La porte grince, Joseph tressaille et se recroqueville dans son hamac. Les pieds puants du voisin tête bèche dans le hamac lui effleurent le nez. Mais Joseph n'ose pas bouger, il dresse l'oreille, il attend le souffle coupé, tétanisé. Son coeur bat la chamade, la trouille au ventre, il pressent l'humiliation, le mépris, la haine des autres…
Comme Joseph nous retenons notre souffle au fil des pages. Joseph est de l'Assistance, il est devenu pupille de la Nation. Enfin, la Nation, ses pupilles, elle s'en fiche comme d'une guigne ! Ces bouches à nourrir inutiles, elle s'en débarrasse comme de fardeaux inertes et encombrants dans des institutions-prisons : la Petite Roquette en plein coeur de Paris, mais aussi la Colonie, un bagne pour enfants à Mettray en Touraine. Pourtant la Nation pense bien faire en envoyant ces enfants au grand air, loin du vice des villes. Travailler dans les champs, voilà qui est sain ! L'État verse donc généreusement ses subsides à des instructions privées pour se débarrasser du problème, dont certains sauront profiter avidement en réduisant au maximum les coûts sur le dos des enfants. Cela rappelle étrangement l'aveuglement de l'État dans le scandale Orpéa qui ne semble pas tirer les enseignements du passé …
On écarquille les yeux à la lecture de cet ouvrage fort bien documenté, aucune éducation n'est donnée aux enfants, ils sont soumis à des travaux harassants dans les champs ou à la blanchisserie, anéantis, transformés en petits esclaves, soumis aux tortures les plus variées.
Cela pourtant remonte à un temps pas si lointain, moins de 100 ans, au tout début des années 30.
Véronique Olmi fait revivre avec talent toute une époque et les relations terribles entre les enfants et leurs geôliers.
Cependant, je n'ai pas réussi à rentrer en empathie avec Joseph comme je l'aurais souhaité. L'écriture de
Véronique Olmi reste froide, assez distante vis-à-vis de ce petit bonhomme. Si j'ai tourné les pages avec angoisse pour découvrir la trajectoire de Joseph, je n'ai pas ressenti ses émotions.
Joseph se découvre un penchant pour les garçons dès son plus jeune âge et se traite alors de pédé, lopette, vicieux, salope, … Je ne crois qu'un enfant de 10 ans puisse penser en ces termes et s'insulter de la sorte, et ce même dans les années 30 quand l'homosexualité était taboue et condamnée par la société. Je n'y ai pas cru, et ces insultes qui reviennent comme une litanie dans de nombreux chapitres m'ont dérouté et déplu. Peut-être manquait-il quelques explications sur l'utilisation de ces mots par un enfant …
Dommage, car la plume de l'auteure nous entraine avec virtuosité dans le Paris d'avant-guerre, j'ai aimé les incursions dans l'enfance de titi parisien de Joseph auprès de sa grand-mère et de sa mère, qui exerce le beau métier de plumassière, la découverte de la musique par Joseph, puis de la vie nocturne d'un Paris cosmopolite battant la mesure avec ses clubs de jazz, ses cabarets et spectacles de music-hall. le livre s'achève en 1936 sur la conquête par les ouvriers d'avancées sociales majeures, comme les premiers congés payés, et nous plonge dans l'occupation ouvrière des usines.
La dernière partie du roman sur la difficile réadaptation de Joseph à la vie extérieure est très réussie, et la fin, peut-être un peu facile, amène une note porteuse d'espoir après tant d'horreurs, même si l'on sait que l'ombre de la seconde guerre mondiale commence déjà à obscurcir le tableau.