"Je tiens de Danjon une histoire de mathématiciens qui vaut la peine d'être racontée. le mathématicien-mécanicien Boussinesq, grand scientifique, perdit autrefois sa femme. L'enterrement, qui avait commencé par une journée très dégagée, se termina par une pluie battante. Tout le monde fut trempé. Il se remaria et fut veuf à nouveau. le même phénomène météorologique se reproduisit lors des obsèques. Lorsque sa troisième épouse mourut également, les funérailles se déroulèrent sous un ciel qui resta au beau fixe, mais tous les universitaires qui y assistaient avaient emporté un parapluie. Emile Borel (grand manitou des probabilités à la Sorbonne) se tourna vers Polya, mathématicien étranger qui se trouvait à ce moment là en France, et il lui dit: « Ecoutez, Polya, n'est ce pas lamentable ? Nous sommes des universitaires, nous ne sommes pas superstitieux, je suis probabiliste, je sais pertinemment qu'il ne peut exister aucun rapport entre la pluie et l'enterrement de Mme Boussinesq. Et cependant j'ai apporté mon parapluie. - Pas du tout, répondit Polya, nous travaillons sur des faits scientifiques. Or c'est un fait scientifique avéré qu'il pleut souvent à l'enterrement de la femme de Boussinesq. » (p.156)"
Laurent Scharwz, un mathématicien aux prises avec le siècle
De même part-on à Books and the city avec un parapluie. Maintenant il semblerait que la sonnette d'alarme soit à agiter aussi pour les livres avec une photo de livre sur la couverture.
Après La librairie des ombres, voici
le bibliothécaire.
Quatrième de couverture :
« Quand Alexeï Viazintsev, dit Aliocha, part régler la succession de son oncle dans une petite ville des confins de la Russie, il ignore qu'il va se retrouver en plein milieu d'un sanglant conflit souterrain autour de l'écrivain Gromov, un plumitif oublié de l'Union Soviétique. A son arrivée en ces lieux étrangers, en effet, on lui apprend que les textes de Gromov ont certaines propriétés mystiques dès lors qu'on les lit et relit régulièrement, et que ses lecteurs sont prêts à se battre jusqu'à la mort pour les posséder...
C'est un récit où se heurtent la caricature d'une société défunte et l'attachement à des racines culturelles souvent inventées ou arrangées. Un récit qui sonne le glas de l'Homo sovieticus et le condamne à renaître en se réinventant, en se réécrivant. Une fable sur le temps perdu, la nostalgie trompeuse et la barbarie du présent. »
Là encore une excellente idée de départ : les romans de Gromov possèdent, si on les lit dans certaines conditions, des propriétés qui agissent sur leur lecteur, d'où les nouveaux titres qu'on leur donne, le livre de la Joie, le livre de la Mémoire, le livre de la Patience, le livre de la Fureur, etc...
Et pourtant les romans de Gromov, cela fleurait bon le stalinisme :
Gromov « glosait sur le devenir de son pays, chantait les louanges du bon approvisionnement alimentaire de ses petites villes de province, ses bourgs et ses villages, écrivait sur ses mines, ses usines, l'espace infini de ses terres vierges, ses âpres récoltes et ses riches moissons. Les héros des livres gromoviens, directeurs ou présidents de kolkhozes, soldats revenus du front, veuves gardiennes de l'amour et du courage civique, pionniers et komsomols, étaient d'ordinaire rouges, volontaires, joyeux et prêts à recevoir les récompenses de leurs mérites au travail. Courage et persévérance y assuraient le triomphe du Bien : on édifiait un combinat métallurgique en des temps records, il ne fallait pas plus d'un semestre pour faire du jeune diplômé de l'université un spécialiste aguerri; la réalisation du plan quinquennal dépassait toutes les attentes et les ouvriers de la chaîne acceptaient des cadences supérieures; à l'automne le blé coulait à flots, telles des vagues d'or, dans les greniers du kolkhoze. le Mal, on le coffrait ou on le rééduquait. Les passions amoureuses, mais seulement les plus chastes, se déployaient en méandres au fil de textes où le baiser, demandé dès les premières pages, restait en suspens pour éclater sur une joue à la fin de l'ouvrage. »
Ajoutons un « ton fade de bon aloi » et des couvertures « illustrées de tracteurs, de moissonneuses ou de batteuses », et l'on comprendra que Gromov suscitait chez le lecteur un profond ennui:
« Je tentai très honnêtement d'endurer la lecture de ce fiasco. Mes prunelles dévissèrent dès la première ligne, je dévalai du haut vers le bas de la page comme si je glissais d'un toit; je vis pendant ma chute les paragraphes défiler et se mélanger comme des étages. »
La description des romans gromoviens est plutôt réussie, la découverte par Alexeï des groupes qui se disputent les livres est assez réjouissante, mais assez rapidement je me suis laissée bercer par les patronymes russes sans plus chercher à savoir qui est qui et sans m'attacher à qui que ce soit; arrivée au milieu j'ai décroché du récit de ces luttes plutôt sanglantes, j'ai poursuivi cependant et j'avoue ne pas avoir compris grand chose. Quand le livre de la Mémoire a agi sur Alexeï, j'ai aimé les (rares) passages où un passé regretté s'impose à lui. Oui, il y a de l'action, des dialogues, etc... mais non, je n'ai pas réussi à m'empêcher de lire de plus en plus en diagonale...
Hélas pour moi
le bibliothécaire a agi comme un roman de Gromov, l'appellerai-je « le Livre de l'ennui »? Il y a même certain passage à 25 pages de la fin :
« Tu as lu le Livre et tu sais qu'il est ennuyeux. Moi non plus, je ne l'ai pas supporté et j'ai sauté pas mal de pages. »
Bref, un rendez-vous manqué.
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