Citations de Tarjei Vesaas (186)
Il fallait attendre l’automne, c’était à ce moment-là qu’ils auraient la réponse. Et, emplis d’inquiétude, il fallait penser à l’été.
Quand ce sera l’automne, ta mère mettra au monde un enfant.
Puis vient l’hiver.
Un temps incroyablement doux s’était installé pour longtemps, à tel point que la neige avait fondu en de nombreux endroits. …
Les ouvriers piochaient et creusaient, leurs pelles brillant comme de l’argent.
Quelque part, à quelques mois de distance, la grande heure de mère était déjà fixée.
Je veux partir en voyage ! annonça mère [...] J’ai envie de voir des choses.
Il lui arriva de rester assise à contempler l’horizon sans raison apparente, ou de tenir sa tête légèrement inclinée et d’écouter avec une attention soutenue, une tension même, des bruits que personne d’autre qu’elle ne saisissait.
Mattis voyait comme Hege était heureuse, là, au bras de Jörgen. On pouvait à peine reconnaître son visage : il n’était pas fatigué, pas grognon, pas soucieux. Mattis restait pantois devant tout cela ; d’abord, il fut tenté d’être joyeux, et puis la vérité l’accabla : Hege était perdue.
Il continuait sa trotte, dépassant ferme après ferme. En vérité, il eût été grand temps de commencer la journée de travail. Mais quand il arrivait à une barrière, il s’arrêtait et examinait ses pieds : il disposait là d’un critère qu’il avait découvert un autre de ces jours désemparés où il était dans le même embarras. – S’ils veulent monter là, je sentirai bien un petit mouvement, disait-il à ses pieds et il attendait.
Pour moi c’est exactement la même chose, tu sais, pourvu que tu reviennes avec de l’argent, dit Hege pour en finir. Ca dépendra de mes pensées, dit Mattis. Ce sont elles qui décident.
Il arrachait en pensant : il faut bien que je gagne ce que je mange. Puis il resta tranquille un moment. Nul ne le voyait, et le désordre de ses pensées saccageait tout son travail. Il faut dire aussi qu’il fait bon de s’asseoir quand on est épuisé.
Caresse-moi ! Caresse-moi !… Il faut que nous en sachions plus l’un sur l’autre
Il était tellement épuisé qu’il ne fit que s’écarter, en titubant, de la chaussée, entre des fourrés invisibles et des pierres, assez loin à l’écart pour que les phares des voitures qui passeraient le laissent en paix... et là, il s’assit au hasard. Il y avait quelque chose qui faisait comme un dossier, il s’y appuya. (...)
Il y a quelque chose.
Qu’est-ce qui se passe avec ce dossier ?
Il restait assis, immobile, mais une incroyable pensée se mit à le faire frissonner intérieurement.
Cela devint une certitude :
Son dossier : ce n’était pas une pierre ou un grossier tronc d’arbre. Il sentit que ce sur quoi s’appuyait son dos était également un dos. Il était vivant, ce dossier. Il s’en assurait au fur et à mesure, bien qu’il n’eût ressenti aucun mouvement.
Qu'est-ce que c'était ! Sitôt que la voix de Kari Nes eut cessé de retentir, une sorte de grand voile sombre s'abattit du ciel. Comme une immense fleur noire, déployée et fragile. Frappa la colline et disparut. C'était un cri. Tous ceux qui étaient à proximité regardèrent bouleversés autour d'eux et prêtèrent l'oreille. Se dressèrent, aux aguets. Pétrifiés, attendant d'autres signaux. Mais il n'y eut rien d'autre que ce grand cri.
Il sursauta. Des cris stridents lui parvenaient de la ferme. Que se passait-il ? Bien qu'atténués par les murs des bâtiments, ces éclats de voix n'en étaient pas moins perçants. Un frisson glacé le parcourut. Mais il se ressaisit : ce sont des cris de bête. Des porcs, tout simplement. Il m'est arrivé autrefois d'entendre des vociférations et des grognements dans de tels lieux. C'est sans importance.
Vis, notre rêve (extrait)
La mort avant que nous mourrions
est tapie dans cette nuit,
dans toutes les nuits.
Elle vit sans cesse
en face et nous fixe
tel l'obscur mystérieux
venu du puits sec
où il n'est plus de rêve.
Froide, nous attirant à elle,
elle reste ouverte - et pour nous.
C'est tout ce que nous savons,
là où il n 'y a plus de rêve.
Mais le puits vit dans son fond,
si bien que ce qui habite là
a eu sa part et veut davantage.
Il brille dans le brouillard de la nuit
tel un point obstiné.
Il brûle son incendie froid
aspirant l'oiseau de nacre
comme les yeux d'un serpent immobile
Calme est la surface
Calme est la surface
au pays des flammes,
rien n'est visible,
tout est en équilibre.
Mais des choses ont cours
à cet instant,
tel l'éboulement chaud
au cœur des montagnes.
Ils le savent, les rares
qui ont vu à travers les fissures
et senti la chaleur frapper.
Les gens sont attirés par les gens
dans une faim de flammes sur plus de mille lieues
- et, les yeux dans les yeux,
l'un pour l'autre, perdent soudain l'incertitude
quant à la vérité sur la profondeur du feu
et la rencontre sauvage des flammes.
Plus court que court, toutes les choses durent quand même.
Tout dure plus longtemps - près d'une multitude innombrable.
Strident, le jour de la moisson chante en juillet.
Quiconque a atteint
le soleil est tombé.
D'étranges odeurs brûlent, enivrent le cœur
dans le rêve et les visions sauvages du soir.
L'œil du dieu repose
sur la terre en miettes.
Au plus profond du royaume
de nouveaux scarabées foulent de vieux restes,
croient les vieilles racines.
Les mêmes racines tendres,
toujours autour des pierres,
sombres, humides et toujours.
Emplies de forces aveugles.
Emplie de non-né
dans un vent nocturne
L’air était plein de flocons de neige, mais cela ne faisait rien. C’était comme il fallait, c’était une belle soirée.
Il y avait un groupe de maisons, sans que l’on pût appeler cela une ville. Les maisons s’étaient installées peu à peu, sans plan d’ensemble, aussi y avait-il toutes sortes de recoins inattendus et de passages.
Une tempête de neige balayait tout cela. Dans les recoins étroits, les tas de neige douce rencontraient la forte lumière des réverbères. Cela faisait pour ainsi dire une blancheur plus blanche que le blanc.
De la sorte, la neige déferlait constamment dans les recoins. Il n’y avait pas une seule trace de pas sous cet éclairage. Les gens étaient chez eux.
« Vis-à-vis d’elle, il avait senti se développer en lui un absurde sentiment de propriété. » (p. 11)
S’il n’y a personne pour t’en donner une, prends-la donc toi-même. Pour cette seule et unique fois. Cette chemise propre, il faut que tu l’aies. Va donc toi-même la décrocher du fil.
Il résiste un peu. Mais seulement un peu. Pour lui, c’est comme s’il s’était lancé dans une folle aventure. Pourtant, c’est quelque chose de juste, et il est pressé ! Il sait qu’il n’en a plus pour longtemps avant de s’écrouler. Et sa chemise, il y a droit, comme n’importe qui d’autre, tant il est vrai qu’au moment de sa mort, chacun est en droit d’avoir et d’exiger une chemise propre.