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Critiques de Éric Vuillard (1127)
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L'ordre du jour

La critique ayant encensé ce livre j'étais confiant et la déception est à la hauteur de mes espoirs. Nous n'avons à faire ni à une étude historique, ni à un roman mais à une suite d'évènements autour de l'annexion de l'Autriche par le reich allemand en 38 qui permettent à l'auteur un petit livre avec peu d'idées et des longues phrases. Quel est le sens d'un tel livre que l'on pourrait qualifier de persifflage historique, de la littérature "littéraire" faite de mots savants, de phrases alambiquées et d'anecdotes tirées par les cheveux (les costumes nazis à hollywood !). Finalement la critique littéraire est comme l'auteur : paresseuse.
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L'ordre du jour

Bien écrire, c'est faire mouche. C'est l'alliance parfaite entre le style et le propos. Et Vuillard le démontre, livre après livre.

Ces petites histoires qui font la grande, reflètent, d'un ton incisif, la banalité du mal, présent dans toutes les strates de la société, infinité de rouages qui permirent, inconscience et veulerie, peur, les drames que l'on sait.

Le ton est celui de la confidence, de la démonstration ; en surplomb, le narrateur dédramatise, saluant au passage Chaplin. Il ouvre la brèche de l'ebahissement devant ces pans méconnus de la fabrique de l'Histoire où bien sûr, la propagande à un rôle.

Et ce sont les coulisses de l'histoire qui deviennent plus décisives que les faits reconnus marquants, ces dates un peu trop isolées, déconnectées de la richesse du réel et de l'intégralité des causes.

Un livre qui fait littéralement froid dans le dos.
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La guerre des pauvres

« La Guerre des pauvres« , le tout dernier livre d’Eric Vuillard, paru chez Actes Sud, est très bref. 68 pages. Mais quel talent de contempteur des maux de nos sociétés, quelle plume incisive et surtout quelle célébration du pouvoir des mots. Eric Vuillard a l’art de concasser, extirper les théories, les faits historiques les plus complexes pour nous livrer un matériau d’une clarté, d’une limpidité qui m’a toujours paru salutaire. La « Guerre des pauvres » débute avec une pendaison, celle d’un père, son fils Thomas Müntzer n’oubliera jamais cette image gravée dans sa mémoire. Né en 1489 à Stolberg en Allemagne du Sud, dans les montagnes du Hartz, Thomas Müntzer deviendra pasteur en 1520. Il écrit le « Manifeste de Prague » en 1521. Un brûlot où il s’adresse à tous ceux qui, habitué à courber l’échine, ne voit même plus le ciel et son Créateur.. Son discours est profondément révolutionnaire. Il conduira une révolte à l’été 1524, les paysans, les plus humbles se joignent à lui mais il est vaincu à la bataille de Frankenhauser le 15 mai 1525. Les représailles des puissants contre les paysans sont terribles. Capturé, Müntzer est emprisonné, torturé avant d’être décapité à Mülhausen le 27 mai 1525. Une fois encore, Eric Vuillard use de sa si jolie plume pour rendre justice aux oubliés des livres d’histoire. Impossible de ne pas voir dans la « Guerre des pauvres », une résonnance de ce que nous vivons aujourd’hui. Un petit livre par sa taille mais un grand livre par sa puissance d’évocation.
Lien : https://thedude524.com/2019/..
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La bataille d'Occident

Neuf mois de gestation, le suplice d'un accouchement... Un nourrisson qui survit aux maladies infantiles et aux diverses carences... Apprendre à lire, à écrire, connaitre la préfecture de la Sarthe, le Mont Gerbier de Jonc, une poésie de Ronsard, Jeanne d'Arc... Puis vient l'apprentissage à l'atelier ou à la ferme, la fatigue, les mains calleuses sales de cambouis ou de terre, l'attente du dimanche... Et, une fois arrivé au printemps de sa vie, à la fleur de l'âge, se faire faucher par une balle ennemie dans un champs de betterave. Tout ça pour ça. En quelques instants, n'être plus qu'un corps putrescent, un squelette englué dans la boue, une croix parmi mille autres, un nom sur un monument aux morts honoré chaque année par quelques conseillers municipaux et anciens combattants frigorifiés. Des millions de conscience écrasées par la roue de l'Histoire que plus personne ne semble contrôler. La peur, les poux, la boue, le froid, les torrents d'acier. Pourtant, dans les premiers jours, la guerre avait des airs de fêtes malgré la boule au ventre : fanfares claironnantes, uniformes bigarrés, on compte s'absenter quelques mois pour exsuder cette fièvre revancharde puis revenir pour les moissons ou les vendanges. Pour finir, un immense carnage, la mort industrielle, un Occident qui s'entredévore. Malgré les Arts, la Science, le Progrès, c'est la bêtise qui détruit tout.



Eric Vuillard pointe ce qu'il y a de contingent, d'arbitraire et d'absurde dans notre Histoire. Si tout a été planifié et quantifié par de méticuleux stratèges, les événements ont suivi un cours retors qui a échappé au contrôle des décideurs. Il sort de l'ombre des faits divers qui ont eu des conséquences sur le cours de la guerre. Il s'empare de personnages historiques, qu'ils soient empereurs ou terroristes, et les anime comme de vieilles marionnettes pendant quelques chapitres pour tenter d'en extraire du sens.



Eric Vuillard se singularise dans ses récits par son art du "contre-pied" pour parler d'un sujet connu, ou que l'on croit connu. Cette guerre, tout compte fait, nous n'en gardons qu'une vague représentation dans nos esprits, un agrégat de vieilles leçons d'histoires, de quelques lectures ou de documentaires diffusés par une chaîne publique. Poilus, tranchées, obus, Verdun, 11 novembre, point final. Aussi ce regard espiègle et cet angle neuf sont-ils salutaires pour nos mémoires assoupies et paresseuses. J'aime son style travaillé et son érudition corrosive. Mais traiter d'un sujet si vaste en si peu de pages est compliqué quand on se plait à épousseter des détails, à extrapoler et à sortir du lot commun. Et c'est pourquoi j'ai eu l'impression d'une fin tronquée. D'ailleurs, l'auteur fait lui-même l'aveu de "bâcler" son récit. Soit au bout du compte, une lecture originale mais partielle de ces événements. Et surtout, si j'ai apprécié l'ensemble des thématiques traitées dans les différents chapitres, j'ai moins bien saisi le propos général ou les idées dominantes à retenir. Mais le danger avec un livre si bien écrit et siintéressant, est peut-être qu'il se lit trop vite...

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Congo

Il était roi. Il avait un royaume. Cela ne lui suffisait pas. Il rêvait peut être d'un empire. Il devint un des maîtres des Enfers. Pour l'Histoire il est : Leopold II, roi des Belges.

Congo, l'histoire d'un « holocauste » oublié. Dix millions de morts en vingt ans. A coup de baïonnettes, de machettes, de fouet, de cordes, de torches. Il a exterminé, soumis, torturés des peuples. Pour l'ivoire, mais surtout pour le latex. Il n'y a pas que lorsqu'il brûle que le caoutchouc pue.

Alors ce roi fou a acheté des terres, des montagnes, la foret, le fleuve. Il s'est approprié la vie des hommes. Faisant signer des actes bidons à tour de bras à des chefs de village qui n'y comprenaient rien. Livrant discours humaniste au reste du monde. Mais le reste de monde était comme lui. Un monde où les mines, l'or, le bois, le latex, l'ivoire, tout ce qui avait un prix, tout ce qui pouvait se vendre, s'acheter, écrasait l'humanité pour pouvoir prospérer.

Nous sommes en 1876. 1885, à Berlin les grandes nations se réunissent. Elles se partagent un continent. Comme un jeu, comme une tarte. Ils sont riches, ils ont des titres, ils tracent des lignes, ils se mettent d'accord pour se partager les richesses du nouveau monde. Les dieux des colonies ont trouver leur empire. Ils complotent. Les carnets de commande se remplissent. Il faut des routes, il faut des trains, des navires, des comptoirs. A la veille de la grande guerre, ils ont tous leurs cartes en mains. Les usines à obus vont se mettre à tourner. Le décor est planté.

Congo, Afrique centrale, pays des mains coupées.

Les cerbères de Leopold coupent les mains droites. Les scalpes du roi fou. Des mains que l'on coupe, que l'on jette dans des paniers. Que l'on fume pour pouvoir les conserver. Des trophées. Des millions. Les mots de veulent rien dire.

Quand on de demande comment les choses ont pu arriver, comment le monde laisse faire certaine chose, il faut ouvrir les livres d'histoire, et quand l'histoire est oubliée, demander aux journalistes, aux écrivains de nous la rappeler. 14-18 : une boucherie. 39-45 : un massacre. Les mots sont ridicules parfois. Et puis Hiroshima, et puis Pol Pot, et puis le Rwanda et puis le Kosovo, et puis et puis... tant d'autres. Mais il faut quand même les écrire les mots même et surtout quand ils ne suffisent plus. Il faut bien se dirent que si les guerres ne rapportaient pas d'argent, aucun pays n'irait la faire. Ça coûte une guerre, alors avant de la faire il faut remplir les coffres forts quite à vider les greniers.

Léopold II n'était pas le seul fou de son époque, les français les allemands les britanniques, tous les pays qui ont refermé leurs serres sur des terres qui ne leur appartenaient pas, ont tous construit leur empire sur des fosses communes. Communes à l'humanité. Des crimes contre notre humanité commune. Quatorze nations en 1885.

Certains noms sont oubliés, certains pans de l'histoire effacés, mais on retrouve des noms, des noms de grandes familles, qui sont encore aujourd'hui les maîtres du jeu. Les dieux sont toujours prêt à jouer.

Les forets brûlent, les frontières réinventées, les peuples déportés, l' Amazonie sacrifiée, l'Afrique continuellement tourmentée.

Le livre d'Eric Vuillard n'est pas un essai, ni même un roman. Pas un récit. Un témoignage peut être. Un écrivain du 21e siècle témoigne. Parce que tout n'a pas été dit. Parce que décidément nous ne connaissons pas notre Histoire. L'apprendre est inutile si nous ne la comprenons pas.



Astrid Shriqui Garain
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Une sortie honorable

Depuis une bonne dizaine d'années, Eric Vuillard publie régulièrement des récits très condensés, jetant un regard neuf sur le double mouvement d'appropriation du monde et des richesses, d'un côté, et par le mouvement contraire, d'émancipation, que cet élan de conquête suscite. Se constitue ainsi une nouvelle comédie humaine, ayant peut-être à voir avec les grands écrivains sociaux des derniers siècles, mais débordant du cadre national, reflétant l'aspect planétaire des problèmes de notre époque. « Une sortie honorable » représente un nouveau tome de cette passionnante série après « Tristesse de la terre » (2014), « 14 juillet » (2016) et bien sûr « L'ordre du jour », récompensé du Prix Goncourt en 2017, tous publiés chez Actes Sud dans un format très agréable.



La force du texte m'a impressionné, une fois de plus ! Méthode Vuillard : une banale page de publicité et un guide de voyage sur l'Indochine de 1923, lus de manière attentive et critique, l'amènent à enquêter sur une période historique tragique de l'Histoire. Aucune formule de politesse n'est proposée dans le lexique de base du voyageur, dévoilant un mépris total pour le peuple colonisé.



Le livre n'est pas épais mais d'une densité qui permet de découvrir par scènes successives, à partir du portrait des acteurs de cette tragédie, l'Indochine française des années 20 aux années 50, jusqu'à la défaite de Diên Biên Phu en 1954. Les tableaux sont brossés en maître, nous assistons au triste spectacle de milliers de vies sacrifiées pour le prestige et l'accaparement des richesses. Eric Vuillard parle de tactique, de champs de bataille, mais il le fait en décrivant par le menu l'origine et la psychologie des personnages principaux, telle une pièce de théâtre où l'on verrait le personnage sur scène, aussi son passé.



S'appuyant sur des rapports de l'inspection du travail – le récit est adossé aux documents et aux dialogues réels –, l'auteur dresse le tableau des coolies vietnamiens récoltant le latex de la plantation Michelin dans des conditions esclavagistes, vers 1930 !



Tableau marquant également de quelques séances à l'Assemblée en 1950 sous la présidence Herriot et des interventions d'un certain Édouard Frédéric-Dupont, député et homme politique : « élu soixante deux ans à Paris, un record, treize mandats de député, plus de quarante ans de vie parlementaire ; il a connu trois républiques et a été membre de dix formations politiques, pour finalement se présenter sur la liste du Front national...] » Militariste et colonialiste convaincu pour qui la patrie et l'honneur valent bien quelques millions de morts ! Sous cette quatrième république, réputée instable, quelques hommes sont de tous les gouvernements…



Chapitre de l'installation du camp retranché dans la vallée de Diên Biên Phu afin d'occuper le carrefour du nord-ouest, seul accès au milieu de la jungle. Il utilise la belle expression « des larmoyantes ferveurs » qu'ont en commun certains poètes et les militaires, autorisant ces derniers à appeler l'un des points d'appui du camp, du doux nom de Béatrice (amour de Dante).



Au total vingt-deux tableaux liés de manière magistrale par l'auteur. Autant dire un vrai musée d'une guerre dévastatrice dont la France passera le relais aux États-Unis, avec une débâcle à la clé en 1975 et fuite par hélico à partir des toits de Saïgon ! Prémices de cette fin peu honorable, la visite éclaire en 1954 de John Foster Dulles – le frère du Directeur de la CIA – dans un chapitre émouvant concernant les intérêts coloniaux croisés et les coups tordus de cette fratrie puissante au Guatemala pour un coup d'État sanglant, avec l'assassinat aussi du jeune dirigeant Patrice Lumumba, à peine était-il nommé Premier ministre de la toute nouvelle République indépendante du Congo.



Le tout se lit presque d'une traite, se relit aussi pour le plaisir de la langue, et de quelques mots précieux – peu nombreux, enrichissant la lecture, amenant le lecteur à se poser la question de la valeur du vocabulaire utilisé par les uns et les autres dont le mensonge contenu dans la formule « sortie honorable » (terme utilisé par le général Navarre, commandant en chef de l'Indochine française). le chapitre décortiquant l'intervention du haut commissaire en Indochine, de Lattre de Tassigny, à la télévision des États-Unis, est édifiant.

Je ne connaissais aucun des mots suivants, et vous ? – merveilleuse langue française qui permet toujours de belles découvertes : « félibrige  p 30 », « gidouille p 37 », « chonchonné » p 38, « pèguent p 84 », « prépotente » p 88, « aphasique » p 102, « cognation » p 171, « raptus » p 181…



Dans une note à la fin du livre, Eric Vuillard dresse un bilan effarant de cet entêtement colonial : « Du côté de la France et des États-Unis, il y eut en tout quatre cent mille morts, si l'on compte les tirailleurs, les supplétifs indochinois, troupes coloniales qui formaient inessentiel de notre armée. du côté vietnamien, la guerre fit au moins trois millions six cents mille morts. Dix fois plus. Cela fait autant que de Français et d'Allemands pendant La Première Guerre mondiale. »



Eric Vuillard utilise toutes les possibilité de la langue, fouille dans le langage afin d'autopsier L Histoire, faire émerger certaines parcelles de vérité, habituellement ignorées ou refoulées. Lire un récit de cet auteur c'est entrer dans un genre hybride, canevas d'Histoire, de romanesque, de poésie et d'éloquence. Ses livres très documentés font mouche, ils sont traduits dans quarante langues.

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Retrouvez cette chronique et celles des autres récits de Vuillard mentionnés ici, avec illustrations, sur Bibliofeel...
Lien : https://clesbibliofeel.blog/..
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L'ordre du jour

Les grandes heures consignées dans le livre par définition irréversible de l'Histoire accordent en général peu de place à l'enchaînement des instants qui s'additionnent et qui constituent le présent éphémère de ceux qui occupent la scène visible du monde à un moment donné.



Quelle combinatoire diabolique se met cependant en place quand ce goutte-à goutte temporel, en grande partie insaisissable aux acteurs eux-mêmes, inconsistant et mouvant, constitué de priorités à inscrire à l'ordre du jour, de rendez-vous notés dans des agendas, d'opinions affichées à court terme, de prises de décision dictées par l'humeur du moment ou par l'étroitesse du champ de vision, conduit-il responsables politiques, élites économiques et respectables citoyens à choisir le pire et, en l'occurrence, à ouvrir ici l'une des pages les plus terribles de toute l'histoire de l'humanité? «Les plus grandes catastrophes», nous avertit Éric Vuillard, «s'annoncent souvent à petit pas».



Ni fiction, ni essai historique (ou les deux en même temps..), L'ORDRE DU JOUR couvre la période qui va de la réunion organisée le 20 février 1933 par Hitler, qui vient d'être nommé chancelier du Reich, «réunion dans laquelle on pourrait voir un moment unique de l'histoire patronale, une compromission inouïe avec les nazis», mais qui à ce moment-là «n'est rien d'autre pour les Krupp, les Opel, les Siemens qu'un épisode assez ordinaire de la vie des affaires, une banale levée de fonds», jusqu'à la conférence de Munich, six mois après l'Anschluss, le 29 septembre 1938, dont les registres filmés nous montrent toujours les quatre chefs d'Etat, Daladier, Chamberlain, Mussolini et Hitler, selon les propos grandiloquents des commentateurs de l'époque, «posant pour la postérité, animés d'une même volonté de paix»(!).



L'ORDRE DU JOUR est un récit percutant tant par l'économie de moyens recherchée et par sa concision (le livre fait à peine 150 pages), que par le ton détaché qu'il adopte, teinté d'une ironie subtile provoquant simultanément chez le lecteur un sourire en coin et le frisson, ou encore par ses choix narratifs quelquefois très surprenants, s'attardant par exemple sur des détails en apparence insignifiants (vestimentaires, le menu d'un dîner, une photographie…), juxtaposant par moments décors et personnages en principe disparates (telle la rencontre entre Hitler et le premier-ministre autrichien, au Berghof, et l'artiste visionnaire Louis Soutter trempant ses doigts dans son pot d'encre noir dans le réfectoire de l'asile psychiatrique de Ballaigues), ou bien superposant avec perspicacité «supra» et «infra-histoire» (par exemple, le referendum autrichien pour le rattachement du pays au Reich, remporté à 99,75%, aux plus de mille sept-cents suicides enregistrés une semaine avant l'Anschluss..).



Si le premier-ministre autrichien Schuschnigg n'avait pas partagé une même passion pour la musique de Bruckner avec Arthur Seyss-Inquart, aurait-il réussi à se persuader aussi facilement que ce dernier, fondateur du parti national-socialiste autrichien, était malgré tout «un nazi modéré et véritable patriote» ? Aurait-il par ailleurs cédé aussi promptement à la pression exercée par Hitler pour que Seyss-Inquart, grand artisan de l'Anschluss, soit nommé ministre de l'Intérieur en février 1938?

Puis, une fois l'Annexion finalement décrétée, et bien que les traités de Versailles et de Saint-Germain-en-Laye interdissent l'union entre l'Allemagne et l'Autriche, l'Anschluss ne suscitera de la part de la France et du Royaume-Uni que des protestations diplomatiques restées lettre morte. Quelles étaient donc les préoccupations qui accaparaient à ce moment-là l'esprit et l'ordre du jour des dirigeants des deux puissances pourtant censées en être garantes ?

Evoquant la conférence de 1938, l'auteur remarque : «On accable L Histoire, on prétend qu'elle ferait prendre la pose aux protagonistes de nos tourments. On ne verrait jamais l'ourlet crasseux, la nappe jaunie, le talon de chéquier, la tache de café ; (…) Pourtant, si l'on regarde bien sur la photographie où l'on voit Chamberlain et Daladier, à Munich, juste avant la signature, aux côtés d'Hitler et de Mussolini, les Premiers ministres anglais et français ne semblent pas très fiers. Mais tout de même, ils signent.»



La lecture de ce livre nous laisse en définitif un arrière-goût mélancolique face aux questions cruciales qu'il pose, face au temps qui «continue son pèlerinage, imperturbable au milieu du chaos». Car si «on ne tombe jamais deux fois dans le même abîme », on risque néanmoins, selon l'auteur, de tomber «toujours de la même manière, dans un mélange de ridicule et d'effroi».



En évoquant la réunion du 20 février 1933 entre Hitler et les 24 responsables des plus grands complexes industriels allemands (BASF, Bayer, Agfa, Opel, Siemens, Telefunken..) l'auteur aimerait pouvoir avec ses mots à lui «les faire tourner à l'infini dans l'escalier de Penrose, jamais ils ne pourraient descendre ni monter, ils feraient toujours en même temps l'un et l'autre». Seule la littérature nous «permet tout», sa temporalité est la seule qui nous autorise à être «partout dans le temps», à sortir de l'urgence du présent et de ses ordres du jour.



Ouvrage de miniaturiste inspiré, L'ORDRE DU JOUR relève de la fine orfèvrerie, très justement récompensée par un prix Goncourt atypique (de mon point de vue, l'un des meilleurs de ces dernières années!) et ayant automatiquement assuré à un récit d'une telle qualité de réflexion et originalité une aussi large diffusion. Ce qui, à mon sens, s'avère être ô combien «pertinent» (pour ne pas dire «nécessaire», épithète que, personnellement, je n'aime pas du tout accoler à un livre : quel ennui, n'est-ce pas, ne pourrait-il se cacher derrière une lecture dite «nécessaire»), lecture pertinente donc, par les temps qui courent, dans un «présent» devenu aujourd'hui à ce point envahissant, où l'information en temps réel, les prises de position sans recul et les biais cognitifs semblent s'être dramatiquement emparés de notre société et de notre pensée collective…

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La guerre des pauvres

C’est souvent beau, puissant, incisif, comme un slogan tagué sur un mur. Si, jusqu’à aujourd’hui, l’Histoire semble souvent se répéter, y compris jusque dans les défaites, Éric Vuillard, qui a souhaité avancer la parution de son texte pour que soit plus audible son écho avec l’actualité, rend la parole aux vaincus tout en prévenant : « Le martyre est un piège pour ceux que l’on opprime, seule est souhaitable la victoire. Je la raconterai. »







Article complet sur le blog :
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L'ordre du jour

Je viens de passer un tout petit moment agréable avec ce livre! 150 pages, en deux heures, finie la lecture, alors que, c'est une grosse page de l'histoire du monde que je viens de feuilleter. C'est tout le drame de la deuxième guerre mondiale qu'on retrouve dans ce récit très concis. Un texte pittoresque! Les phrases sont poétiques, avec de l'humour comme mélodie en sourdine. Je ne sais pas comment l'auteur s'est arrangé pour rendre si légère une vérité un peu trop poignante, comment il a pu rendre aussi flexible l'implication antérieure de la plupart des machines qui gouvernent notre modernisme, leur contribution machinale à l'édification du nazisme, leur main tendue à Hitler, surtout leur profit proéminent dû aux usines concentrationnaires. Des chairs n'ont qu'à crever pourvu qu'il y ait du gain! dit l'homme d'affaires!

Un prix Goncourt bien mérité!!!

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L'ordre du jour

Sentiment mitigé à l'issue de cette lecture - rapide - de L'ordre du jour.



Le premier réflexe est de souligner la qualité de la langue et l'habileté de son usage par Eric Vuillard. Le texte est profond, les mots touchent juste, l'atmosphère est vite posée.



Mais ça ne suffit pas pour moi à effacer ce sentiment de trop peu : tous ces petits bouts d'histoires autour de l'Anschluss forment évidemment un tout, de l'abondement des grands industriels allemands au projet nazi jusqu'à Nuremberg en passant - c'est étonnant - par Hollywood.



Mais j'aurais aimé que chacun de ces petits bouts soit davantage creusé, exploré, confronté aux autres. Quelque chose de plus conventionnel probablement, là où Vuillard cherche dans l'épure et dans ces moments de la "petite histoire", un sens à la "grande".



Il n'en reste pas moins que L'ordre du jour est un livre éclairant sur hier comme sur aujourd'hui. Et en plus, il a eu le Goncourt, alors...
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L'ordre du jour

Durant cette période d'internationaux de France de Roland-Garros, pas beaucoup de temps pour la lecture. Par chance Éric Vuillard nous propose un livre très court de 160 pages. Juste ce qu'il faut pour ne pas louper les balles de match de Nadal, Murray, Djokovic et les autres.



Dans « L'ordre du jour » Eric Vuillard nous fait vivre ce qui à son avis sont les prémices de la Seconde Guerre mondiale juste avant l'Anschluss de mars 1938 et les revendications allemandes sur la région tchèque des Sudètes

L'auteur nous fait vivre ces quelques jours qui ont précédé l'annexion de l'Autriche par l'Allemagne nazis. Bien loin de l'histoire officielle « L'ordre du jour » nous fait pénétrer dans ces petits détails insignifiants mais qui font l'histoire. L'attitude des dirigeants autrichiens. le diner offert par Chamberlain, le Premier ministre Anglais, à Ribbentrop alors que les troupes nazies envahissent l'Autriche. La glorieuse Wehrmacht en panne d'essence.

Eric Vuillard nous rappelle les noms de ceux qui ont soutenu et financé le début du nazisme, les Gustav Krupp, Wilhelm von Opel, BASF, Agfa, Bayer, Opel, IG Farben, Telefunken, Siemens, Allianz, ces sociétés que nous connaissons encore aujourd'hui et qui utilisèrent les déportés des camps de la mort, de Dachau à Auschwitz.



Eric Vuillard a l'art pour raconter. C'est condensé mais tout y est. Il nous rappelle surtout que l'établissement de tout régime autoritaire n'est autre que le fruit de l'indifférence.

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L'ordre du jour

Ce n'est pas le nombre de pages qui fait un grand ou un petit livre. Avec « L'ordre du jour », Eric Vuillard fait l'éclatante démonstration que 150 pages peuvent faire un très grand livre.



En relatant deux épisodes de l’histoire de la Seconde Guerre Mondiale, il fait le récit d'une imparable machine qui s'est mise en route en 1933, peut-être même avant, en 1918, dans un wagon immobilisé dans la clairière d'une forêt française. Le premier épisode est une réunion, le 20 février 1933, à Berlin, où se retrouvent les 24 grands patrons de l’industrie allemande, que Göring et Hitler, tout juste élu chancelier, vont exhorter à ouvrir grand leurs porte-monnaie pour financer le parti nazi. Le second est l’Anschluss, l’invasion de l’Autriche par l’armée d’Hitler le 12 mars 1938, depuis la réception du chancelier autrichien au nid d’aigle jusqu’à la foule acclamant Hitler à Vienne.



Le livre fourmille de petites anecdotes ou de petits détails apparemment sans importance, qui souvent rendent semblables au commun des mortels ces dirigeants manipulés ou manipulateurs dont les noms restent gravés dans le grand livre de l'Histoire du monde.



Que de compromission, que de petits arrangements par goût du pouvoir, de l'argent, parce qu'il est plus facile de laisser l'autre mettre en œuvre ce que l'on pense au fond, même si cela implique de fermer les yeux sur les petits (gros) dérapages.



La grande force de l’écriture d’Eric Vuillard est sa simplicité. Pas de grands mots, pas de lourdes références historiques ou philosophiques, mais un phrasé simple, des images précises, des allégories intelligentes et intelligibles. Avec une redoutable efficacité et simplicité, il nous plonge dans les coulisses de l’Histoire, et cela n’a rien de bien glorieux tant y ruissèle la lâcheté, la bassesse, la bêtise, la veulerie, la résignation.



En lisant ce récit sidérant, je me suis demandé si l'Histoire n'est pas plus facile à lire a posteriori ? Sachant ce que nous savons, le regard me semble plus facilement orienté. Mais cette réflexion personnelle n'ôte rien au travail d'orfèvre d'Eric Vuillard. Il ne décortique pas, il met les faits en lumière. Dès lors l'engrenage est là, limpide, clair, implacable.



Et je me dis que si l’Histoire ne se répète pas, elle bégaie souvent. Et en ce mois de mars 2022, je me prends à souhaiter que l’actuel chef du Kremlin ne soit pas le nouvel Hitler, que celui de ce qui fut l’Empire Céleste ne soit pas le nouveau Mussolini, que les actuels président français et chancelier allemand ne soient pas les nouveaux Daladier et Chamberlain.

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L'ordre du jour

Eric Vuillard propose aux lecteurs d'accéder aux coulisses de la grande histoire. À ces évènements « secondaires » sur lesquels les livres d'histoire et les documentaires ne s'attardent pas. Un rendez-vous entre les grands industriels allemands et les responsables du parti nazi à la veille des élections de 1933, la « convocation » du chancelier Autrichien visant à donner un vernis légal à l'annexion du pays, où bien encore ce repas surréaliste où Ribbentrop se joue de Chamberlain.

Très documenté et souvent passionnant.



Seul bémol (très léger), mais qui tient plus à mes goûts de lectrice qu'au livre lui-même, j'ai été parfois gênée par certaines digressions lyriques, ainsi que par l'usage de mots peu courants (apophtegme, pensée par apocope, voix amuïe) qui, s'ils ont enrichi mon vocabulaire, m'ont souvent détachée du propos...



Challenge Muli-défis 2018

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L'ordre du jour

Le récit commence bien, les 24 industriels les plus puissants de l'Allemagne rencontrent Herman Goering. Au cours de cette rencontre, ils offrent leur appui inconditionnel au parti nazi et chacun signe un chèque à 6 ou 7 chiffres pour permettre au parti Nazi de remporter les élections qui arrivent. Ces deux chapitres auraient constitué un bon départ si l'auteur ne les avait pas alourdis d'une foule de détails inutiles et l'utilisation d'un langage ordurier en traitant ces 24 hommes de 24 lézards "qui" se lèvent sur leurs pattes arrières et se tiennent bien droit.



Cependant, sans preuve à l'appui, l'auteur affirme : « Ainsi, les vingt-quatre ne s'appellent ni Schnitzler, ni Wilzleben… Ils s'appellent BASF, Bayer… Intuitivement, j'aurais tendance à penser comme lui mais entre l'intuition que les 24 personnes morales transcendent les 24 humains et l'affirmation, il doit y avoir une preuve sinon ce n'est que du vent.



Les faiblesses du premier thème de ce récit se retrouvent dans le reste du livre. Si Éric Vuillard avait signé un livre de 1383 pages comme " The rise and the fall of the third Reich de William L. Shirer" j'aurais trouvé normal qu'il prenne autant de pages pour parler du Déjeuner d'adieu au à Downing Street ou pour parler de la mauvaise qualité des chars d'assaut. Je me permets d'ouvrir une parenthèse ici. Vuillard nous décrit l'ensemble des chars d'assaut comme ridiculement efficace en mars 1938. Pourtant, cette armée d'opérette a conquis la Pologne, la Tchécoslovaquie, et la France 15 mois plus tard. Par quel miracle?



Dans un récit historique, ce n'est pas le style qui me convaincra mais la qualité de l'information et l'agencement de celle-ci.



Le seul thème suffisamment développé a été soit un penchant pour la philosophie nazie, soit le jeu de l'autruche mais encore là, Max Gallo dans son premier Tome 1 de la Deuxième guerre mondiale est plus convaincant.



Ce récit historique à quand même ébranlé certaines de mes convictions et incité à approfondir certains aspects comme le "bluff" d'Hitler, la volonté des Autrichiens à faire partie de la Grande Allemagne ou la qualité de l'armement allemand...
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L'ordre du jour

Titre : L’ordre du jour

Auteur : Eric Vuillard

Année : 2017

Editeur : Acte Sud

Résumé : Les pontes de l’industrie allemande sont réunis dans le bureau d’Adolf Hitler. Après un bref exposé des projets économiques du régime nazi, les magnats sont financièrement sollicités afin de participer à la prise de pouvoir du dictateur. Quelques années plus tard le chancelier autrichien Schuschnigg subit la pression d’Hitler et se couche devant ses nombreuses exigences : les troupes du IIIe reich pénètre en Autriche, c’est l’Anschluss. Entre intérêts convergents, soumission et compromission l’Europe plie bientôt devant le führer.

Mon humble avis :Tristesse de la terre : Une histoire de Buffalo Bill Cody est l’ouvrage qui me fit découvrir Eric Vuillard. En 2014 je fis l’acquisition de ce récit me permettant de découvrir un auteur intéressant, au style aérien et élégant. Si, à dire vrai, je ne garde pas de cette lecture un souvenir impérissable je pris du plaisir à cette lecture et gardais en mémoire le nom de cet auteur talentueux. Quelques temps plus tard j’appris que le prix Goncourt 2017 était attribué à cet auteur et sans avoir lu cet ordre du jour je me satisfaisais à l’avance de me plonger à nouveau dans un texte de l’écrivain lyonnais. Ceux qui sont des habitués des petites chroniques de francksbooks savent que le cru 2016 du Goncourt (une chanson douce de Lëila Slimani) ne m’avait pas particulièrement emballé, je comptais bien me rattraper cette année avec ce roman ô combien prometteur. Tout d’abord j’insisterais sur la brièveté de ce texte, à peine plus qu’une longue nouvelle où je retrouvais avec plaisir le style élégant de Vuillard, son acuité particulière et sa verve parfois lyrique. Pour le reste ? Je suis désolé de de voir l’avouer mais rien de bien nouveau dans les bureaux de la chancellerie du IIIe reich : Hitler était un monstre persuasif et violent on le savait, les dirigeants de l’époque ont plié par manque de courage et de vision on le savait, les industriels allemands ont été complices de l’horreur on le savait, les multinationales allemandes aujourd’hui omnipotentes comme Krupp, Siemens ou Hugo Boss ont allègrement participé à l’avènement du petit caporal on le savait aussi. Dans ce court récit l’auteur nous propose une série de scènes inégales où la veulerie se dispute à la cupidité. C’est horrible, édifiant, terriblement désespérant pour qui croit encore à la bonté de l’humain mais d’autres ont déjà narré cette période et le regard de Vuillard n’apporte pas grand chose de nouveau ou d’original à cet avènement. Loin d’être un spécialiste de cette période j’ai le souvenir d’avoir lu plusieurs ouvrages et autres biographies sur la montée du nazisme et l’Anschluss, des textes surement moins brillants mais beaucoup plus complets et exhaustifs. D’aucuns souligneront l’intelligence et la maestria de l’auteur pour résumer le tout en moins de 150 pages, je n’y ai vu pour ma part qu’un exercice de style particulièrement brillant et jamais ennuyeux. C’est déjà beaucoup mais est-ce suffisant pour glaner la plus belle récompense de la littérature française ? Pas si sûr…

J’achète ? : Certains attendent la saison des prix avec impatience et le Goncourt permet un succès commercial assuré. Tant mieux pour le monde de l’édition français mais j’avoue, pour ma part, un certain scepticisme quant aux choix récents des pensionnaires de l’illustre académie.
Lien : http://francksbooks.wordpres..
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14 Juillet

Pour Michelet, "Chaque homme est une humanité, une histoire universelle." Mais si la biographie des personnages illustres est étudiée dans le détail, quitte à analyser leurs troubles de digestion, la difficulté se pose quand c'est le bon peuple qui fait l'Histoire. C'est le cas du 14 juillet 1789, date emblématique de notre République. Ce ne sont pas les Ravaillac, Foch, ou Pompadour qui ont pris la forteresse de la Bastille. C'est la foule. Des anonymes. Des artisans, des commerçants, des ouvriers, des putains, des taverniers, des chemineaux ou encore des trimardeurs. Des crève-la-faim, des pousse-mégots, des sans-dents, des jobards, des traîne-savate. Ils boivent du jaja, ont les sabots crottés et les fins de mois difficiles, mais peu importe puisque désormais, "La volonté du peuple vient de faire son entrée dans l’Histoire."



L'ambition d'Eric Vuillard, c'est de nous montrer l'événement à hauteur d'homme, à travers la conscience d'un menuisier ou d'un allumeur de réverbère. L'auteur prend son lecteur par la main et lui fait traverser la foule révoltée . Des hommes s'illustrent, obtiennent un « quart d'heure de célébrité » wharolien avant de retomber dans l'oubli. Vuillard les "incarne" en les nommant, en précisant leurs professions, leurs tenues vestimentaires. Son récit enfiévré est plein d'humanité ; j'ai sympathisé avec Sagault, Cholat, Rossignol, (François) Rousseau et sa veuve ; j'ai ressenti la colère, la joie et la bouffonnerie de la foule. Son écriture est magistrale et j'ai pris plaisir à lire de nombreux passages à voix haute tant la richesse du vocabulaire et le rythme des phrases s'y prêtent. C'est de l'Histoire vivante, en chair plus qu'en os, servie par une très belle langue. Enfin !
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Tristesse de la terre

« Le spectacle est l’origine du monde »

Le Wild West Show est présenté lors de l’Exposition Universelle de Chicago. Du mouvement, de l’action, des chevaux qui galopent, des batailles reconstituées et le public vient de plus en plus nombreux, applaudissant, riant, criant, captivé, fasciné.

Mais le public est exigeant, il en faut toujours plus. Buffalo Bill l’instigateur du spectacle le comprend très vite. Pour étonner davantage, pourquoi ne pas rajouter la souffrance et la mort ? Il rajouta donc de vrais Indiens avec Sitting Bull qu’il engagea pour 50 dollars par semaine.

«Sitting Bull n'a sans doute jamais été si seul qu'à cette minute, au milieu des drapeaux américains, dans la grande machine à divertir. Il n'était pas aussi seul lorsqu'il vivait en exil au Canada, parmi une poignée de proscrits ; l'obscurité première est impénétrable. Et certes, on était seul à cheval, sous la pluie glacée, errant entre les formes imprécises, dans la grande forêt. Oui, on était seul et triste, mais on était libre, on était plein d'une haine brûlante. Et maintenant Sitting Bull est seul dans l'arène ; la grande chose qu'il aimait est restée en arrière, très loin, Et, ici, dans les gradins, ils ne sont venus que pour ça, tout le monde est venu voir ça, simplement ça : la solitude.»



En douze chapitres assez courts, Éric Vuillard démonte l’Histoire et la reconstruit grâce à son regard acerbe et critique.

« Tristesse de la terre » est un livre magnifique servi par une écriture précise et percutante d’un auteur que j’ai eu grand plaisir à découvrir.

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Tristesse de la terre

Dans son septième livre à paraître en août 2014 chez Actes Sud, Éric Vuillard déconstruit le mythe de Buffalo Bill Cody et de son spectacle le «Wild West Show», et, avec ce qui fut le premier grand divertissement de masse, nous montre la face tragique du divertissement.



Les dimensions du Wild West Show étaient spectaculaires : Clou de l’Exposition universelle de 1893 à Chicago, ses deux représentations par jour attiraient près de quarante mille spectateurs, et plus de trois millions lors des représentations données à Paris pendant la tournée européenne en 1905.



Exaltant les conquêtes pionnières, cette Histoire de carton pâte – les cris de guerre des Indiens que nous connaissons tous, quand on fait claquer sa paume sur sa bouche en lançant des whou ! whou ! sonores, furent inventés pour le spectacle, de même que le Stetson des cowboys – était surtout irrésistible du fait de la présence dans le spectacle de véritables indiens, utilisés comme acteurs dans ce spectacle tandis qu’on les massacrait, tristes acteurs de la déformation de leur propre histoire, à l’image du chef Sioux Sitting Bull, qui participât au Wild West Show en 1885.



«Sitting Bull n’a sans doute jamais été si seul qu’à cette minute, au milieu des drapeaux américains, dans la grande machine à divertir. Il n’était pas aussi seul lorsqu’il vivait en exil au Canada, parmi une poignée de proscrits ; l’obscurité première est impénétrable. Et certes, on était seul à cheval, sous la pluie glacée, errant entre les formes imprécises, dans la grande forêt. Oui, on était seul et triste, mais on était libre, on était plein d’une haine brûlante. Et maintenant Sitting Bull est seul dans l’arène ; la grande chose qu’il aimait est restée en arrière, très loin, Et, ici, dans les gradins, ils ne sont venus que pour ca, tout le monde est venu voir ça, simplement ça : la solitude.»



Loin de la figure mythique que l’on connaît, Eric Vuillard dépeint Buffalo Bill Cody comme un homme en proie à une angoisse obscure, jamais repu en dépit de ses succès, un vide comme en écho à celui du spectacle.



«Tristesse de la terre» est un très beau récit, une lecture amère mais nécessaire, un dessillement brutal qui fait apparaître la véritable histoire enfouie sous les paillettes du spectacle, et qui rend si fragiles et incertaines la beauté et la douceur du monde.



«Et il se leva une violente tempête. La neige tomba du ciel comme une injonction de Dieu. Les flocons tourbillonnaient autour des morts, légers, sereins. Ils se posaient sur les cheveux, sur les lèvres. Les paupières étaient toutes constellées de givre. Que c’est délicat un flocon ! On dirait un petit secret fatigué, une douceur perdue, inconsolable.»



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L'ordre du jour

Souvent curieuse de découvrir les titres ayant remporté des prix comme les Goncourt, j’ai pourtant repoussé ma lecture de « L’Ordre du jour » suite à quelques retours mitigés de lecteurs sur mon lieu de travail. C’est finalement grâce à un membre de ma famille ayant grandement aimé découvrir cette facette de l’Histoire que je me suis lancée. Je dois reconnaître que c’était une découverte intéressante, puisque l’on découvre de nombreux détails ou des anecdotes dont on ignorait l’existence. Cela dit, je ne vais pas vous cacher le fait que je n’ai pas spécialement pris du plaisir à lire cet ouvrage dont la lecture fut à la fois assez rapide et un peu fastidieuse. J’ai une préférence pour les fictions ou les récits historiques un peu plus romancés. Or, à plusieurs reprises, j’ai eu l’impression de replonger dans mes années d’études ou de me retrouver face à un documentaire…



Pourtant, ce n’est pas des informations que l’on peut trouver dans n’importe quel manuel : on est plutôt sur une multitude de secrets historiques, d’événements ou de scènes dont on n’a pas ou peu entendu parler. On sent que l’auteur s’est beaucoup documenté et qu’il dispose d’énormément de connaissances historiques. De plus, il n’hésite pas à mettre en avant son point de vue et à juger ces faits. Avec sa plume vraiment travaillée, fluide, satirique, brève et pleine d’ironie, Eric Vuillard nous plonge en plein Seconde Guerre mondiale, aux côtés d’Hitler et de Goering… Cette approche est à la fois originale, intéressante et déroutante. Je conseillerais surtout ce titre aux passionnés d’Histoire ou à ceux qui désirent découvrir une autre approche de la période.
Lien : https://lespagesquitournent...
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L'ordre du jour

Avec pour titre « L'ordre du jour », le récit de Eric VUILLARD, couronné Prix Goncourt 2017 est, dès la couverture, enluminé de raillerie par l'auteur. Humour cynique, réalisme sidérant que ce titre qui fait penser à une banale réunion, une de plus, où il faudra aux membres présents étudier les problèmes à traiter et y apporter les solutions les meilleures pour l'organisation dont ils sont les éminents représentants.

Mais, qui sont ces membres présents à cette réunion ? Le lecteur découvrira avec curiosité qu'il s'agit de vingt-quatre pardessus noirs, marron ou cognac, vingt-quatre paires d'épaules rembourrées de laine, vingt-quatre costumes trois-pièces, et, rassurons-nous quant à la bienséance de l'organisation, vingt-quatre pantalons à pinces avec un large ourlet. Tous semblables, membres d'une même bande, chacun se cachant déjà sous l'uniforme dépersonnalisant ! le lecteur suivra donc le récit des agissements de vingt-quatre anonymes qui, tous, ont le même profil derrière lequel se fouleront aux pieds les responsabilités qui devraient incomber aux individus décisionnaires ! Se fondre dans la masse tout en gardant le pouvoir de faire tourner le monde à leur profit, tel est le but que se sont donné ces vingt-quatre chefs d'entreprise… Et si, pour cela, il faut aller à la poche et arroser le parti montant, aucun remord, aucune retenue n'apparaîtront. Après tout, le lobbying est aussi vieux que les pots-de-vin, les commissions occultes et le financement illicite des partis. Et le réalisme politico-économique admettra volontiers que servir le portefeuille ne peut s'envisager auprès d'une conscience altruiste où la moralité ne peut être que mauvaise conseillère.

Et l'entreprise qui s'en sortira le mieux sera une vingt-cinquième, celle du nouveau Chancelier allemand, Adolphe Hitler !

Avec le doigt qui appuie là où ça fait mal, manifestement très documenté, Eric VUILLARD nous conte, jour après jour, heure après heure, le basculement du peuple allemand dans le nazisme, le soutien des grandes fortunes de l'époque qui voient là une belle occasion d'assurer leurs entreprises dans un régime fort où le faible n'a qu'à servir, se taire et souffrir et dans une société qui déclasse systématiquement vers le zéro absolu le tzigane, l'homosexuel, le juif qui, traqués et enrôlés de force assureront une main d'oeuvre à un prix nul défiant toute concurrence.

Autant le récit est puissant, terrifiant, autant l'écriture de Eric VUILLARD est superbe, précise, riche en images fortes et en humour noir nous glaçant le sang ! Comment est-il possible que ces vingt-quatre pantalons aient si facilement mis genoux à terre ? Comment les protagonistes de la suite du récit, l'annexion de l'Autriche, l'Anschluss, par une Allemagne du faux-semblant, ont-ils accepté si facilement d'être la carpette d'un héros de théâtre qui a dressé ses tréteaux au coeur même d'un monde à avilir pour satisfaire un égo démesuré et une soif incommensurable de pouvoir ? Nous sommes en 1933-1938 … comment les autres nations ont-elles laissé monter cette dramaturgie ignoble sans réagir ?

En illustrant combien la machinerie de guerre des nazis, loin d'être aussi performante que ce que les communications du régime ont laissé croire, Eric VUILLARD souligne l'impact de l'obéissance obséquieuse et intéressée de tous les combinards qui ont cru pouvoir profiter de la situation de pouvoir du régime hitlérien. Au-delà, l'auteur nous laisse entendre que les mécanismes mis en oeuvre alors ne sont que des mécanismes, pas des personnalités. A ce titre, mécaniquement, le Monde est loin, aujourd'hui, d'être à l'abri de la réanimation de ces jeux pervers du pouvoir et du mépris pour le faible, le déclassé, l'épuré ethnique.

Aux commandes, il y a encore des ‘fous d'absolutisme' et des pantalons qui sont prêts à s'emplir les poches, même en pliant le genou à terre et en faisant la révérence à l'inhumanité.

Alors, les ‘fous' se nommaient Hitler, Goering… les pantalons supportaient des masques ayant pour patronymes Opel, Krupp, Varta, Siemens, BASF, Agfa, Bayer, Allianz, Telefunken …

Comment la majorité a-t-elle suivi ce fantoche d'Adolphe ? Comment la majorité des Autrichiens a-t-elle avalisé son annexion à l'Allemagne ? Bien sûr, certains ont refusé… Il y a eu plusieurs suicides, nous dit l'Histoire … Et Eric VUILLARD de corriger : « Aucun d'entre eux ne s'est suicidé. Leur mort ne peut s'identifier au récit mystérieux de leurs propres malheurs. On ne peut même pas dire qu'ils aient choisi de mourir dignement. Non. Ce n'est pas un désespoir intime qui les a ravagés. Leur douleur est une chose collective. Et leur suicide est le crime d'un autre. » Et aujourd'hui ? Aux réunions dont personne dans le ‘bon petit peuple' ne connaît l'ordre du jour, comment se nomment les fous de ce début de vingt et unième siècle ? Et qui se cachent derrière les masques que soutiennent les pantalons ? Si le lecteur ne se pose pas la question, « l'ordre du jour » de Eric VUILLARD restera un bon petit livre, sans plus… Or, il vaut manifestement beaucoup plus que cela ! A lire, à méditer, à partager. Que nous ne soyons jamais complice du crime d'un autre !

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