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Critiques de Wole Soyinka (55)
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Le lion et la perle

Le roman fait une différence entre La tradition et la modernité d'où les deux personnages Baroka le chef du village où le lion et Lakunlé un Instituteur qui veut marierSidi sans la Dot. Tous les deux cherchent à épouser la jeune Sidi la plus belle femme du village où la perle. Alors ,qui va gagner la main de la jeune fille ? Cherchez donc à lire ce roman romantique, comédien et Dialogique.

Quel est l'avantage et la limite de la lecture de ce roman que vous pouvez tirer?
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Chroniques du pays des gens les plus heureu..

Le Nigérian Wole Soyinka fut le premier Africain à recevoir le prix Nobel de littérature, en 1986. Il a bientôt 90 ans et c'est là son (seulement) troisième roman. Parce qu'il est un écrivain polymorphe, principalement dramaturge et poète, ainsi qu'essayiste.

Engagé, aussi, au point d'avoir été emprisonné dans les années 70 pour son soutien au Biafra, puis condamné à mort (par contumace) au temps du dictateur Sani Abacha, alors qu'il était déjà mondialement connu après son Nobel.



Le roman commence d'ailleurs par démolir allègrement l'histoire post-coloniale de son pays en quelques phrases d'ironie assassine. Ainsi que l'arrivisme implacable des élites locales, teinté de fantaisies exotiques qui en font le charme.

(Qui en feraient le charme si leur cupidité prédatrice ne maintenait pas la plus grande part de leur population dans une pauvreté insupportable, dans les « franges marginalisées – certains préféraient les qualifier de marginales – de l'humanité ».)



Il y ajoute un quadrille d'amis indéfectibles depuis le temps des études à l'étranger. Ce qui donne une couleur « Trois mousquetaires » très prononcée : ils se sont dénommés le Gong des Quatre et ont détourné de Dumas leur devise « Quatre pour un, un pour quatre, gong-oh ».

Évidemment, ces anciens jeunes idéalistes que l'on surprend vers la cinquantaine ont pris dans les dents le climat très délétère du pays, et il leur est difficile de conserver leurs naïvetés et rêves de progrès. le roman nous montre leurs différentes stratégies pour s'accommoder du climat et conserver ce qu'ils peuvent.

Cela me rappelle la Guinée du roman Les crapauds-brousse de Tierno Monénembo. Actualisée avec les innovations dans l'horreur du Nigeria et du XXIe siècle : les atrocités de Boko Haram et le trafic d'organes. Ainsi que nos médias et réseaux sociaux débilitants à force de bêtise.



Ce livre est dur, parfois un peu tortueux, et tout le temps admirable. On le dévore pour savoir si tout cela finira bien pour ses protagonistes si sympathiques, malgré le contexte extrêmement négatif. En dépit de son âge, l'auteur ne joue pas au vieux sage mais se jette (nous jette) dans la mêlée qu'est devenu le Nigeria. On en ressort effaré par ce monde devenu incontrôlable, mais imprégné de l'amour de l'écrivain pour son peuple (et de son mépris pour ses élites dévoyées).
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Chroniques du pays des gens les plus heureu..

Refermant ces Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde, je ne peux m'empêcher de pousser un petit soupir de soulagement. Quel périple !

Je n'avais jamais rien lu de Wole Soyinka et, sans un billet d'Isacom que je remercie ici de m'y avoir amenée, je serais restée dans cette ignorance complète des oeuvres d'un prix Nobel de littérature (1986). Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde est un volumineux roman paru aux éditions du Seuil cet été. Il pose le cadre d'un Nigéria imaginaire dans lequel la corruption, la vénalité et le marketing ont permis à une petite élite sans scrupule de gangréner toutes les instances du pouvoir. Alors que Boko Haram terrorise les populations par des attentats un peu partout dans le pays, alors que des embouteillages monstrueux empêchent tout déplacement motorisé, que les services de santé semblent en partie dépassés, Sir Goddie, le Premier ministre, mène d'intenses tractations pour trouver un nouveau nom susceptible de favoriser sa réélection. Ce sera Intendant du Peuple, dit IP. le ridicule de l'appellation sent la satire ? C'est normal car c'est bien de ce genre que relève une grande partie du roman.

S'amusant à inventer des festivités aussi grandioses que grotesques, des célébrations à la seule fin de remercier quelques vénaux, une stratégie d'attractivité devant tout aux spin doctors les plus retors, Soyinka embarque son lecteur dans des chapitres touffus pleins de religiosité intéressée, de prise illégale d'intérêt, de scènes burlesques et atterrantes. Chapitres dont on cherche avidement, durant un petit tiers du roman, le lien avec une quelconque mise en place d'intrigue. de temps à autre, comme l'oeil d'un crocodile dans les remous boueux d'un gigantesque fleuve, surgit un nom qui devra être repéré. Et puis, plus loin, après bien des tumultes, alors que le lecteur aura été assommé par de tonitruantes diatribes satiriques mieux que ne l'aurait fait n'importe quel massif tronc d'arbre en travers de sa pirogue, le nom revient. Ou un autre qui désigne pourtant le même personnage. Ou une allusion encore sibylline à un élément narratif fondamental. Et il faudra s'y accrocher comme à un premier indice laissant présager une histoire constituée.

Heureusement, certaines phrases sont vraiment drôles, certains traits magnifiquement décochés. La peinture de cette société à peine caricaturée dans ses excès est féroce et pourrait être jubilatoire. C'est juste que l'histoire prétexte à tout ce déploiement ne m'a pas paru suffisamment solide pour supporter la masse du reste. le devenir des personnages n'est pas un sujet de préoccupation majeur, ils incarnent l'adversité, la déconvenue et leur sort n'est que prétexte à déployer différents cas de figures particulièrement éclairants sur l'état de la société nigériane. Quelle déception pour moi qui goute tant les romans psychologiques et si peu les pamphlets.

Malgré l'éreintement qui m'a saisi au terme de cette lecture et la déception que je ressens à ne pas avoir été complètement séduite, je ne vous en détournerai pas si elle vous tente. Elle constitue une expérience. On peut lui reprocher, ce que je fais allègrement, d'avoir sacrifié ses personnages à un propos satirique et militant, d'avoir cousu de fil blanc une intrigue très faible. On peut trouver aussi insupportables certaines longueurs, une incapacité à choisir entre la farce littéraire, le roman d'aventure et le réquisitoire contre la corruption. Mais on peut gouter aussi le style mordant, apprécier l'ambition du propos. Et puis, finalement, cette intrigue, aussi diluée et invraisemblable soit-elle, elle se tient à peu près.

Aussi, pour aider les potentiels lecteurs de cette somme, outre une machette pour faire son chemin dans ce style luxuriant, un gilet de sauvetage insubmersible et une bonne dose de scotch, je recommande de noter les noms du chirurgien le docteur Menka et de son ami de toujours Duoyle Pitant-Payne. Ce sont, d'une certaine manière, les héros du roman : dès que leurs noms apparaitront, veillez mais ne vous attachez pas !

Ah oui, et puis, dernier conseil : ne lisez pas la quatrième de couverture. Comme le dit Isacom, elle en dit à la fois beaucoup trop et pas assez.



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Le lion et la perle

Comédie ou tragédie ? Voilà la question fondamentale dans laquelle nous plonge ce chef d'œuvre de M. Soyinka ; Avec des flash back aussi nourris les uns que les autres, l'auteur combine tellement de scènes dans les scènes qu'on s'en rend compte de justesse pour ne pas totalement perdre le fil et suivre la séquence réelle...Mais loin de toute cette poésie africaine, ces valeurs et identités, une question majeure très polémique ressurgit : le concept de la négritude. Wole reparcourt les contours du concept (qu'il oppose à sa tigritude) avec une superposition des quatre personnages principaux de la pièce notamment, Sidi, Baroko, Lakounlé et Sadikou...la démonstration reste choquante et la polémique plus qu'ambigue à présent...un livre à lire, avec un accompagné de sa postface...
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Chroniques du pays des gens les plus heureu..

Wole Soyinka est un dramaturge, poète et militant politique nigérian. Il a été le premier écrivain africain à recevoir le prix Nobel de littérature, en 1986. A l’approche de ses quatre-vingt-dix ans paraît son roman Chroniques du pays des gens les plus heureux du monde.



L’idée lui en était venue après la conclusion d’une enquête classant le Nigeria parmi les nations comptant la plus forte proportion d’habitants se déclarant heureux. Très critique des mœurs politiques de son pays, Wole Soyinka s’était demandé si seuls les gens affichant leur bonheur avaient eu droit à la parole. De quoi s’interroger sur les pratiques locales.



Sixième pays le plus peuplé du monde (220 millions d’habitants !), le Nigeria dispose de richesses naturelles importantes, dont du pétrole en abondance. Plusieurs secteurs de l’industrie et des services sont florissants. Malgré cette prospérité, près de la moitié de la population vit sous le seuil de pauvreté extrême. En cause, le niveau hallucinant d’une corruption endémique incontrôlable. Après plusieurs coups d’Etat ayant fait alterner des dictatures et des régimes d’apparence démocratique, le Nigeria est aujourd’hui une République fédérale, constituée d’une quarantaine d’états, qui sont autant de seigneuries largement dotées pour assurer le bonheur des gouverneurs et de leurs amis. « Les milliards alloués s’évaporaient continuellement, pour être réinjectés chaque année au moment du budget, sans oublier les enveloppes complémentaires ».



Ces privilèges sont difficiles à imaginer sans diffusion d’informations très contrôlées, vraies ou fausses, qu’il vaut mieux ne pas contester trop ostensiblement si l’on tient à sa peau. Car le pays brille aussi par l’insécurité : rivalités ethniques, règlements de comptes mafieux, élimination de concurrents, conflits religieux, sans omettre les massacres commis par la secte islamiste Boko Haram, qui trucide, éventre, décapite, mutile, viole, ce qui n’étonnera personne.



Dans ce Nigeria chaotique effrayant, le roman de Wole Soyinka met en scène de nombreux personnages, apparaissant sous différentes identités ou titres. Parmi les plus importants, Papa Davina, un prédicateur aspirant au statut de prophète et Godfrey Danfrere, le Premier ministre, aussi appelé Sir Goddie. Ils s’entendent comme larrons en foire. Comme le dit celui-ci à celui-là : « Vous c’est la face spirituelle ; moi c’est la politique. Le point de rencontre, c’est le business ». En l’occurrence, un trafic très lucratif d’organes, de membres amputés et de chair humaine en tous genres.



Deux autres personnages, mieux intentionnés, enquêtent sur ces pratiques et bousculent l’ordre établi : un ingénieur, Duyole Pitan-Payne, et un chirurgien, Kighare Menka. Une démarche à haut risque !



En dehors de la dénonciation d’un complot sordide, j’ai trouvé l’intrigue carrément loufoque. J’ai eu du mal à trouver dans le livre, qualifié de roman, la narration d’une histoire cohérente. Il me paraît plutôt s’apparenter à un recueil de chroniques — après tout, c’est son titre ! —, à une série d’anecdotes polémiques sur la corruption des pratiques et la perversion des esprits dans le Nigeria fictif ou non fictif dépeint par Wole Soyinka.



L’écriture, élégante, est très bavarde. L’auteur et son traducteur maîtrisent parfaitement toutes les possibilités syntaxiques de leur langue. Wole Soyinka explore les moindres occasions de digressions, autant de chemins de traverse qui contribuent à rendre le texte hermétique, d’autant plus que ses phrases sont interminables, qu’il utilise de nombreuses métaphores difficiles à décoder et qu’il pratique l’humour au deuxième, au troisième, voire au cinquième degré.



Pour conclure : un long, très long exercice de style — plus de cinq cents pages —, éclairé par quelques anecdotes croustillantes.


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Les gens des marais

Je me mets très tardivement à la littérature de Wole Soyinka, mais on a coutume de dire que mieux vaut tard que jamais - je ne sais cependant si l'ont doit se fier à des proverbes, car les études sérieuses sur le sujet manquent cruellement. Nous allons donc passer discrètement, par exemple en sifflotant, sur le fait que je n'avais jamais lu Soyinka avant cette année.





Les Gens des marais (éventuellement nommée ici ou là Les Habitants des marais) est une pièce publiée en 1958, deux avant l'indépendance du Nigeria qui était alors une colonie du Royaume-Uni - d'où le fait que la langue officielle du Nigeria soit encore aujourd'hui l'anglais, malgré l'usage courant du haoussa, du yoruba et de l'igbo. C'est une des toutes premières pièces de Wole Soyinka, écrite en anglais, et la première à avoir été traduite en français, avec deux autres un tout petit peu plus tardives. Au-delà de son talent qui lui vaut une reconnaissance internationale, Soyinka est un dramaturge très important pour le Nigeria, car considéré comme l'un des plus novateurs. Il a beaucoup travaillé à la transformation du théâtre nigérian, mêlant les influences occidentales et les traditions théâtrales nigérianes. Ce qui n'est pas très sensible pour un lecteur occidental complètement ignorant du théâtre yoruba (comme c'est mon cas), mais qui le rend accessible à ce même public. Soyinka est également connu pour son engagement politique, qui lui a valu de légers désagréments comme l'emprisonnement et l'exil ; Les Gens des marais n'est pas tout à fait une pièce politique - d'autres viendront plus tard -, mais c'est une critique sociale acerbe.





On y rencontre cinq personnages et un décor unique, la pièce principale de la hutte d'Alou et Makouri, un couple d'une soixantaine d'années vivant au bord des marais, dans le delta du fleuve Niger, tout au sud du Nigeria. Leurs fils jumeaux sont tous les deux partis vivre "à la ville", c'est-à-dire Lagos, alors capitale du Nigeria et située à l'ouest du delta et à la frontière du Bénin. Via les personnages, on va assister à une confrontation entre deux générations, ainsi qu'à une remise en question des traditions ancestrales suivies très scrupuleusement par les habitants des marais du delta. On notera aussi la présence dans le décor d'un fauteuil de coiffeur, élément qui montrera comment Soyinka a fait sien le principe dramaturgique du fusil de Tchekhov...





La pièce démarre de manière assez insolite, puisqu'Alou est en train de se lamenter sur la disparition, synonyme de mort, de ses deux fils dans les marais. Or Makouri va lui répondre qu'elle raconte absolument n'importe quoi, qu'Awoutchiké, l'un des jumeaux, est simplement parti à la ville et a oublié sa famille, tandis qu'on comprend qu'Igouézou, l'autre fils, est passé voir ses parents peu avant le début de la pièce et qu'il est reparti voir ses récoltes - ou du moins ce qui reste de ses récoltes, à savoir de la boue, puisqu'une inondation a tout détruit. Mais Alou est complètement obsédée par l'idée apparemment saugrenue que les marais ont englouti, ou vont engloutir ses fils. J'ai ma petite idée sur ce que signifie cette obsession, qui vaut ce qu'elle vaut. On en reparlera.





Arrive un mendiant, qui pratique une religion différente de celle d'Alou et Makouri, sans que cela ne semble gêner personne. Ce mendiant, aveugle, qui vient d'une région accablée par la sécheresse et autres calamités, constitue le grain de sable qui va dérégler l'engrenage. L'engrenage bien huilé, ce sont les traditions, représentées par un prêtre bedonnant, le Kadiye, qui sert le Serpent des marais dans une région tout juste dévastée par les pluies incessantes. Mais il nous faudra la présence, enfin, d'Igouézou, pour que l'engrenage se dévoile tel qu'il est : une imposture qui tourne à vide.





D'une efficacité remarquable, d'une sobriété entièrement au service de la dramaturgie, avec des personnages qui ont chacun un rôle déterminant, Les Gens des marais est une pièce d'une maturité étonnante de la part d'un jeune auteur de 24 ans, qui en était au début de sa carrière littéraire. Dénonçant les ravages que peut exercer l'attrait des villes tentaculaires, qui pousse à piétiner traditions, relations familiales, et que sais-je encore, mais dénonçant tout autant les traditions des régions rurales qui masquent une hypocrisie insupportable, la pièce de Soyinka ne laisse que peu de place à l'espoir. Entre Alou qui refuse d'écouter quoique ce soit, du moment qu'elle sait Awoutchiké en vie, et Makouri qui écoute et comprend ce que lui dit Igouézou, mais refuse de remettre en cause le Kadiye et ses pratiques mensongères, Igouézou n'a guère de réconfort à attendre de ses parents, dans un moment où il en aurait le plus grand besoin. Sa rébellion ne rencontre que déni et incompréhension. Et c'est que la boucle semble bouclée : les élucubrations d'Alou au début de la pièce cachaient un sens profond. Son obsession de l'engloutissement s'avère être - c'est une supposition de ma part - une métaphore d'une justesse terrible, qui s'est matérialisée pour le malheur de la famille.







Challenge Théâtre 2020
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La danse de la forêt

En 1960, le Nigéria accédait à l'indépendance. Au cours des dizaines d'années qui ont suivi, il a connu élections truquées, coup d'État, contre-coup d'État, assassinat de dirigeants, conflits ethniques qui ont conduit à une guerre (la guerre du Biafra), et encore des coups d'État et élections douteuses. Mais 1960 était une année porteuse d'espoirs, après la colonisation britannique. C'est dans ce cadre que Wole Soyinka écrivit La Danse de la Forêt, pièce vouée à célébrer l'indépendance. Or Soyinka étant Soyinka, il ne proposa pas une pièce de théâtre célébrant le glorieux passé du pays, mais une réflexion sur le rapport à l'histoire. Ce qui ne convenait pas aux célébrations officielles, et c'est pourquoi la pièce fut jouée, certes, mais de façon presque officieuse, par une troupe semi-professionnelle, et à l'écart.





C'est le jour de la célébration, et chacun court ici et là afin de mettre la dernière touche aux préparatifs. Surtout, on a procédé à un rituel visant à faire revenir deux morts pour cette nuit particulière, deux morts qu'on s'imagine chatoyants, pleins de dignités et glorieux : à l'image du passé du Nigéria. Sauf que les deux morts en question, revenus à la vie par l'entremise du Père de la Forêt, ressemblent à deux mendiants loqueteux que tout le monde évite et chasse du village, ne voulant pas avoir affaire à deux pareils personnages. Et voilà les deux morts, ayant perdu la mémoire des centaines d'années passées, errant et se demandant ce qu'ils peuvent bien faire là.





La pièce montre à la fois la vie des villageois - qui ont pas mal de trucs à se reprocher - et les activités des esprits de la Forêt, qui ne tendent pas forcément vers un but unique. Voire pas du tout. Eshouoro veut venger le double sacrilège commis sur l'arbre qui lui est consacré - étêtage de la cime et meurtre -, tandis que le Père de la Forêt, sous un déguisement anodin, a choisi de se servir d'illusions pour mettre quatre habitants du village - quatre habitants qui sont les archétypes de ce qu'il y a de mauvais en l'homme, mais aussi des réincarnations de leurs ancêtres - pour les obliger à regarder en face leurs mauvaises actions, issues des mauvaises actions déjà commises, encore et encore, par les anciens. Il y a quelque chose du Songe d'une Nuit d'été dans la façon dont le Père de la Forêt utilise ses pouvoirs et éveille les consciences - du moins certaines d'entre elles.





Pièce difficile à résumer parce qu'à la fois assez complexe dans sa composition - théâtre dans le théâtre, mélange de deux mondes, retours dans le passé, allégories, tout ça dans un joyeux capharnaüm - et pas évident à saisir pour les Occidentaux peu au fait de la mythologie yoruba (sans parler de l'histoire du Nigéria). Contrairement à Un sang fort ou aux Gens des Marais, ça n'est pas du tout linéaire. Mais c'est ce qui fait aussi le talent et l'originalité de Soyinka : en confrontant deux mondes, celui des humains et celui des esprits yoruba, il montre à quel point ils ont cessé de ne faire qu'un - Eshouoro est celui qui peste contre le mépris des humains pour la Nature, au point qu'il souhaite se venger d'eux une bonne fois pour toutes. le Père de la Forêt, lui, plus clément, plus pédagogue dirons-nous, mais conscient du danger encouru par les hommes, montre avec son théâtre improvisé à quel point on peut se servir du passé pour construire un mythe resplendissant, qui n'a guère à voir avec la réalité, et qui peut se révéler dangereux si on ne le regarde pas bien en face, avec ses mauvais comme ses bons côtés. Aura-t-t-il convaincu les quatre humains à la fois spectateurs et acteurs de sa pièce ? C'est en tout cas le but que s'assigne également Soyinka avec cette originale et décidément toujours aussi intéressante composition.


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Chroniques du pays des gens les plus heureu..

Une étourdissante plongée au Nigéria, entre Abuja et Lagos, entre jet-set et superstitions locales, entre syncrétisme et Boko Haram, entre business louche et chirurgie réparatrice.

J’ai eu du mal avec celui-ci !

Au début, du moins ; après, c’est génial.

Au début j’ai eu le sentiment, non pas d’un arbre qui cache la forêt, mais de chercher l’arbre caché par la forêt, plutôt.

Chaque fait, personnage, ou description d’un lieu, c’était comme si de multiples spirales en partaient, qui m’emmenaient dans toutes sortes de directions. Vous connaissez les cartes mentales ? Voilààà.

Et puis, même si l’humour noir était bien présent, parfois ça faisait un peu "private joke", genre "Si t’es pas du Nigéria tu peux pas comprendre".

Le début, donc, n’est pas si compliqué, non : mais je l’ai trouvé un peu poussif (désolée M. Soyinka).

Il tient plus du pamphlet (sur la corruption, le clientélisme, la fraude électorale, les séquelles du colonialisme, servez-vous y a du choix j’en ai d’autres en stock) que d’une intrigue bien ficelée.

Mais après !!!

Après, si on s’accroche, on ne peut que trouver ce roman génial.

Parce qu’une fois posé ce décor et ces personnages, l’intrigue devient haletante, et se termine même à la façon d’une véritable enquête policière, avec pistes loufoques, déchiffrage de code et secrets de famille.

Du grand art.



Traduction sans faille de Fabienne Kanor et David Fauquemberg.



Challenge Nobel

LC thématique octobre 2023 : "Un·e auteur·e déjà lu·e"
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Climat de peur

APRES LE PIRE...



Dans ce livre rare, «Climat de peur» (l'intitulé donné sur Babelio est trompeur et faux : il n'est question d'Afrique qu'en tant que collection chez Actes-Sud), le premier prix Nobel africain (mieux vaut tard que jamais) Wole Soyinka décrit, par le biais de cinq conférences donnée en Grande-Bretagne, ce qui est apparu à la suite de cette date fatale du 11 Septembre 2001.



Très loin des clichés et d'une manière de penser trop facilement admise, l'auteur de Une saison d'anomie essaie de découvrir les prémices modernes de ce drame abject. Il les situe plus particulièrement dans le fameux (mais presque oublié aujourd'hui) drame de l'avion d'UTAH qui vit disparaître tous les passagers de ce vol au dessus du territoire de son propre pays, le Nigeria.



Sans jamais chercher de trop faciles coupables ni boucs-émissaires absolument évidents, sans pardonner par faiblesse un occident éloigné de tout soupçon, sans concession aucune pour quelques religion que ce soit - séculaire ou sacrée - c'est en intellectuel ayant vécu l'enfermement, la dictature, la violence sans but autre que le maintien au pouvoir d'un dictateur Sani Abacha (dont il n'est pas inutile de rappeler que l'auteur de ce livre fut un fervent opposant, au point de provoquer l'embargo de son pays suite à ses révélations de la pendaison d'un de ses amis, l'écrivain Ken Saro Wiwa) qui s'exprime ici sans fard, sans compromission, sans vacuité.



Il y a des paroles vivantes qui mériteraient qu'on les porte au pinacle de l'humanité toute entière...



Bien sur, les années ont un peu passé. Depuis, nous avons eu "Charlie", les USA ont eu Obama, Guantánamo a (presque failli être) fermé... Mais jamais les crispations n'ont été aussi fortes autour de questions investies par les fanatismes religieux : voile et "blasphème" pour un certain islam, "famille pour tous" (et surtout pour quelques uns) côté catholicisme intégriste. La parole forte, dense, définitivement humaniste et belle de Wole Soyinka semble plus que jamais actuelle. Essentielle. Peut-être tragique. Jamais désespérée, pour qui croit encore que l'homme est perfectible.



Humanisme, écrivions-nous ?
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Les interprètes

Je n'ai pas retenu beaucoup de ce roman, Les interprètes, et je l'ai encore moins compris. Tellement que je ne lui accorde que deux étoiles. C'est rare, extrêmement rare. Habituellement, même si un roman ne me plait pas, je réussis à lui trouver des points positifs. Mais là, néant. Et pourtant, son auteur, Wole Soyinka, est un artiste primé, même récipiendaire d'un prix Nobel. Que s'est-il passé ? Il a produit un truc trop cérébral et hermétique ? Son éditeur n'a pas osé lui faire remarquer que son bouquin méritait d'être revu et corrigé ? Ou bien c'est moi qui suis passé complètement à côté d'une oeuvre magistrale ? C'est possible que certains y voient le travail d'un génie. Toutefois, moi, je ne le ferai pas. Dès le début, je me suis senti un peu perdu bien que je doive admettre que je n'ai pas mis beaucoup d'effort pour essayer de comprendre. Je n'étais pas intéressé, encore moins motivé. Il faut dire que ça traite d'un sujet précis à une époque précise, soit les années 60 en Afrique, et je n'y connais que dalle ! Les interprètes, c'est plusieurs personnages qui s'entrecroisent, qui disparaissent, qui reviennent sans trop qu'on sache pourquoi, etc. Mais leurs péripéties ne m'interpelaient pas. Surtout, je n'arrivais pas à saisir une intrigue principale qui les reliait toutes. Bien sur, toutes ces aventures sont l'occasion pour aborder des thèmes comme le retour au pays (d'Afrique) après s'être promené dans les grandes métropoles de l'Occident, le sort réservé à l'élite intellectuelle, la politique, la corruption, etc. Un brin d'existentialisme ? Les personnages représentent quelque chose, ça, je suis capable de le sentir, mais au-delà de ça… Je trouvai quelques uns d'entre eux caricaturaux (mais certains les trouveront audacieusement drôles) alors que d'autres manquaient de chair. En somme, je n'y croyais pas. À part cela, le style de l'auteur de m'a pas plu, je ne lui trouvais pas ce petit je-ne-sais-quoi qui aurait pu compenser. J'aurais sans mieux fait d'aborder l'oeuvre de Soyinka par autre chose, apprivoiser ce grand écrivain par ses pièces de théâtre, moins denses que ce roman effrayant.
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Le lion et la perle

j'appré cie bien ce livre

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Aké, les années d'enfance

Comme toute autobiographie, « Aké, les années d'enfance » raconte comment l'homme est né de l'enfant. Tout petit, Wole Soyinka jouit du domaine où il vit, ceint de hautes murailles (ou qui lui paraissaient telles), véritable Éden habité par les membres de sa famille protectrice. En grandissant, il découvre le monde au-delà, au cours d'escapades insouciantes, mais approfondit aussi sa connaissance des adultes et de leur illogisme. Pire encore, il prend conscience de l'injustice: celle de sa mère, capable d'humilier sa soeur, celle de son père incapable de pardonner à qui profane ses roses, celle de sa tante qui frappe en public une servante énurétique. Les enfants eux-mêmes sont prompts à la violence qui lynchent une clocharde enceinte pour la faire déguerpir. Soyinka comprend très vite qu'il est un privilégié et que les rapports de classe lui sont profitables. Mais le livre se termine sur une révolte contre l'impôt qui met à bas le pouvoir traditionnel.

Ce récit à hauteur d'enfant, où jamais Soyinka n'est condescendant envers le petit qu'il fut, annonce ainsi le grand auteur nobélisé, cet écrivain engagé qui se retrouva en prison pour avoir défendu ses idées.

Mais la grande réussite de ce récit est d'avoir fait coïncider une double émancipation. le bonheur de l'enfant se confond avec l'illusion d'une certaine élite africaine croyant possible de faire jeu égal avec les colonisateurs blancs. le monde initial du petit Wole est celui du syncrétisme : les missionnaires chrétiens et les esprits des ancêtres se partagent le territoire de la mission sans qu'il soit toujours possible de les distinguer. Mais lorsque le livre s'achève, en 1945, il aura compris que le conseil des Anciens est phagocyté depuis longtemps par le pouvoir des Blancs. Et il surprendra une conversation téléphonique qui achèvera de mettre les choses au clair:

« …lorsque j'ai entendu la nouvelle à la radio, je n'ai eu qu'une pensée : c'est bien eux, c'est bien la race blanche. Il a fallu que vous la lanciez sur le Japon, n'est-ce pas ? Pourquoi ne l'avez-vous pas lancée sur l'Allemagne ? Dites-le moi. Répondez honnêtement à cette question, si vous le pouvez ; pourquoi pas sur l'Allemagne ? […] Vous savez très bien pourquoi. Parce que l'Allemagne est peuplée de Blancs; les Allemands sont vos parents tandis que les Japonais ne sont que de sales jaunes. […] Japonais, Chinois, Africains, nous sommes tous des sous-hommes. »

À la fin de l'histoire, Wole Soyinka n'a que 12 ans et il n'a pas fini de grandir. Son peuple non plus. Mais ils ont déjà fait une bonne partie du chemin.
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La mort et l'écuyer du roi

Après 4 pièces de Soyinka que j'ai aimées, voire adorées, c'est la douche froide. "Cette pièce a pour origine des événements qui se déroulèrent à Oyo, ancienne cité Yoruba du Nigéria, en 1946. Cette année-là, les vies d'Elesin (Olori Elesin), de son fils et de l'administrateur régional des Colonies se sont étroitement mêlées ; les conséquences désastreuses de cette rencontre sont exposées dans la pièce." écrit Soyinka dans son avertissement de la pièce, probablement en 1986 (année de son prix Nobel). Puis de s'agacer : "L'inconvénient de ce genre de thèmes est qu'à peine sont-ils employés qu'ils sont classés comme «conflits de cultures», étiquette préjudiciable qui, outre le fait qu'elle est souvent employée à mauvais escient, présuppose une égalité potentielle pour chaque situation donnée de la culture étrangère et de l'autochtone, sur le sol de cette dernière." Et plus loin : "Parmi les lectures possibles de la pièce, l'une des plus évidentes consisterait à faire de l'Administrateur régional la victime d'un cruel dilemme. Ce n'est pas de mon goût[...]." Bon, ben si c'est du goût de Soyinka, pourquoi donc en parler ? Et de finir par : "Le facteur colonial n'est qu'un incident, un simple catalyseur. La confrontation dans la pièce est dans une large mesure métaphysique, contenue dans le véhicule qu'est Elesin et l'univers de l'esprit Yoruba : le monde des vivants, des morts et de ceux qui sont à naître ; et dans le passage sacré qui relie tout : la transition."





Je résume l'histoire pour mieux relancer cette histoire de métaphysique et de lecture mal digérée : un roi yoruba est mort, et la coutume veut qu'on tue son chien (on s'en fout qu'il ait envie de mourir ou pas, c'est qu'un chien), son cheval (pareil que pour le chien), et enfin que son écuyer se suicide, le tout travers un rituel sacrificiel. Or, l'Administrateur régional, britannique, va empêcher la mort d'Elesin, l'écuyer, pour des raisons politiques. Et là, j'ai envie de dire directement que c'est pas forcément la faute des lecteurs si la pièce n'est pas perçue comme métaphysique. Que c'est peut-être bien dû à l'auteur. Que les lecteurs ne devraient pas trop se fustiger de ne pas avoir saisi la profondeur métaphysique de la Mort et l'écuyer du roi et d'avoir été gênés dans leur compréhension par leur méconnaissance de la culture yoruba, car on y explique par A+B en quoi consiste la coutume yoruba que souhaite suivre Elesin, et ce qu'elle signifie - on reviendra dessus. Ajoutons que La Danse de la forêt, du même auteur mais écrite 15 ans plus tôt, proposait un univers yoruba qui avait bien plus valeur de frein à la lecture, et pourtant, cela n'empêchait pas de saisir au moins en grande partie les réflexions et questionnements que la pièce abordait.





Pourquoi voit-on ici une pièce sur le choc des cultures ? Mais parce que c'est justement ce que cette pièce met en avant, et d'abord par sa construction : elle est scindée en cinq scènes/actes, dont quatre se déroulent alternativement dans ce que nous appellerons l'espace yoruba et l'espace colonial, les personnages de ces deux espaces étant amenés à se confronter dans un finale, tiens donc. Et que voit-on d'Elesin, qui clame à tout va qu'il suit la coutume yoruba, qui clame sa foi en des traditions culturelles, de façon parfois horriblement lyrique (déjà que j'ai dû supporter le lyrisme de Partage de midi, j'en ai un peu ma claque des dialogues lyriques) ? Un homme qui ne se pose pas de questions avant la toute fin de l'acte V, et dont on ne sait jamais si les traditions ont seulement un sens pour lui. Souhaite-t-il réellement se sacrifier à la suite de la mort de son roi parce qu'il est habité par l'ontologie proprement yoruba, ou parce qu'il est juste soumis à une élite qui l'a embobiné, comme il est d'ailleurs persuadé de faire partie d'une élite héritée par le sang ? (Le fait est que non, il ne veut pas mourir, et il finira par l'avouer.) Les mêmes réflexions peuvent d'ailleurs tout aussi bien s'appliquer aux colonisateurs britanniques, en la personne de l'Administrateur régional Pilkings, soumis à d'autres croyances, à d'autres élites, à d'autres instances, à une autre ontologie, mais qui ne se posent aucune question, et dont les soumissions et croyances peuvent bien être vides de sens. Et pour ce qui est des traditions vides de sens, Soyinka ne s'était pas gêné pour les dénoncer dans Les Gens des marais, Un Sang fort, Frère Jero ou La Danse de la forêt, aussi qu'est-ce qui peut bien nous faire penser qu'Elesin, et avec lui les deux sociétés mises face à face, ne sont pas atteints du même mal ? Pendant 9/10èmes de la pièce, nous n'aurons que des paroles, des images et métaphores verbeuses, à nous mettre sous la dent, et qui ne nous permettront pas d'esquisse la moindre réflexion d'ordre métaphysique.





Alors oui, la métaphysique est tout de même présente, par le truchement d'Olunde, le fils d'Elesin, et vaguement par la transe d'Elesin, qui ne rend rien à la lecture - et qui ne m'a pas convaincue. C'est bien Olunde qui va chercher à rétablir l'ordre du monde détruit par Pilkings. Mais enfin, question métaphysique, tout ça manque de profondeur ; car au fond, tout le monde, dans toutes les cultures, connaît le principe de la transition yoruba sous une forme ou une autre. Sans en appeler à la religion, la science a démontré avec la théorie du Big Bang, dont découle la théorie de l'origine de la vie terrestre, que toute vie sur Terre est, selon l'expression consacrée de Carl Sagan, "poussière d'étoiles". le cycle de la nature, la mort qui nourrit la vie, c'est un concept qui nous... nourrit, justement, et depuis des temps immémoriaux. Or, Soyinka a choisi, pour représenter ce sujet d'ordre métaphysique, un personnage, Elesin, qui n'engage quasiment pas le lecteur à se poser de questions et qui ignore tout questionnement métaphysique. Elesin profère juste des paroles, très répétitives, répétées par d'autres et qu'il répète après d'autres. Pire, Elesin se préoccupe d'être richement habillé pour la nuit de sa mort, par tradition, ainsi que de dépuceler une très belle jeune fille - accessoirement la fiancée de son propre fils - sous prétexte de répandre sa semence et perpétrer le cycle de la vie ; dépuceler une jeune fille qui n'a rien demandé, même si elle a l'air consentante (forcément, hein), précisons en passant que c'est du viol (mais bon, c'est qu'une femme après tout, et les Européens n'ont pas été en reste sur ce point). Elesin est donc bien plus absorbé par les plaisirs terrestres qu'il ne le clame, excepté dans son aveu final.





C'est dommage. le personnage d'Olunde plus développé, on aurait pu avoir une pièce qui confronte deux ontologies, et qui dit ontologie suppose effectivement une part de métaphysique (je précise tout de même qu'Olunde reproche aux Anglais d'envoyer des milliers de soldats à la boucherie - la pièce se déroulant en 1943-1944 -, ce qui n'a rien de très glorieux, certes, excepté qu'il passe complètement sous silence la menace... nazie, rien que ça. Alors la métaphysique d'Olunde, avec ça, elle en prend un petit coup dans l'aile, quand même.) Or, le sujet métaphysique restant assez superficiel, que nous reste-t-il ? Une pièce sur le conflit des cultures, ben oui. Mais comme l'auteur ne supporte pas cette lecture de sa pièce, pourquoi nous fatiguer à analyser cet aspect ? Par conséquent, d'une pièce un peu agaçante avec ses métaphores pénibles qui reviennent régulièrement, nous sommes réduits à ne pas retenir grand-chose, sous peine de fâcher Wole Soyinka ou de nous flageller, persuadés que nous n'avons rien compris à son œuvre. J'appelle ça s'appelle du gâchis, et ce d'autant qu'on pourrait tirer de la Mort et l'écuyer du roi pas mal de choses intéressantes. Tant pis ! Après tout, j'ai toujours sous la main 2001 de Kubrick si j'ai envie d'une bonne dose de métaphysique.


Lien : https://musardises-en-depit-..
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Un sang fort

Une pièce de Wole Soyinka de 1964 qui n'a plus pour sujet, comme dans Les Gens des marais, l'opposition entre modernité et traditions (alors toutes deux conspuées par Soyinka), mais uniquement la dénonciation de traditions ancestrales cruelles et absurdes.





Le décor prend place dans un village yoruba du Nigéria entouré par la brousse, où Eman, un jeune homme, vit depuis moins d'un an - on le comprend parce qu'on est à la veille du Nouvel An, et qu'il n'a jamais encore assisté aux célébrations de cet événement traditionnel. Il enseigne aux enfants dans un bâtiment qui sert à la fois d'école et de dispensaire, dispensaire où une jeune femme, Sunma, essaie tant bien que mal d'être utile aux villageois, tout comme Eman avec l'école. Sunma, elle, est originaire du village, et obsédée par l'idée de le quitter, en particulier en cette soirée de festivités. Mais elle se heurte à Eman, qui refuse de s'éloigner du village avec elle, ne serait-ce que pour une nuit. Elle l'incite à ne pas sortir, à ne pas se mêler aux autres, sans succès, mais éveillant une certaine curiosité de la part d'Eman. Sunma manifeste une nervosité inhabituelle, qui va grandissant. Il s'avère que l'indulgence d'Eman pour les villageois l'insupporte, parce qu'elle les considère comme emplis d'une méchanceté irrémédiable.





Je n'irai pas plus loin dans l'histoire de cette nuit d'un village hanté par des traditions qui ont corrompu tous ses habitants, ou presque. Il faut lire le texte pour ressentir la montée en puissance de la tension, et du mal qui est au coeur du village. Il s'agit tout simplement de dénoncer ici la pratique qui consiste à choisir un bouc émissaire, bien connue dans la culture grecque et dans la culture chrétienne. le bouc émissaire, ici, c'est le "porteur", voué à prendre sur lui tous les péchés des habitants du village et à en être chassé, assurant ainsi la bénédiction des dieux pour l'année à venir. Et pour bien faire, on choisit uniquement des étrangers, pour la plupart des enfants et adolescents considérés comme attardés, qu'on laisse traîner au village jusqu'à ce que le Nouvel An pointe le bout de son nez. Comme c'est pratique !





Soyinka a choisi d'utiliser en parallèle les scènes de la veille du Nouvel An et d'autres scènes issues de la mémoire d'Eman, qui font ressortir la continuité des traditions, mais aussi l'impossibilité d'échapper à ces mêmes traditions. Eman, en quittant son propre village, aura tenté vainement par deux fois de se débarrasser de croyances qui le dégoûtent. le procédé des scènes de retour dans le passé avait notamment déjà été utilisé par Arthur Miller dans Mort d'un commis voyageur ; Soyinka se l'approprie différemment, mais tout aussi remarquablement.





Le nombre de personnages, assez resserré, permet d'attribuer à chacun un rôle très marqué : l'idiot du village choisi depuis longtemps comme futur porteur, la jeune femme rebelle à la culture de son village mais qui n'a pas su, jusqu'à présent, le quitter ou faire changer ses habitants, l'étranger qui ne connaît déjà que trop les traditions ancestrales et finira par se dresser contre les villageois, le meneur qui perpétue les traditions sans se poser de questions, le prêtre qui cherche également à préserver les traditions mais qui commence à être habité par une forme de doute. Et, à la fin, les villageois... et c'est avec eux que, peut-être, la donne change alors : appelons cela "Un nouvel espoir", c'est tout à fait de circonstance (et, oui, j'utilise beaucoup de références à Star Wars dans mes critiques, malgré le fait que.. passons, passons !)





La pièce est construite comme une tragédie, et c'est clairement une tragédie. Mais n'allez surtout pas penser à Racine ! de la malédiction familiale, ce fameux "sang fort" revendiqué par le père d'Eman, au sacrifice final, la composition est encore une fois d'une efficacité redoutable. Une pièce dense, violente, qui laisse difficilement indifférent. Il m'a fallu un peu de temps pour écrire cette critique et prendre du recul face à cette expérience très forte.







Challenge Nobel

Challenge Théâtre 2020
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Climat de peur

Belle découverte du Nobel nigérian 1986 (premier auteur africain nobélisé) avec cet essai, reprenant cinq conférences qu’il a données à Londres en 2004.

Érudition renversante, intelligence fascinante, écriture captivante, cet essai a tout pour plaire.

Hormis son désespérant sujet : la peur.

La peur comme construction idéologique, comme instrument de pouvoir, comme outil de propagande, comme refus du dialogue.

"Après chaque attaque contre notre sentiment de sécurité locale ou mondiale, réussie ou déjouée au dernier moment, la question qui demeure est à l’évidence la suivante : et après ? Où ? Comment ? Existe-t-il encore des limites reconnues, une retenue à garder dans l’horreur ?"

Soyinka explore les mécanismes de la peur depuis ses souvenirs d’enfance, enfance au cours de laquelle il a dû affronter le harcèlement scolaire, jusqu’aux actes terroristes du début du 21ème siècle, en passant par la terreur nucléaire de la Guerre froide.

Chaque conférence est ponctuée d’un témoignage personnel auquel il parvient à insuffler un brin d’humour ; il doit être, en plus, un orateur hors pair.

Traduction parfaite d’Étienne Galle.



Challenge Nobel

Challenge gourmand (Madeleine : Des souvenirs d'enfance évoqués dans ce livre)
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Les tribulations de Frère Jero

Les Gens des marais et Un Sang fort m'avaient laissée plus ou moins sur le flanc ; Les Tribulations de Frère Jero, bien que donnant aussi dans la critique sociale, m'a redonné le sourire.





Jeroboam se dit prophète ; il faut entendre par là qu'il fait profession d'abuser de la crédulité des gens naïfs. Comme le métier de prophète connaît un certain succès, c'est la guerre pour obtenir son petit bout de terrain sur la plage de la ville et recruter de nouveaux fidèles. Jeroboam, ou Frère Jero, ou Jéroboam Cœur-de-Velours, ou encore Jero l'Immaculé, Héros Articulé de la Croisade du Christ, décide de raconter au lecteur / spectateur un épisode de sa vie, qui montre fort bien comment il procède pour gagner sa vie comme prophète.





Comme il s'agit d'une comédie satirique, Soyinka se fait plus léger, bien que corrosif. Les personnages portent tous leur part de drôlerie, Frère Jero le premier. Malin, mais pas toujours autant qu'il le croit - il faut dire qu'à force de côtoyer des personnes emplies de naïveté, il ne s'attend pas à ce qu'on lui rendre la monnaie de sa pièce -, fantasque, imaginatif, mais aussi sournois et sans pitié pour ceux qui pourraient entraver son commerce, il se joue aussi bien d'un garçon de bureau que d'une femme en mal d'enfants ou d'un député. On le voit manipuler ses fidèles, ou ceux qui pourraient devenir ses fidèles, sans la moindre vergogne. Et on pourrait presque le trouver sympathique, s'il n'était sans cœur.





Il ne s'agit évidemment pas pour Soyinka de dénoncer uniquement les personnes qui se disent prophètes - prophètes de religions pour le moins floues et fluctuantes -, mais plutôt tout un système sociétal qui s'appuie sur les superstitions, l'égoïsme, l'arrivisme, et, disons-le, une certaine forme de bêtise (hein, quand même). Ce qui distingue Frère Jero, c'est son habileté, pourtant mise devant nos yeux à rude épreuve, à utiliser ce système, sans d'ailleurs en tirer un profit énorme (mais un profit tout de même). C'est qu'il est lui-même de la même trempe que les autres, à rêvasser d'un avenir qui lui permettrait de se pavaner davantage devant un plus large auditoire.





Si la pièce est drôle à lire, on imagine bien qu'elle doit l'être beaucoup plus sur scène, notamment à cause des allers et retours des personnages, des disputes, des scènes de prière et de transe qui ponctuent toute l'histoire - sans compter le jeu des comédiens, évidemment . Bien que je pense que le théâtre se découvre sous un jour tout à fait intéressant quand il n'est que lu, c'est souvent le propre de la comédie d'être bien plus percutante quand elle est jouée. Mais il ne me semble pas que Soyinka, que ce soit dans le registre comique ou dramatique, soit très à la mode en France. C'est bien dommage...







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Challenge Théâtre 2020
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Le lion et la perle

Le lion et la perle n'est pas une fable De La Fontaine mais une pièce de théâtre d'un auteur nigérian. le lion et la perle n'est donc pas, non plus, une pièce de Molière. le théâtre de Wole Soyinka est bien plus actuel, plus moderne même s'il reprend il est vrai des topoï propres au théâtre classique comme le conflit entre les anciens et les modernes, mais ce qui est classique dans le théâtre de Wole Soyinka prend ses sources au-delà du théâtre du XVIIème siècle, ailleurs que dans le théâtre français car il rappelle, aussi, le théâtre antique comme le théâtre à Rome, ou le théâtre grec. le dramaturge introduit sur scène des mimes, de la musique tribale et les musiciens et les danseurs s'attribuent le rôle du Choeur antique, et l'auteur crée du théâtre dans le théâtre, entre autres en rédigeant de longues didascalies pour introduire du récit, rendant son théâtre vivant, l'animant sans cesse. Surtout, c'est du théâtre nigérian, africain, et le choeur de Wole Soyinka invite les personnages au chant et à la danse, il les invite à représenter leur propre rôle ou à usurper le rôle des autres personnages, dans le but de se moquer, de dénigrer ou de s'auto-dénigrer, surtout lorsqu'il s'agit de se moquer de la virilité, de la puissance et de la gloire du Lion et la Perle se prête au jeu jusqu'à s'introduire d'elle-même dans la tanière du Lion ... Et si vous voulez la fin de cette histoire et la morale qui l'accompagne (que vous aurez à rédiger car je l'ai dit, Wole Sayinka n'est pas fabuliste), je vous invite à rejoindre la danse et à danser au rythme des tam-tams, sur le territoire du Lion ...
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La danse de la forêt

Une des premières pièces de Wole Soyinka, écrite en 1960 pour célébrer l'indépendance de son pays, le Nigeria. Mais c'est une étrange célébration, assez ironique et décalée, qui replace les événements dans une trame historique plus large, et fait intervenir les esprits de la forêt, qui contemplent les actions des hommes et pour certains veulent s'y immiscer.



Les hommes fêtent « le grand rassemblement des tribus », et pour ce faire, un totem a été sculpté, un homme, un apprenti, est tombé de l'arbre dont il sculptait la faîte, poussé par son maître jaloux, car souffrant de vertige. Démoké, le sculpteur, tourne en rond dans la forêt qu'il ne reconnaît plus, car des arbres ont été abattus en l'honneur de la fête. Sa route va croiser le chemin de trois autres personnes. Une femme, qui s'avère être une prostituée, qui a poussé plusieurs hommes au suicide, et Adénébi, l'orateur du Conseil, à qui toutes les occasions de s'enrichir sont bonnes à prendre, et qui par ses agissements a provoqué un certain nombre de morts. Enfin, un quatrième personnage, qui met à jour tout ce que les trois autres essaient de cacher, et qui s'avère être un des esprits de la forêt.



L'intrigue se complexifie, car les villageois ont décidé de demander aux esprits de faire revenir des personnages du passé, pour honorer la fête. Mais l'homme et la femme enceinte en haillon qui apparaissent, ne conviennent pas aux habitants de la forêt, qui les chassent tour à tour. Mais il s'avère qu'ils ont à faire avec nos trois personnages principaux, qui se révèlent les avoir connus dans une autre vie, où leurs agissements n'avaient pas été très différents de ceux qu'ils ont dans celle-ci. Tout cela sous l'oeil des esprits, dont certains veulent se mêler de ce qui arrivent aux hommes, et qui vont reprendre la main, faisant enfin accoucher la femme enceinte, et entraînant l'enfant dans la danse du titre, où les participants sont des sortes d'allégorie.



La pièce est très compliquée à résumer, car plusieurs temps s'entremêlent, et et le plan humain et celui des esprits se côtoient simultanément. Par ailleurs les esprits peuvent se déguiser. La pièce est plus conceptuelle, allégorique, métaphorique que réellement bâtie sur une action dramatique continue. Le passé violent rejaillit sur le présent, les hommes s'obstinent dans leurs comportements égoïstes et destructeurs, rendant l'avenir inquiétant. Des triplés monstrueux participent à la danse finale : « la fin qui justifie les moyens », « les grandes causes » toujours opportunistes et la « postérité » sanglante, n'annonçant pas à l'enfant, qui pourrait être le symbole du Nigeria, des lendemains bien rieurs. L'enfant est dit « inachevé », et il a tendance à facilement se laisser entraîner au pire.



C'est une œuvre très originale et puissante, à la fois lyrique, pour chanter les beautés de la forêt, que les hommes abîment sans remords, ironique et féroce, pleine de culture et des sous entendus, dont certains liés à la culture yoruba ne sont sont pas faciles à saisir.



Un auteur à découvrir.
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La mort et l'écuyer du roi

Oyo, ancienne cité Yoruba du Nigéria en 1946. Cette pièce, librement adaptée d'un fait réel nous donne une sacrée leçon de morale, de tolérance et de respect envers l'inconnu. Ce fameux inconnu qui a toujours effrayé l'être humain, qu'il ne comprend pas et qui, par conséquent l'effraie.

Ici, toute l'intrigue et le drame tournent autour du personnage d'Elesin, écuyer du roi, enfin pour être exacte du défunt roi. En effet, ce dernier ayant rejoint le royaume des morts il y a un mois, son cheval, son chin ainsi que son écuyer sont sensés, selon la tradition, le rejoindre dans le pays de l'au-delà où un festin autour de leur roi bien aimé les attend. Cependant, bien que le cheval et le chien ont déjà franchi cette frontière, l'administrateur régional Pilkings, d'origine britannique, va tout faire pour empêcher Elesin de passer à l'acte. Ce n'est pas par méchanceté, au contraire, il croit bien faire en préservant la vie d'un être humain, ne se rendant pas comte de la disgrâce qu'il lui inflige, non seulement à lui, mais également à tout son peuple. Voulant éviter un sacrifice qu'il juge inutile en raison de cette tradition qu'il juge barbare puisqu'il ne la connait pas, il va se montrer maladroit envers un peuple tout entier.



Une pièce de théâtre extrêmement touchante, remplie d'allégories, de mythologie et surtout, en dépit de ce que l'on pourrait croire, d'une profonde sagesse. J'avais rencontré l'auteur il y a quelques années de cela lorsque je faisais mes études et cet ouvrage m'était complètement sorti de l'esprit. Heureusement, beau coup de hasard puisque je l'ai retrouvé il y a peu et que, par conséquent, je ne peux que vous recommander cette lecture. Attention, bien lire l'avertissement de l'auteur avant de vous plonger dans la pièce en elle-même !
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La Terre de Mandela

Etonnante la poésie de Soyinka : colorée, éructante, définitive, elle sonne comme un chant à plusieurs voix, un discours pamphlétaire crié à la face du monde, un psaume aux âmes oubliées. Ode à Mandela, mais aussi à la grandeur de l'Afrique, aux immigrants, cri de révolte contre les oppresseurs, le verbe y est porté haut, rageur, fier, désabusé, souvent obscur.

Textes assez dérangeants dont je suis loin d'avoir les codes.
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