Citations de Étienne de La Boétie (181)
Il est incroyable de voir comme le peuple, dès qu'il est assujetti, tombe soudain dans un si profond oubli de sa liberté qu'il lui est impossible de se réveiller pour la reconquérir : il sert si bien, et si volontiers, qu'on dirait à le voir qu'il n'a pas seulement perdu sa liberté mais bien gagné sa servitude.
Durant les batailles si célèbres de Miltiade, de Léonide, de Thémistocle, qui furent livrées il y a deux mille ans et sont encore aujourd'hui aussi fraîches que si c'était hier dans les livres et la mémoire des hommes ; durant ces batailles qui furent livrées en Grèce pour le bien des Grecs et pour servir d'exemple à la terre entière, tout bien considéré, qui donna à un aussi petit nombre de gens que les Grecs non le pouvoir, mais le courage de soutenir l'assaut de tant de navires que la mer même en était chargée,... ; n'est-ce pas, semble-t-il, qu'en ces jours de gloire, ce n’était pas tant la bataille des Grecs contre les Perses, que la victoire de la liberté sur la domination, de l'indépendance sur la convoitise ?
[Les favoris du tyran] veulent servir pour amasser des biens : comme s'ils pouvaient rien gagner qui fût à eux, puisqu'ils ne peuvent même pas dire qu'ils sont à eux-mêmes. Et comme si quelqu'un pouvait avoir quelque chose à soi sous un tyran, ils veulent se rendre possesseurs de biens, oubliant que ce sont eux qui lui donnent la force de ravir tout à tous, et de ne rien laisser qu'on puisse dire être à sa personne. (...) Souvent enrichis à l'ombre de sa faveur des dépouilles d'autrui, ils l'ont à la fin enrichi eux-mêmes de leur propre dépouille.
Ces favoris devraient moins se souvenir de ceux qui ont gagné beaucoup auprès des tyrans que de ceux qui, s'étant gorgés quelque temps, y ont perdu peu après les biens et la vie. Ils devraient moins songer au grand nombre de ceux qui y ont acquis des richesses qu'au petit nombre de ceux qui les ont conservées.
Il ne faut pas abuser du saint nom de liberté pour faire mauvaise entreprise.
Ce qui rend un ami sûr de l'autre, c'est la connaissance de son intégrité.
Il ne peut entrer dans l'esprit de personne que la nature ait mis quiconque en servitude puisqu'elle nous a tous mis en compagnie. (p.17)
Les semences de bien que la nature met en nous sont si frêles et si minces, qu’elles ne peuvent résister au moindre choc des passions ni à l’influence d’une éducation qui les contrarie.
La seule liberté, les hommes ne la désirent point.
L'habitude, qui exerce en toutes choses un si grand pouvoir sur nous, a surtout celui de nous apprendre à servir et, comme on le raconte de Mithridate, qui finit par s'habituer au poison, celui de nous apprendre à avaler le venin de la servitude sans le trouver amer.
Le danger de la liberté moderne, c'est qu'absorbés dans la jouissance de notre indépendance privée, et dans la poursuite de nos intérêts particuliers, nous ne renoncions trop facilement à notre droit de partage dans le pouvoir politique.
Ils veulent servir pour avoir des biens : comme s'ils pouvaient rien gagner qui fût à eux, puisqu'ils ne peuvent pas dire de soi qu'ils soient à eux-mêmes.
Mais à la vérité il est tout à fait vain de débattre pour savoir si la liberté est naturelle, puisqu'on ne peut tenir personne en servitude sans lui faire de tort, et qu'il n'y a rien au monde de plus contraire à la nature, qui est en tout point raisonnable, que le tort. Il en résulte donc que la liberté est naturelle, et si je suis le même raisonnement, j'en déduis que nous ne sommes pas nés seulement en possession de notre liberté, mais aussi avec une propension à la défendre.
Une seule chose fait exception, pour laquelle je ne sais comment, la nature fait défaut aux hommes pour la désirer, c'est la liberté, qui est toutefois un bien si grand et si plaisant que si elle vient à être perdue, tous les maux viennent à la file, et les biens même qui demeurent après elle perdent entièrement leur goût et leur saveur, corrompus par la servitude.
On ne regrette jamais ce qu'on n'a jamais eu. Le chagrin ne vient qu'après le plaisir et toujours, à la connaissance du malheur, se joint le souvenir de quelque joie passée. La nature de l'homme est d'être libre et de vouloir l'être, mais il prend facilement un autre pli lorsque l'éducation le lui donne.
Le peuple a toujours ainsi fabriqué lui-même les mensonges, pour y ajouter ensuite une foi stupide.
Nul doute que la nature nous dirige là ou elle veut, bien ou mal lotis, mais il faut avouer qu'elle a moins de pouvoir sur nous que l'habitude. Si bon que soit le naturel, il se perd s'il n'est entretenu, et l'habitude nous forme toujours à sa manière, en dépit de la nature.
N'est-ce pas, semble-t-il, qu'en ces jours de gloire, ce n'était pas tant la bataille des Grecs contre les Perses, que la victoire de la liberté sur la domination, de l'indépendance sur la convoitise ?
Les livres et la pensée donnent plus que toute autre chose aux hommes le sentiment de leur dignité et la haine de la tyrannie.
Mais les gens soumis, dépourvus de courage et de vivacité, ont le cœur bas et mous et sont incapables de toute grande action. Les tyrans le savent bien. Aussi font-ils tout leur possible pour mieux les avachir.