DÉSIR
Visage qui me sourit
dans le contre-jour ;
lèvres peintes dont le rouge
disparaît sous le coton de la vie ;
nez que je dessine d’un trait
appris sur le bout de mes doigts ;
chevelure déployée comme
la plus douce des forêts ;
nuque que je devine
sous les branches fleuries de la mémoire ;
seins émergeant de l’écume,
oiseaux posés sur moi ;
buste aux mille courbures
pour un simple embrassement ;
ventre où feu et flamme
s’unissent et se consument lentement ;
genoux ouverts
l’instant d’une explosion ;
beau et excessif, ton corps,
tout ce que tu m’offres,
et rien de plus,
l’amour
seul.
Églogue blanche
(...)
Alors j'ouvre la fenêtre de la nuit. Je compte
les fils de chaque point lumineux, dans le ciel, comme si
je touchais les cheveux où brillent encore
les murmures de l’après-midi, et je sens une soudaine
inquiétude, lorsqu'un bruit d'ombre
s'immisce entre les amants. Quel
lieu plus retiré accueillera leur étreinte ? Ou
quel écho solitaire atteindra soudain la plénitude
de leurs voix ? Je collectionne le rythme de ces
cœurs dans la musique que je dérobe à leurs poitrines
accordées. Puis, j'allume des couchants, j'éclaircis
des pénombres, je fais en sorte que le coursier de la folie
dévale la colline de la passion, foulant de ses sabots
les gradins de son art. Et
je répète leurs gestes, sous un compendium
d'arbres, apprenant le chant
des feuillages dans un bruissement d'horizon,
afin que jamais plus ne se perde la racine
de l'amour planté en cette terre,
rosier éphémère dans un rêve
d'arbre.
VARIATION COMONIENNE
À supposer que rien ne change
que ce qui a toujours changé,
quel autre changement pourrait advenir quand
ce qui a changé demeure, et aujourd’hui n’est plus ?
Ou bien, ne subsisterait-il rien d’autre que l’image
de ce qui a changé, sachant qu’entre
demeurer ou pas, l’homme jamais ne change,
car tout être est, sans même changer ?
Ainsi, je change l’être qui n’a pas changé
uniquement pour que tout demeure inchangé ;
et voyant ce qui a changé, je redeviens
celui que j’ai toujours été, car en changeant
seulement, nous demeurons, et en
demeurant, nous sommes ce qui a changé.
/ traduction de Cristina Isabel de Melo
Nuno Júdice nous a quitté le 17/03/2024.
Robe d'absence
Si je pouvais commander aux images, une seule
existerait, celle de ton profil, et à travers lui,
ce que je touche dans l'absolue solitude de l'être ;
et si je ne le pouvais, dans leur néant je trouverais
encore le souvenir que tu as laissé en moi, la courbe
parfaite de ton sein qui éclot, soudain, et
rayonne dans le sombre de la nuit ;
et s'il n'y avait, en cet unique centre, point d'éclat,
dans son obscurité même, ton absence ôterait le vide
de la mémoire, pour le remplir de ce qui, un instant,
troubla ta quiétude et aussitôt s'enfuit
en un vol d'oiseau que je poursuis.
Marée
...
Là-haut, sur le sommet des dunes, j’ai dessiné
une plage aux contours de tes lèvres,
le bruissement d’ailes qui traverse tes yeux
en un battement de paupières, et la marée montante
déferlant son drap d’écume blanche.
Nuno JÚDICE – Un anti-Pessoa ? (France Culture, 1999)
L’émission « For Intérieur », par Olivier Germain-Thomas, diffusée le 10 octobre 1999 sur France Culture. Invité : le poète en personne !