Citations de Timothée de Fombelle (1026)
Alma ne s’habitue pas aux étrangetés de ce monde. Parce que sa peau est noire ou parce qu’elle est une fille, on trouvera toujours une raison de la faire dormir avec les animaux.
- Tout ce que vous voyez depuis ce matin, dit Luc à Alma et Joseph, ce n’est pas vrai.
Ils observent tous les trois la charrette.
- Ce que vous voyez, c’est le dimanche. Et le dimanche est un mensonge à Saint-Domingue. Regardez. Ils ont travaillé la nuit entière jusqu’à ce qu’on éteigne le feu des chaudières à sucre, à cinq heures. Et demain à cinq heures du matin, aussi, le fouet sifflera déjà sur leurs têtes dans les champs. Il y a seulement ce moment que vous voyez, le petit radeau du dimanche, pour rester vivant. Mais c’est une fumée, une illusion…
On croit que l’air du mensonge est l’art de la vraisemblance. C’est faux. Rien ne semble plus vrai que l’invraisemblance. (page 82)
Qu'ils aient annoncé de très bonnes ou de très mauvaises nouvelles, les notaires, les juges, les médecins et quelques autres peuvent toujours rentrer chez eux, mettre des pantoufles, manger une cuisse de canard gardée au chaud sur un coin du poêle, faire rebondir leurs petits-enfants sur leurs genoux. Pour eux, la vie continue.
"Personne n'est obligé de croire ce qu'il va suivre. On a toujours le droit de ne pas croire ce qui est écrit dans les livres."
"Le syndrome du grille-pain. Je sentais mon coeur commencer à chauffer agréablement des côtés et puis il sautait en l'air, très haut, et atterrissait sur le carrelage."
"A ce niveau-là de bêtise, on peut bien parler de génie."
Gabrielle de Polignac est depuis sept ans la gouvernante des enfants royaux. Louis-Charles, le petit prince de quatre ans, loge dans les appartements voisins, tandis que l’aînée, Madame Royale, douze ans, habite les dix pièces juste à côté. Depuis qu’on réduit les budgets du château, il n’y a plus que cinquante personnes au service de ces deux enfants.
De mouillage en mouillage, par grappe de sept ou huit, parfois un peu plus, parfois beaucoup moins, des femmes, des enfants et des hommes viennent remplacer la cargaison de tissu, de fer, d’armes à feu, de mauvais alcool coupé à l’eau, d’ombrelles à franges dorées, qui encombrent les soutes. Le beau bateau noir et jaune avec ses voiles immaculées et une jeune fille en chemise de nuit sculptée à la proue devient lentement un navire négrier. (page 198)
Le musicien restait invisible. Sa musique, elle, se glissait partout. Elle dansait dans la nuit, se moquait des grilles de la volière et des cris des soldats. La musique ne craint personne. Elle ne se garde pas en cage.
"La première fois qu'elle m'a embrassé, nous étions suspendus par des câbles à cent vingt mètres du sol, avec quinze hommes armés à nos trousses. C'est peut être pour cela que, pendant longtemps, je n'ai pu l'approcher sans avoir le vertige."
Ma chérie, je pense à vous. Je sais que Rosalie est sage. Et que le maître d'école est content de l'avoir. Et toi, je sais que ton travail est fatigant. Tu aimerais passer plus de temps avec ta petite fille. Mais quand je mets un obus dans le canon, je me dis toujours que c'est peut-être toi qui l'as fabriqué à l'usine. Comme si tu étais à mes côtés dans la bataille. Oui, les dames nous aident en travaillant si dur dans ces usines, et les enfants nous soutiennent en prêtant leurs mamans et en les attendant sagement.
Dans les jours qui suivent, Nao découvre l’infernale cadence de la canne à sucre. Le fouet claque une première fois à cinq heures du matin pour réveiller les esclaves des Terres Rouges. Il fait encore nuit. Devant l’alignement des cases résonne le sifflet des commandeurs. Les baraquements se vident. On allume à chaque porte un flambeau de canne écrasée. Il reste parfois une étoile dans le ciel quand Nao sort à son tour. Elle nourrit son enfant. Elle mange par terre avec les femmes de sa case une galette de manioc et de la banane cuite. Certains matins, elles se contentent des patates qui ont été plantées en février entre les maisons.
(pages 171-172)
La vallée est entièrement fermée par des falaises. Elle est belle et chaude comme un paradis. Elle ressemble à une main immense remplie de prairies, d’arbres et de bêtes sauvages. Une main ouverte qui donne tout ce qu’il faut pour vivre : la nourriture, les nuits étoilées et les petits singes dans les branches pour s’amuser. Elle donne les pluies battantes dans lesquelles ils s’enfoncent tout nus en courant, les siestes entre leurs parents, les hautes herbes qui penchent quand passent les lions et le vent. (page 10)
Elle contemple un à un les visages autour du feu et s'arrête aux yeux fermés de Lam, à ses paupières fines comme de la soie. Quand il dort, Lam retrouve le visage de l'enfance. Il ne joue plus à être ce qu'il n'est pas. Alma voudrait que les nuits ne s'arrêtent jamais pour le garder petit plus longtemps.
Chaque cerveau a son secret. Moi, c'est mon lit. Toi, c'est ton assiette. Mange avant de penser, ou tu penseras mal. (p.55)
Il (Thomas Clarkson) a compté que quinze mille marins de Liverpool sont morts dans ce commerce pendant les quinze dernières années. Mille cent soixante rien que l’année précédente.
(page 279)
Jusqu’à ce jour, les forces de Nao ont été ménagées. Elle est arrivée aux Terres Rouges en même temps que les quinze autres captifs de La Douce Amélie. On leur a confié des petits travaux pour les acclimater. Les planteurs savent l’importance de ces premiers temps dans les îles. La fatigue, la maladie, le puits sans fond du chagrin, tout cela submerge ceux qui viennent de débarquer d’Afrique. Un sur trois parmi eux ne survivra pas aux trois premières années. Alors on fait semblant d’économiser leurs forces pendant quelques semaines pour préserver l’investissement.
Il a fallu une forêt entière pour construire ce navire. Chênes, ormes et peupliers, des milliers d’arbres naviguent au milieu de l’océan. (page 84)
- Mon seul but est de prouver que l'arbre est vivant. Que la sève est son sang. Que nous sommes les passagers de ce monde vivant. [...]