, voyageurs, guerriers, marchands, sorciers, rois en visite, petits cultivateurs, qui avaient frayé cette piste dans la brousse, qui l’avaient martelée sans y penser, lui conférant cette singulière souplesse, cette alliance de fermeté et de discrétion qui donne aux hommes l’illusion que la terre peut leur être clémente, et qu’ils nomment à leur gré route, chemin ou voie, la prenant trop souvent pour argent comptant.
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Pour la première fois de sa vie, Richard Abercrombie est confronté au vacarme obscène de la nature sous sa forme la plus grandiose et la plus véhémente : une jungle. Ce n'est pas tant le vacarme en soi qui l'abasourdit, mais, au sein de ce tohu-bohu, l'absence totale de sonorité humaine. La jungle bruit selon ses propres lois, insoucieuse des hommes qui croient l'explorer. Dans les forêts où l'homme vient régulièrement chasser, à proximité des villes, dans toute l'Europe et particulièrement en Angleterre, les animaux ont depuis longtemps appris à se taire à l'approche de l'homme, à le fuir comme le prédateur suprême : cette créature qui tue contre nature, sans que la nécessité de survivre l'y force. Le silence apaisant de nos campagnes n'est que le signe tangible de la terreur que l'homme fait régner.
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"Comme les acteurs n'avaient
Pas droit à une sépulture chrétienne
Et que la tradition voulait
Que la terre des cimetières
Fut consacrée sur une épaisseur
De quatre pieds,
Un haut dignitaire de l'église,
Peut-être un peu jésuite,
Suggéra qu'on creusât plus profond
La fosse destinée à Molière ..."
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