Témoignage de JL Foulquier:
Bernard Dimey est un cactus du pavé de la butte. Ancré là et increvable.
Lorsque nous passons la rue des Abbesses, il me dit : On va à Paris.
Il m'apprend les dangers de la ville et s'emploie à me faire renifler la vie et les secrets de ce quartier. Les choses importantes se passent au village et nulle part ailleurs.
Lorsque je rencontre
Bernard Dimey, je ne sais pas encore qui il est. Pourtant, il a déjà écrit Mon truc en plumes pour Zizi Jeanmaire, Mémère pour
Michel Simon et Syracuse pour Henri Salvador. Ses Poèmes voyous ont déjà biberonné toute une génération avide de sensations suburbaines.
Il dit ses textes au Gavroche, ou au Tire-Bouchon et se suffit largement d'une notoriété de cabaret.
Dimey est le pacha du village Montmartre et règne en maître sur le sommet de cette pièce montée gorgée de traditions.
Il aime les rituels. Chaque samedi après-midi, il m'attend sur le coup de quatorze heures. Je suis planté devant un petit bouquiniste, le regard rivé sur sa fenêtre.
J'attends son signal pour monter. Il ouvre la fenêtre et gueule sans apparaître : Foulquier t'as du Bordeaux ?
Sans attendre, je m'engouffre dans son allée, sors ma bouteille de Bordeaux et me présente à lui, la gueule enfarinée ! Comme un gamin visitant le Père Noël, on s'assoit face à face.
Je l'écoute parler, bougonner et tourner les pages de son encyclopédie de la vie.
Je le regarde avec un tel bonheur qu'il se sent aimé pour la première fois.
Je deviens son fils adoptif, sa mascotte montmartroise.
Soudain je n'ai plus honte de mon inculture qui devient une chance.
Cette soif d'apprendre et de comprendre bouleverse nos rapports. Désormais, je ne peux respirer sans l'ombre de Dimey. C'est un abri, un havre de paix régénérant, un professeur imprévisible.
Mon guide, premier de cordée. Ma conscience.
Jean-Louis FOULQUIER Extrait de "AU LARGE DE LA NUIT"
Denoël, 1990, pp 59-60.