Citations de Valérie Toranian (128)
L'époque est formidable et aucune difficulté ne résiste au pouvoir magique des femmes. Le passé est une cave obscure, peuplée de vermine et de fantômes.
J'exhibe ma mère, objet d'amour parfait, comme une décoration à la boutonnière qui flatte ma vanité...
Les vivants ne doivent pas se reprocher d'être vivants. Sinon les Turcs nous auront tout pris. La vie et la raison. Le convoi est plein de femmes à moitié folles.
Dans la guerre des bouches que se livrent au-dessus de nos têtes, sans jamais s'affronter directement, ma grand-mère et ma mère, l'une nous voit comme une couvée d'oisillons affamés qu'elle rêverait de pouvoir sustenter nuit et jour, l'autre comme une triplette d'enfants à élever avec des repas à heure fixe, de la salade verte, de la viande rouge et des yaourts, bref, ce qu'une femme active dans les années soixante-dix considère comme l'alpha et l'oméga d'une alimentation saine.
Chaque jour est un cadeau empoisonné, un piège à souvenirs ; même la fièvre de Marseille, tour de Babel pleine à craquer d'exilés, de voyageurs, d'escrocs et d'aventuriers de toutes les couleurs, ne réussit pas à les distraire de la maladie de leur âme trop pleine du vide de ceux qui manquent.
Ce déni d'histoire est un nœud coulant qui empêche tout Arménien, non pas de vivre, mais de respirer normalement… Même si ceux qui l'ont vécu sont condamnés à une impossibilité de le dire, et ceux qui les écoutent à une impossibilité d'appréhender avec justesse l'ampleur de l'entreprise d'extermination, il existe une compassion consensuelle face à l'innommable et à la souffrance.
Mon silence sur Bargeton venait de m'assurer six mois de sursis.Non,restons réalistes,trois mois.
Je devais incarner la réserve,la retenue et la bienséance dés le premier coup d’œil.Surtout pas une tordue capable de tuer un homme au couteau.
"T'es insensée. Tu crois sérieusement que j'allais interviewer des primatologues ?"
L'entreprise d'extermination totale passe par la déshumanisation des victimes : faites en des animaux, hagards, prêts à tout pour survivre; ils oublieront qu'ils ont été des hommes et des femmes, ils perdront leur éducation, leurs valeurs, leur solidarité. Une fois qu'ils auront déserté l'espèce humaine, il n'y aura plus d'obstacle moral à les tuer tous. Vous ne vous attaquerez pas au genre humain. Vous ferez disparaître des bêtes rampantes.
Ma grand-mère, drapée dans son admirable orgueil, son diplôme collé à la peau, refusait de devenir la bête qu'ils voulaient qu'elle devienne.
Enfant, adolescente et même adulte, combien de fois je me suis retrouvée à me lancer dans de longues explications sur l'Arménie (mais c'est où?), son histoire (vous parlez arabe?), le génocide (mais comment ça se fait, c'était quand, combien de morts?).
-Frrrançoise?
-Oui Nani?
-Il faut bien fairre cômme ça avec le nez de Armen (elle montre le geste de pincer le nez).
-Vous croyez? Je ne sais pas...
-Mais si!!! Il faut! Sinon nez grrros!!
-Mais...
-Beau nez aprrrès...!!
Elle ne comprend pas pourquoi sa bru refuse d'obtempérer. Dés que ma mère a le dos tourné, elle pince le nez de mon frère. Ravie, j'en fais de même.
Je voudrais être juive parce que c'est comme être arménien avec la reconnaissance en plus
L'entreprise d'extermination totale passe par la déshumanisation des victimes : faites-en des animaux, hagards, prêts à tout pour survivre ; ils oublieront qu'ils ont été des hommes et des femmes, ils perdront leur éducation, leurs valeurs, leur solidarité. Une fois qu'ils auront déserté l'espèce humaine, il n'y aura plus d'obstacle moral à les tuer tous. Vous ne vous attaquerez pas au genre humain. Vous ferez disparaître des bêtes rampantes.
Le seul document personnel en sa possession, qu'elle conservera jalousement jusqu'à sa mort, est un diplôme.
Il n'atteste pas de son identité. Il atteste de sa croyance. Sa croyance naïve en une civilisation où l'instruction et l'éducation pouvaient sauver le monde de ses haines recuites, de son obscurantisme, de sa bêtise. Un monde idéal, rêvé par son mari, où l'homme ne serait plus un loup pour l'homme. Où il serait impossible de se transformer en bêtes sauvages, puisqu'on serait éduqués.
À l'époque, la vérité était une bataille dans laquelle on prenait des coups. Cent ans après le génocide, elle le reste encore.
C'est facile de mépriser l'argent quand on n'a même pas idée du prix du lait, du riz et de la viande.
Un intellectuel ne peut pas être un travailleur manuel. Mais, ici, il faut gagner son pain et arrêter de prendre des grands airs. On doit mériter la France. On nous a accueillis, c'est une chance. Il faut être discrets et montrer qu'on est courageux.
..le monde roule parce qu'on paye ce qu'il faut à qui il faut au bon moment. Ne pas verser de pourboire est non seulement une bêtise, mais une honte, car cela vous classe dans la catégorie des gueudzi (radins), la plus honteuse, juste après les putains..