Je ne me maquille pas beaucoup en règle générale, peut-être parce que je n’ai jamais vraiment appris à le faire. J’ai toujours eu la sensation de faire n’importe quoi les rares fois où je m’y suis essayée. Et pourtant les règles de base sont les mêmes que celles de la restauration. Il faut d’abord bien nettoyer la surface, puis lisser le fond pour appliquer la couleur et lui donner tout son éclat. C’est juste que le faire sur un mur peint est une chose, et sur mon visage une autre.
Parfois j’ai même la sensation de sentir l’odeur de Filippo, celle de cette unique nuit que nous avons passée ensemble. Qu’est-ce que nous allons devenir ? Peut-il y avoir un lendemain (j’ai le droit de l’espérer), après des mois de solitude volontaire, ou s’agissait-il d’une histoire d’une nuit – une nuit où nous nous sommes laissé emporter par l’émotion du départ ? Qu’éprouvons-nous réellement l’un pour l’autre ? Mais surtout : qu’est-ce que je ressens, moi ?
On baisse les lumières. L’excitation rend l’atmosphère électrique. Tandis que le son d’un violon s’élève dans la pièce, on allume des projecteurs bleutés en direction d’une mezzanine où apparaît une sublime violoniste en robe rouge. De ses mains fines et longues, enveloppées dans des gants en dentelle noire, elle saisit un violon électrique en verre transparent qui s’illumine d’une lumière bleue au contact de l’archet. Je reconnais cette robe, et la femme qui la porte. Ce n’est peut-être que le fruit de mon imagination, mais il me semble que c’est celle que j’ai récemment vue sortir du palais au bras de Leonardo.
Comme d’habitude. Leonardo s’est montré galant avec moi, c’est tout. Qu’il m’ait ensuite séduite, même sans le vouloir, c’est une tout autre histoire. Une histoire que j’ai intérêt à m’enlever de la tête rapidement. Quand il passera près de moi, je lui dirai bonjour comme chaque matin, comme si notre promenade nocturne n’avait jamais eu lieu – et surtout comme si je n’avais éprouvé aucune de ces émotions que je ne peux hélas pas effacer de ma mémoire.
Ce regard a beau ne pas être rassurant, sa proposition a quelque chose d’irrésistible et d’intriguant. Que faire, bon sang ? En plus, j’ai le visage en feu, je le sens… Je me décide finalement à m’exécuter sans faire d’histoires : c’est le seul moyen de reprendre le dessus. Après avoir posé mon bol et mon pinceau sur la dernière marche de l’escabeau, je descends donc lentement jusqu’à terre.
Irène Cao - Pour tes lèvres, trilogie italienne .A l'occasion du Salon du Livre de Paris, Irène Cao nous présente sa trilogie italienne « Pour tes lèvres », « Sur tes yeux » et "Tout entière » aux éditions jean-claude Lattès. Pour en savoir plus : http://www.mollat.com/recherche/auteur/Cao%20Irene.html Notes de musique : ® Tres Tristes Tangos/Unknown Album/Planta Baja. Free Music Archive.