Au hasard des rayons de mon bouquiniste préféré, j'ai eu le plaisir (la chance, l'honneur, l'ultime occasion, que dis-je ? la vaine incroyable !) de tomber (sans me faire trop mal) sur un exemplaire d'Un Long Halloween, grandissime saga de Batman des maîtres
Jeph Loeb et
Tim Sale, nouvellement rééditée il y a moins de deux semaines. Qui oserait passer devant une occasion en état neuf allégée d'un tiers de son prix original ? Pas moi en tout cas, et j'ai donc tout naturellement cédé aux sirènes de cette histoire que j'espérais lire depuis longtemps.
D'abord, parlons continuité : Un Long Halloween se déroule quelques mois après
Batman : Année Un (Year One, le récit fondateur de
Frank Miller) où Batman apprenait patiemment les premières ficelles du métier de super-héros attaché à sa Gotham chérie. Avec Un Long Halloween, Bruce Wayne passe à l'échelon supérieur et se voit confronter à un vrai adversaire coriace et mystérieux comme seule Gotham sait les engendrer. Un mystérieux vilain, une mafia omniprésente et un triangle justicier ambigu entre Batman/Bruce Wayne, le capitaine Gordon et celui qui est sûrement le vrai personnage principal ici, le procureur général Harvey Dent : voilà bien une affiche de choc pour une histoire qui ne l'est pas moins. Elle tourne autour d'un tueur en série qui agit uniquement les jours de fête, d'où son nom « Holiday ». Ses exactions sont à l'origine de ce « Long Halloween », car ici Halloween dure un an.
Jeph Loeb se permet de faire intervenir tout au long de cette année la plupart des adversaires habituels de Batman, qui sont souvent bien amenés (notamment Poison Ivy, mais j'ai plus de doute sur le Joker, personnellement). le plus énorme, dans l'histoire, est que
Jeph Loeb n'a fait qu'une seule et obscure mini-série avant d'attaquer ce pavé sur Batman ! le résultat n'en est que plus appréciable, car on s'attache à cette enquête comme au meilleur polar qui soit : une ambiance sombre, des fausses pistes dans tous les coins, une résolution douteuse… on peut dire que l'intrigue est menée de mains de maître !
Du point de vue graphique également, ce volume nous offre de l'exceptionnel. Même si certains visages peuvent rebuter au départ, on s'habitue vite et la star qu'est Batman nous apparaît parfaitement dessinée, tel un mastodonte technique et musculeux, une merveille de stature que
Tim Sale se fait un plaisir de mettre en mouvement. Je dirais même qu'avec l'onirisme latent qu'il met en valeur, les traits volent et flirtent avec les contours des cases, on a l'impression de lire dans un fumoir, et puis au détour d'une planche ahurissante,
Tim Sale nous balance des cases tape-à-l'oeil d'une clarté exceptionnelle (où la relation tendancieuse entre Bruce Wayne et Selina Kyle, entre Batman et Catwoman, est une bonne opportunité pour faire ressortir couleurs et voluptés). Cette dualité graphique renvoie vraisemblablement à la nature de Gotham : à la fois sombre et pleine de vie. C'est enfin le fort jeu sur les ombres qui m'impressionne le plus ici, ce procédé nous dépeint Gotham en creux d'une manière assez troublante et demande au lecteur de scruter chaque détail, chaque coin de case, car tout est et devient important. Une étape-clé dans le graphisme de Batman donc.
Saluons une énième fois le travail d'
Urban Comics, qui (au grand dam de certains) réédite une saga primordiale dans l'univers Batman peu de temps après l'édition de Panini. Or, première surprise, quand on ouvre ce magnifique objet : une double interview, plutôt rapide mais très instructive, de
Christopher Nolan et
David S. Goyer ! Déjà, pour la lien privilégié avec la trilogie du Dark Knight par Nolan, on est servi. Déjà, ce serait pas mal comme bonus, mais rendez-vous à la fin du volume pour découvrir une bien plus longue interview croisée entre le scénariste, le dessinateur et le lettreur ! le tout s'agrémente d'une multitude de croquis sur la recherche des personnages et sur les possibles couvertures, ce qui rend cette édition d'autant plus exceptionnelle !
Bref,
Urban Comics ne s'est pas foutu de nous, a bien fait de rééditer cette merveille parmi les aventures de Batman et en plus, personnellement, au prix où je l'ai eu, je suis aux anges !