Citations de Tiziano Scarpa (54)
Dans l'instrument, il n'y a pas d'enfant mort, mais il y a des arbres abattus et découpés, il y a des animaux qu'on a égorgés pour prélever leurs viscères, les faire sécher, les tordre et les tendre. Des caisses d'harmonie et des cordes. Dans mon violon, il y a la voix des forêts assassinées et des animaux mis à mort. Nous jouons les funérailles de la nature, nous étreignons son cadavre.
- On trouve de grandes consolations dans la routine. Les habitudes servent à bercer les esprits qui n'ont pas d'autre giron où se réchauffer.
On nous trouve belles parce que nous sommes mystérieuses et que nous diffusons de la beauté : l'artifice de la musique masque notre affliction.
Nous, les instrumentistes, sommes presque toutes jeunes, nous injections notre sang neuf dans cette musique décrépite. Quand nous jouons la musique de Don Giulio, j'ai l'impression d'entrer dans la peau sèche d'une veille sainte écorchée, je la remplis de mon corps solide et frais. La peau de l'écorchée gonfle, se dilate, se fendille. Jouée par nous, cette musique se déchire.
Smarrirsi è l’unico posto dove vale la pena di andare.
Se perdre est le seul endroit où il vaille la peine d'aller
Les notes [de musique] écrites ressemblent à des têtes de clous enfoncés, nous arrivons avec nos instruments et nous les dégageons une à une, nous les enlevons comme on arrache un clou.
Les mots déclenchent tous des attentes.
Vivre par la musique une heure, en jouant corps et âme, traversées par une rafale, immergées dans l’orchestre en action dont nous sommes des éléments, prises à la fois dans l’exécution et l’écoute de ce déferlement et de ces silences. Vivre en une heure tout ce qui peut arriver à un être humain.
Il a écrit quatre poèmes, un par saison, qu’il a fait imprimer et distribuer à l’église avant le concert pour orienter l’écoute du public, le pousser à imaginer par la musique, comme dans un rêve éveillé. C’est un petit malin, un imposteur. Il contamine la pureté de la musique par ses subterfuges de gamin.
Je me demande ce qui vaut mieux : savoir, mais trop tard, qu’il existe une autre façon de vivre, ou l’ignorer. Nous avons troublé leur paix. Ces deux petits vieux avaient traversé l’existence à l’abri de la promesse qu’apporte la musique, ils mourront plus tristes qu’ils ne l’étaient avant de nous entendre.
Tu l'effleures, la caresses, lui donne des chiquenaudes, la pinces, la palpes. Tu mets les mains sur Venise.
L'obscurité n'est qu'une apparence..la vraie toile de fond, c'est la lumière.
" Il n'y a pas trace d'automobile, ici. Le riche et le pauvre circulent sans afficher ces espèces de déclarations des revenus motorisés."
« Où es-tu en train d'aller ? Jette ton petit plan. Pourquoi veux-tu savoir à tout prix où tu te trouves en ce moment ? [...] 'Se perdre' est le seul endroit où il vaille vraiment la peine d'aller. »
« Il semble que des ingénieurs facétieux aient fait sauter la voûte en maçonnerie et de pavés qui recouvre ces courants d'eaux malpropres dans toutes les autres villes du monde, pour forcer les habitants à naviguer sur leurs égouts. »
« Ferme les yeux et lis avec tes doigts la physionomie des statues, les bas-reliefs, les moulures rainurées, les alphabets sculptés sur les plaques à hauteur d'homme. Venise est une main courante ininterrompue en Braille. »
Ces dizaines d' oreilles dans les bancs de l' église nous accompagnaient de leur silence, étaient membres de l'orchestre. Les esprits absorbés dans l' écoute musicale sont les principaux instruments de l' exécution. On ne joue vraiment qu' en public, la musique n' existe pas sans une foule d' oreilles pour la soutenir.
regarde qu'il est beaucoup plus désintéressé d'aimer que d'être aimé. Ne rien attendre de personne.
Je respire mécaniquement, je me lève du lit mécaniquement, je joue mécaniquement, je prie mécaniquement, peut-être que je ne fais aucune de ces choses, je ne le sais pas.
Si nous réussissions à jouer exactement ce que nous pensons, si notre esprit avait une voix installée à la source de nos sons pensés, nous pourrions détruire la terre de ses fondements et édifier de nouvelles montagnes et de nouvelles étoiles. p. 68