Citations de Susanna Tamaro (150)
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Les jeunes ne sont pas naturellement égoïstes, de même que les vieux ne sont pas naturellement sages. Compréhension et superficialité ne sont pas liées à l'âge mais au chemin que chacun parcourt. Quelque part, je ne sais plus où, j'ai lu récemment un dicton des Indiens d'Amérique qui disait : "Avant de juger une personne, marche pendant trois lunes dans ses mocassins." Il m'a tellement plu que pour ne pas l'oublier, je l'ai recopié sur le bloc-notes près du téléphone. Vues de l'extérieur, beaucoup de vies paraissent ratées, irrationnelles, folles. Tant que l'on est à l'extérieur, il est aisé de se tromper sur autrui. Ce n'est que de l'intérieur, en marchant trois lunes dans ses mocassins que l'on peut comprendre les motivations, les sentiments, ce qui fait agir une personne de telle façon et pas d'une autre. La compréhension est le résultat de l'humilité, non de l'orgueil de savoir.
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Pour voir le destin dans toute sa réalité, tu dois laisser passer encore quelques années. Vers soixante ans, quand la route derrière toi est plus longue que celle qui te reste, tu vois quelque chose que tu n'avais jamais vu avant : le chemin que tu as parcouru n'était pas rectiligne mais plein de carrefours, à chaque pas il y avait une flèche qui t'indiquait une direction différente ; de là partait un sentier, de là un chemin herbeux qui se perdait dans les bois. Certaines de ces déviations, tu les as prises sans t'en apercevoir, d'autres, tu ne les as même pas vues ; celles que tu as négligées, tu ne sais pas où elles t'auraient conduite, dans un endroit meilleur ou pire ; tu ne le sais pas mais tu éprouves quand même des regrets. Tu aurais pu faire telle chose et tu ne l'as pas faite, tu es revenue sur tes pas au lieu d'avancer. Tu te souviens du jeu de l'oie ? La vie avance à peu près de la même façon.
Au fond, je n'arrive pas à me défaire de l'idée que la facilité des rapports banalise l'amour, qu'elle transforme l'intensité de l'émotion en caprice passager.
"Dans quelle vie nous sommes-nous déjà rencontrés ? - Dans plusieurs."
Ernesto était passionné par la théorie de la prédestination. "Dans la vie de chaque homme, disait-il, il n'existe qu'une femme avec laquelle il peut trouver l'union parfaite, et dans la vie de chaque femme, il n'existe qu'un homme qui puisse la compléter." Mais très peu de gens parviennent à se rencontrer. Les autres sont obligés de vivre en état d'insatisfaction, de nostalgie perpétuelle. "Combien de rencontres ont-elles eu lieu, disait-il dans l'obscurité de la chambre, une sur dix mille, une sur un million, sur dix millions ?" Une sur dix millions, oui. Toutes les autres sont des arrangements, des sympathies épidermiques, passagères, des affinités physiques ou psychologiques, des conventions sociales.
À certains moments je pensais : "C'est une grosse bêtise, la plus grosse de toute ma vie, je dois tout oublier, effacer le peu qu'il y a eu entre nous." L'instant d'après je me disais que la bêtise la plus grande aurait été de renoncer, parce que pour la première fois depuis que j'étais petite, je me sentais de nouveau vivante, tout vibrait autour de moi, en moi, et il me paraissait impossible de renoncer à ce nouvel état.
Cette nuit-là, à l'improviste, je m'étais aperçue d'une chose : entre notre âme et notre corps il y a beaucoup de petites fenêtres ; si elles sont ouvertes, les émotions passent par là, si elles sont mi-closes, ces émotions filtrent à peine, seul, l'amour peut les ouvrir toutes grandes et d'un seul coup, comme une rafale de vent.
J'avais programmé ma vie jusqu'à la vieillesse : l'irruption de quelque chose que je n'avais pas prévu me rendait très anxieuse.
Il est plus facile de mourir de rien que de douleur : on peut se révolter devant la douleur, pas devant le néant.
Il m'écoutait, ce qui pour moi était un vrai miracle.
C'est drôle, mais il arrive souvent qu'à la première rencontre, les personnes importantes de notre vie ne nous plaisent pas.
À vrai dire, vers dix-huit, vingt ans, comme j'étais jolie et plutôt aisée financièrement, j'avais une ribambelle de soupirants autour de moi. Mais dès qu'ils s'apercevaient que je savais m'exprimer, dès que je leur ouvrais mon cœur avec les pensées qui s'y agitaient, le vide se faisait autour de moi.
Pour avoir vécu longtemps et avoir laissé derrière moi beaucoup de personnes, je sais désormais que les morts pèsent moins par leur absence que par ce qui - entre eux et nous - n'a pas été dit.
De ses grands-parents, on est ni orphelin ni veuf. Par un mouvement naturel, on les laisse en chemin, tout comme on perd son parapluie dans la rue, par distraction.
Il y a des choses que l'on peut comprendre à un certain âge et pas avant, entre autres la relation avec sa maison, avec tout ce se trouve à l'intérieur et autour. À soixante, soixante-dix ans, tu comprends que le jardin et la maison ne sont plus un jardin et une maison où tu vis par commodité, par hasard ou parce qu'ils sont beaux; ce sont ton jardin et ta maison, ils t'appartiennent comme la coquille appartient au mollusque qui vit à l'intérieur. Tu as formé la coquille avec tes sécrétions, gravée dans ses volutes se trouve ton histoire, la maison-coquille t'enveloppe, elle est au-dessus de toi, autour de toi, même la mort, peut-être, ne la délivrera pas de ta présence, des joies et des souffrances que tu as éprouvées à l'intérieur.
Quand plusieurs routes s'offriront à toi
et que tu ne sauras pas laquelle choisir,
N'en prends pas une au hasard,
Mais assieds-toi et attends,
Respire profondément avec confiance,
sans te laisser distraire par rien,
attends encore et encore,
ne bouge pas,
Tais-toi et écoute ton coeur,
Puis quand il te parle,
Lève-toi et va où il te porte.
Il y a des vérités qui apportent un sentiment de libération et d'autres qui imposent le sens du terrible.
Se mai arriverai a ottant'anni, capirai che a quest'età ci si sente come foglie alla fine di settembre.
Si jamais tu atteins quatre-vingts ans, tu comprendras qu'à cet âge-là on se sent comme une feuille à la fin du mois de septembre.
C'est vraiment désagréable quand on ne se comprend pas. Tôt ou tard, on finit toujours par se disputer et l'on en vient très vite à se déchirer.
De toutes les habitudes de l'homme moderne, disait-il [le père d'Isaac Singer], la lecture des quotidiens est l'une des pires. Le matin, au moment où l'âme est grande ouverte, elle déverse sur l'individu tout le mal que le monde a produit le jour précédent. (p. 155)