Je n'aime pas les histoires qui se terminent, encore davantage quand j'en ai aimé, voire rêvé les personnages et surtout quand s'il s'agit de grandes histoires, de légendes immortelles. Alors, je suis plutôt favorable aux réécritures, aux récits qui abordent un point de vue inédit d'une épopée mille fois racontée. Pour moi, elles sont à la fois le symptôme et le garant de l'immortalité d'une bonne histoire. J'aime qu'un auteur s'empare d'un mythe pour lui insuffler un souffle nouveau, le peindre à ses couleurs, en combler les blancs aussi et les frustrations. Il y a des réécritures que j'aime (autour de la guerre de Troie, j'ai été bouleversée, par exemple, par "
Le Chant d'Achille" de
Madeline Miller. Et pourtant, c'était mal parti. Je déteste les achéens. Je suis toute à Troie et j'avais fait le serment aux dieux de toujours haïr Achille après que l'infâme ait tué Hector. Mon cher Hector. Mais pour un roman, j'ai bafoué mon serment...) et d'autres que je déteste à en vomir et que je préfère oublier. le fait est que lorsqu'elles se rattachent à un sujet qui m'est cher (comme la légende arthurienne ou la guerre de Troie), je suis tiraillée entre beaucoup trop d'attentes et pas mal d'appréhension.
C'est de cette manière que j'ai abordé "Hélène de Troie" de
Margaret George dont j'avais pourtant vraiment apprécié le travail et l'écriture avec les mémoires de Cléopâtre.
Ce qui est intéressant avec les textes antiques ou issus de la mythologie, c'est qu'ils présentent assez de matière pour être attirants mais que paradoxalement ils mettent en scène tant de personnages et de péripéties qu'il y a forcement de quoi générer des frustrations chez les lecteurs avides d'en connaître. Par ailleurs,
Homère en bon aède qu'il était fait la part belle aux héros dans ses chants mais laisse un peu les femmes de côté. Tout cela laisse aux auteurs contemporains et à
Margaret George en particulier un terrain de jeux parfait sur lequel elle aurait tort de ne pas broder et, clairement, elle le fait avec talent, même si son chant d'Hélène m'a moins transporté que la geste d'Achille et de Patrocle.
"Hélène de Troie" entreprend donc de raconter le destin de celle pour qui on fit une guerre qui dura dix ans, pour qui on brûla les murailles de Troie parce qu'elle était la plus belle et qu'un prince troyen l'avait enlevé à la vigilance de son époux achéen. le roman s'ouvre par un prologue où Hélène devenue une vieille femme se souvient de ce que fut sa vie et raconte. le ton est donné: le récit se fera à la première personne, en focalisation interne et c'est une idée pertinente qui permet à l'auteur de faire exprimer à son personnage un point de vue, ou en tout cas un angle, inédit. Dans ce premier volume, la reine de Sparte revient donc sur sa vie, de son enfance auprès de sa famille à sa filiation avec Zeus en passant par sa beauté surnaturelle et son mariage dénué de passion avec Ménélas jusqu'à sa fuite avec Pâris et ses premiers pas à la cour de Priam et Hécube. Si l'auteur respecte scrupuleusement la légende et la tradition -à la plus grande satisfaction de mon coeur de puriste-, elle omet cependant un épisode crucial (l'enlèvement par Thésée) mais cette omission finalement ne m'a pas dérangé autant que je l'aurai cru. Il faut dire que
Margaret George enrichit aussi le récit et lui donne une passionnante aura romanesque autant que de la profondeur. Ces fameux détails qui manquent tant dans les textes de
Homère.
Outre ce respect pour la légende, j'ai aimé le traitement des personnages. Ainsi, Ménélas retrouve ce qu'il est censé être mais que des centaines d'années de simplification de l'histoire puis plus tard le cinéma ont dévoyé: il n'est plus la brute infâme et aviné que l'on croit connaître mais un homme tout en nuance et non dénué de noblesse. Hélène, quant à elle, est construite avec assez d'intelligence et d'épaisseur pour être attachante sans pour autant irriter par un trop plein de perfection. Les autres personnages sont nombreux et s'ils ne sont pas tous aussi approfondis, on oscille pour eux entre tradition et originalité. C'est d'autant plus malin que lorsqu'on se plonge dans une histoire que l'on connait déjà, on a hâte de retrouver ses personnages que l'on connaît, on espère qu'ils seront ce qu'on souhaite, mais s'ils l'étaient pleinement, on en éprouverait aussi de la déception. Ici, j'ai été surprise par Clytemnestre et Achille, comblée par (mon) Hector. Un peu déçue par Pâris aussi.
J'ai apprécié également la place faite à l'histoire, aux us et coutumes des grecs anciens notamment par rapport à la religion. Les différents rites sont particulièrement bien retranscrits et racontés. Sur ce point,
Margaret George a fait le choix ne de pas adopter une posture réaliste par rapport aux dieux: Hélène est bel et bien la fille de Zeus. Toutefois, cela ne fait l'objet d'aucune explications. C'est comme ça et puis c'est tout, c'est sobre et c'est très bien comme ça.
Tout n'est pourtant pas parfait dans cet ouvrage: la langue à se vouloir poétique (et elle l'est assez joliment la plupart du temps) emprunte les chemins de la mièvrerie et on frôle l'indigestion à quelques passages, heureusement forts rares. Cela concerne surtout -ce n'est pas surprenant, hélas- les passages qui réunissent Pâris et Hélène. La passion, sur fond de "avant toi, je ne savais pas ce qu'était l'amooouuur, laissons le prendre possession de nous": c'est non. Vraiment non.
Malgré ce dernier point, j'ai résolument apprécié, aimé cette lecture qui m'a happée et qui pour l'instant comble mes attentes sans les dépasser. J'ai d'ailleurs commandé le tome 2 aussitôt après avoir fini ce premier volume et je l'attends avec d'autant plus d'impatience qu'il va relater ce que j'attends le plus: la guerre de Troie.