Citations de Véronique Olmi (1467)
Elle a ce regard lent et triste des femmes sans insouciance, un sourire profond, d'une bonté lointaine. Sa beauté n'attire pas les jeunes Italiens, sa négritude est une barrière naturelle. La Moretta parmi eux n'est pas une étrangère. C'est une étrangeté.
Lui a-t-il dit qu'elle était la première femme à s'être laissé aimer sans rien demander en retour ? Lui désignant l'amour comme le seul lieu hors des contingences, du savoir-vivre et du donnant-donnant ?
Il y a tant de façons de s'aimer, et ce désir qui se nourrit de lui-même, qui se renouvelle à peine assouvi, les accapare tout entiers. Ce qu'ils ont laissé avant de venir, ce qu'ils rejoignent quand ils se quittent, ils n'en parlent pas. Ils le savent. Il n'est question que de l'instant partagé. Le reste est un décor, celui d'une vie familiale qui ressemble à une position sociale.
Et Joseph voit la vie comme le carton perforé de l'orgue de Barbarie qui déroulerait sans fin une musique simple et lasse, qui dit qu'on naît de soldat en soldat, de guerre en guerre, de soldat en soldat, de guerre en guerre... et on reste avec les femmes même quand on est mort, car elles nous voient et nous surveillent de leur amour endeuillé, pour toujours.
On est marquées par notre éducation, dit Sabine, on le sait pas mais elle est là, toujours, elle pèse, elle nous recouvre comme une peau, et regarde comme on est sages.
Depuis quelques années, avec le premier choc pétrolier et la montée du chômage, l’image d’un bonheur prospère et d’une satiété éternelle se fissurait lentement. Mais sur les murs des immeubles, du métro, des aéroports et des gares, dans les journaux, au cinéma, à la radio, à la télévision, jour et nuit, des mots, des voix, des images leur disaient tout ce qui leur avait manqué. Alors ils achetaient ce dont ils n’avaient jamais eu besoin. Ils se croyaient heureux. Ils étaient simplement obéissants.
La peur est un envahissement. Avec elle, on est cloué au sol.
Et c'est comme ça que dorénavant elle avancera dans la vie. Reliée aux autres par l'intuition, ce qui émane d'eux elle le sentira par la voix, le pas, le regard, un geste parfois.
Depuis Taweisha, elle sait que cette ville n'est en rien un endroit paisible. Ici tous sont marchands et gardiens d'esclaves, esclaves, femmes ou enfants d'esclaves, esclaves d'esclaves, une vie hiérarchisée, sous le haut commandement du prêtre, lui-même aux ordres des gros négociants. Le respect, c'est à eux qu'il va, les riches et les religieux. Ici les hommes ne sont pas seulement chargés de ce qu'ils ont pris aux villages razziés, ils sont aussi chargés de ce qu'ils ont arraché aux éléphants et aux bêtes sauvages, leurs mulets et leurs chameaux aux dents jaunes portent les trésors de pierres et d'or, ils ont gratté et éventré la terre et les arbres, ils vont vendre les hommes, les cornes et les peaux, le sel, la gomme et le cuivre, par eux le monde a été saccagé, et Bakhita entend le bruit des masses qui cognent le bois pour faire des enclos, celui des bêtes et celui des hommes, prisonniers et innocents pareils.
Il est né le 8 juillet 1919 à Paris et il en est fier. Paris ce n'est pas seulement la ville, c'est la plus grande des villes, belle de jour comme de nuit, enviée dans le monde entier.
Rien va changer. Y aura toujours des riches et des pauvres. Y aura toujours des orphelins, des vagabonds et des crève-la-faim. Et des guerres aussi, y en aura toujours. Et c’est toujours les péquenauds qui les feront, et quand les péquenauds qui seront pas crevés en reviendront avec la gueule trouée et des moignons à la place des bras, eh ben on les fera encore travailler, et on leur dira que c’est pour leur bien !
C’était un silence que l’on entendait à Paris pour la première fois, un silence heurté par les bâtons frappés sur le sol, cette menace qui avançait avec « les vingt-deux » du Larzac, des hommes des femmes des enfants, qui avaient marché vingt-quatre jours, plus de sept-cents kilomètres.
Elle n’en revenait pas de ce mouvement qui venait de se créer et qu’elle appelait « l’oxymore » : les jeunes giscardiens. Quand la jeunesse avait-elle cessé de demander l’impossible ?
(page 407)
Anonymes et braillards, c’est ainsi que le Président en son palais devait les considérer, mais ici (le Larzac), ces milliers de gens qui défendaient les moutons contre les canons, le blé contre les armes, avaient tous le même âge, celui de vivre, et ils venaient du même endroit, la terre, celle des champs et celle des villes. Sabine sentait l’énergie que diffusait chaque corps, cette alliance spontanée, cette solidarité, ces milliers de Parisiens, et aussi de provinciaux descendus des trains le matin-même.
(pages 286-287)
Est-ce qu’il y a une douleur à comprendre que notre vie ne dépend que de nous, que nous ne tomberons pas si nous lâchons la main de l’autre, comme ces plantes trop hautes qui s’effondrent sans leur tuteur ? N’est-ce pas cela, le véritable amour de la vie : lui accorder seule le pouvoir de nous rendre heureux ? Parce que c’est déjà tellement, et s’il faut souffrir nous souffrirons, et nous aurons le goût d’y retourner encore, éblouis et malmenés par la beauté et la violence de ce monde.
En sentant la douceur de l'eau sur sa peau, Bakhita a retrouvé la pureté de la rivière, les jeux et l'enfance, sa mère.
Partir, c'est espérer, toujours.
Sa vie est comme une danse à l'envers, un tourbillon d'eau sale.
Elle sait qu’il ne faut s’attacher à personne, qu’à Dieu. C’est ce qu’ils disent, mais elle n’y croit pas. Ce qu’elle croit, c’est qu’il faut aimer au-delà de ses forces, et elle ne craint pas les séparations, elle qui a quitté tant de personnes, elle est remplie d’absences de de solitudes. P 357
C'est pareil pour un amour. Un jour on ne connaît pas un homme. Et le lendemain subitement, on le connaît. Subitement, en une seconde on le voit et on apprend son prénom, on découvre son visage et après il est trop tard pour oublier cela que l'on nomme -faire la connaissance- de quelqu'un. Défaire la connaissance est impossible.