Citations de Timothée de Fombelle (1017)
On n'est jamais obligé de dire les choses importantes à ses amis, mais le jour où on le fait, la vie devient plus douce. (p.73)
Il grandit avec trois nourrices : la liberté, la solitude et Mademoiselle. A elles trois, elles firent son éducation. Il reçut d'elles tout ce qu'il croyait possible d'apprendre.
Même une plume d'ange peut crever un oeil, si on la prend du mauvais côté. (p.233)
Tout ce malheur pour un peu de café, de confiture et de chocolat à l’heure du goûter… Pour cette folie du sucre qui a envahi les salons de l’Europe. Cette année, la colonie de Saint-Domingue engloutira à elle seule quarante mille nouveaux captifs dans ses plantations. (page 361)
"Le mot "million" n'existait pas chez eux. Le mot "milliard" non plus. On compte jusqu'à douze et, au-delà on dit "beaucoup"."
"Quand un petit lecteur me demande comment on écrit une histoire, je me mords les lèvres, je me tais, je voudrais avoir quelque chose de merveilleux à répondre, une recette pour écrire. Alors, comme c’est bientôt Noël, ce matin, voilà juste une recette de cuisine, et peut-être, bien fondus dedans, quelques autres secrets.
D’abord n’écrire que ce qui compte, l’urgent, l’important
Ne garder que ce qui nous tord d’émotion ou d’impatience. Voilà la recette du Pain Perdu d’Aline, ma marraine. Et j’aurais dû me méfier quand elle disait « tiens on va faire du pain perdu », pieds nus dans la cuisine au carrelage ensablé parce qu’on était au bord de la mer, j’aurais dû me méfier, haut comme trois pommes, quand Aline était encore vivante avec sa bière et son short, du mot perdu qui annonçait tout. D’abord, donc, écrire ce qui nous bouleverse.
Ensuite, faire que tout soit noyé de vie
Tout ce qu’on raconte, les 3 œufs qu’on sort de leur boite avec obligatoirement une plume qui reste collée sur l’un d’eux, les 3 œufs qu’on casse dans un bol et qu’on fouette avec 20g de sucre roux. Noyé de vie et de souvenir, le lait, ¼ de litre, qui tiédit juste à côté sur le feu, "On ne se brûle pas" dit Aline. Le lait où flotte un archipel noir de vanille qu’on a gratté dans sa gousse. Et on a les doigts gluants du gras de la vanille, les doigts qu’on lèche en attendant que ça refroidisse un peu parce qu’il faut savoir parfois ralentir les histoires.
Et hop, soudain, on mélange le lait et les œufs et le sucre, très vite, on accélère le rythme du texte
Et hop, on plonge à pleines mains dans ce mélange le pain dur, les grosses tranches de pain rassis.
Et jamais de brioche, Augustin ! Jamais !
... Parce que jamais sur terre une brioche n’a eu le temps de rassir avant d’être mangée. La « brioche façon pain perdu », c’est impossible, comme "sibyllin", "pas de souci", ou "rétorquer", tous ces mots interdits (Pas de souci, rétorqua-t-il d’un air sibyllin).
Alors dans la poêle chaude et beurrée, on met le pain gorgé de lait, d’œufs, de vanille. Et on écoute, et on respire, parce qu’à la fin, tout s’écoute et se respire, la langue et le reste, et tout se goûte enfin quand tout est doré très longtemps des deux côtés.
C’est le Pain Perdu, le pain retrouvé d’Aline.
Mais si on peut laisser la tristesse dans l'herbe derrière soi, il faut le faire. On la tient couchée dans l'herbe. On lui explique doucement qu'on veut autre chose, que ce n'est pas contre elle, mais qu'on s'en va.
Jamais, à quatorze ans, je n'avais eu cette page blanche, cette liberté sans limites, ce temps qui m'appartenait entièrement. Il a suffit qu'on me donne ce temps de solitude, dans un petit royaume au bord de l'eau, pour qu l'imaginaire et la vie s'abattent sur moi et ne me lâchent plus.
"J'ai beaucoup de respect pour les livres, dit simplement son père qui avait tant de respect pour eux qu'il n'en avait jamais touché un seul de sa vie."
" C'est grand chez moi. Trop grand. Je me perdais quand j'étais petit. [...]Il y avait sept chambres d'amis, et pas d'amis."
Les hirondelles ne s'occupent pas non plus de ces petits êtres qui s'agitent en dessous d'elles : les hommes. Elles les voient se promener de continent en continent sans qu'ils puissent décoller du sol. Elles les regardent franchir le désert, en file indienne, s'enfoncer parfois dans le sable et disparaître. Et quand elles survolent les flots, elles les comptent par centaines, englués dans leur pesanteur, traversant la mer blanche sur un bouchon de bois.
La plupart des hirondelles ne connaissent rien d'autre de l'humanité, de ses tragédies et de sa beauté, que ces silhouettes minuscules tout en bas qui se croient grandes sur la terre mais ne dépassent pas le plus petit de leurs arbres.
Il y a la triste règle du promeneur égaré :
1) Quand on est perdu, on marche plus vite.
2) Or chaque pas que l'on fait nous éloigne de chez nous.
3) Donc on se perd encore plus.
Elle aussi découvrait ce secret interdit aux fées, l'amour, cette force qui fait vivre. C'est-à-dire qui fait naître et qui fait mourir.
Avant tout, il fallait voir le monde. Il sentit que c'était cette rapidité qui faisait la force de la rencontre. Des vies qui se touchent plus fort quand elles se bousculent, parce qu'elles passent avec élan.
Dans ce monde dangereux, si les vieillards sont respectés, ce n’est pas parce que le grand âge leur a soudain donné la sagesse, mais parce que, s’ils ont réussi à vieillir en restant en vie, c’est que, dès l’enfance, ils étaient déjà les plus sages. (page 112)
- Ce que vous voyez, c’est le dimanche. Et le dimanche est un mensonge à Saint-Domingue. Regardez. Ils ont travaillé la nuit entière jusqu’à ce qu’on éteigne le feu des chaudières à sucre, à cinq heures. Et demain, à cinq heures du matin, aussi, le fouet sifflera déjà sur leurs têtes dans les champs.
(page 58)
Je me souviens de l'abonnement à "je console", cinq jeux, payés par ma mère, qui arrivaient le mercredi sur l'ordinateur. Briss me rendait service, il jouait six ou sept heures en mangeant des chips, pendant que je faisais mon piano dans ma chambre. Rien que le nom me faisait de la peine : "Je console".
Une montagne de tiges brunes et de débris de bois s’élève jusqu’au plafond. C’est la case à bagasses, l’endroit où on garde la canne à sucre une fois qu’on en a pressé tout le jus. On se servira de ce bois écrasé pour faire marcher les chaudières et bouillir le sucre.
(page 103)
Dans l'eau, près de l'autre rive, il y a un cheval blanc parfaitement immobile. La lune rousse l'éclaire comme en plein jour. Sur son dos se tient une cavalière à la peau entièrement couverte de rouge. Des hommes se sont avancés dans les rapides et la tiennent en joue. Certains ont des fusils entre les mains, d'autres des lances.
Alma ne bouge pas. Elle est bien droite, rouge comme le pistil sur la fleur blanche du safran. Son visage a aussi un masque de terre rouge dans lequel brillent les yeux en noir et blanc.
Et, depuis ce jour, derrière ses grands airs provocateurs et son mauvais caractère, Hugo Eckener cachait dans les plis de sa nuque une petite bestiole qui s'était accrochée à sa peau : la peur.
Quelque chose s'était courbé en lui. Un peu de sa fierté s'en était allée.
Hugo Eckener se leva tout à coup.
Il le savait, cette bête mal placée, il suffisait qu'il redresse la tête pour l'écraser.