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EAN : 978B0CH1TSPXZ
Editions des Femmes (05/10/2023)
4.5/5   2 notes
Résumé :
Quels mécanismes sociaux et politiques transforment un enfant en sujet de violence ? Pour éclairer une des dimensions de ce processus, Pinar Selek sonde le service militaire, obligatoire en Turquie, à travers une enquête de terrain menée en 2007 et dévoile les articulations entre militarisme, nationalisme et patriarcat. Avec ce nouveau livre qui réarticule les éléments de ses recherches précédentes, elle élargit sa réflexion à nos sociétés tout entières, régies par ... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Rien ne se fera, mes ami·es, sans sonder les ténèbres qui font d'un bébé un assassin

2007, une enquête en Turquie, « Cette étude sur le rôle du service militaire dans la structuration de la violence masculine avait en effet fortement agacé l'appareil politico-militaire turc ».
J'invite à lire le beau texte introductif (à l'édition française) de Jules Falquet : Préface au livre de Pinar SELEK : Devenir homme en rampant

Une autrice emprisonnée, torturée, qui continue de subir un acharnement judiciaire (voir différents textes rappelés en fin de note).

Pinar Selek a continué à questionner « les mécanismes des violences structurelles qui façonnent l'ordre social et politique en Turquie. A savoir né du génocide des Arménien·nes de 1915 et des massacres de centaines de milliers de Grec·ques et de Kurdes ». Des enquêtes pour comprendre « l'articulation des mécanismes et techniques de nationalistes, sexistes et militaristes en même temps que les multiples formes de résistances ».
L'autrice souligne une longue liste de violences collectives « totalement masculines », elle interroge les mécanismes sociaux et politiques qui font que des enfants se transforment en « sujet de violence », saisit les articulations entre « militarisme, nationalisme et domination masculine » ou entre « la construction sociale des hommes et la production structurelle du pouvoir masculin et de la hiérarchie politique ».

Pinar Selek précise deux points de méthode, qu'il me paraît intéressant de faire ressortir :
* « Faire sociologie « avec », sans faire violence aux enquêtés, nécessitait non seulement de trouver une méthode appropriée, mais de s'appuyer sur un socle éthique,pour produire une connaissance avec eux en nous engageant dans la durée, ce qui a favorisé un climat de confiance »
* « Considérant que même le mensonge était une forme de raisonnement à prendre au sérieux, j'ai focalisé mon attention non pas sur ce qui a réellement été vécu, mais sur la nature du discours qui en découlait »

Des histoires, des appropriations du discours dominant pour décrire ses propres histoires. Et quinze ans après un élargissement de la problématique initiale, des questionnements « sur les mécanismes d'alignement et sur la banalisation de la violence et de la hiérarchie ». Comme l'autrice, il convient de continuer à sonder « les ténèbres ».

Il m'a semblé nécessaire de m'attarder sur la préface. Avant de continuer, je voudrais préciser que je fais partie d'une génération qui a subi le service militaire d'un an en France. Certes le degré de violence n'était pas comparable à ce que décrit Pinar Selek pour la Turquie, mais la structure même du contrôle et du façonnage de la masculinité relevait bien de la même problématique.

L'autrice écrit sans euphémisme, elle nomme précisément, la masculinité, le groupe social de sexe, le dressage individuel et collectif. Elle analyse en détail les six changements d'échelle dans la vie des hommes turcs « circoncision, première expérience sexuelle, service militaire, travail, mariage, paternité ». Elle aborde, entre autres, le détachement de l'univers des mères, l'apprentissage de la baise, « Leur pénis doit apprendre à baiser », le phallus, le passage au bordel, l'apprentissage de la soumission, les lieux d'enfermement, la production de la classe de sexe dominante, la légitimation de la hiérarchie, l'homo-sociabilité, la relation entre le pénis et le sang, l'imaginaire de la pénétration, « le penis marteau-piqueur », ce que les hommes apprennent justement au service militaire…

Je souligne les paragraphes sur le « chaudron militaire », la fierté masculine, la virilité, les Mehmetçik, les récits d'une grande misère sociale, la cuisson – « Cet acte de cuisson est multifonctionnel servant à fois l'ordre social et l'ordre militaro-politique » – dans le chaudron, la violence dans l'apprentissage, la reconstruction permanente de l'habitus masculin « sans aucune échappatoire subversive possible », la soumission à la matrice imposée « malgré l'absurdité », la solidarité masculine, le sentiment d'appartenance à un groupe, « Cuire ensemble est un processus de co-construction », la diminution de la vulnérabilité au profit du pouvoir, les sujets exécutants, « L'obéissance au non-sens tue la réflexion », les phénomènes d'intériorisation, la formation des hommes pour « qu'ils aient la capacité de contrôler, surveiller, tuer », le tissage des expériences de solidarité et de complicité entre hommes, l'inséparable alliance de l'apprentissage de tuer et de baiser, la survalorisation du pénis en érection, les bordels et la prostitution, la rationalité sexiste d'une sexualité comme champ de guerre, les conséquences de ces expériences sur les relations avec les femmes, les violences conjugales exercées par les hommes, la haine des homosexuels…

Si je partage la référence à Hannah Arendt sur la banalité du mal, il me semble important de dire que cette autrice s'est trompée dans le cas d'Adolf Eichmann, criminel génocidaire par choix idéologique, décisionnaire et non simple exécutant.

Pinar Selek aborde aussi le néolibéralisme, « la dérégulation économique, juridique, sociale et militaire », les interconnexions entre « la police, la mafia et le monde politique », la stratégie de chaos et de tension, l'armement des hommes, les pogroms, le raisonnable pour certains « Dans ce contexte, être raisonnable, c'est d'adapter à la raison d'Etat paramilitarisé. A la raison sexiste, nationaliste, militariste, génocidaire, arbitraire et irrationnelle », le renouvellement des dispositifs pour satisfaire les nouveaux besoins « d'une économie néolibérale et d'une idéologie néoconservatrice ».

La précision des analyses se combine avec l'expression permanente d'une profonde humanité, de formules propres au talent de l'écrivaine, « ils ne s'appellent plus Mehmetçik mais Mehmet : soldat pour la vie », les « ténèbres » ou la phrase de conclusion : « Car le mal enraciné n'est pas un rhume, on ne peut pas le soigner avec un peu de miel et de citron ».

Le titre de cette note est une phrase de Rakel Dink, citée par l'autrice dans sa préface.

Un livre à faire connaître largement. Sans oublier le soutien nécessaire à Pinar Selek pour que justice lui soit rendue et qu'elle soit définitivement acquittée.
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Par la sociologue turque réfugiée en France Pinar Selek, la fabrique de la masculinité hégémonique. Quelles sont "les ténèbres qui font d'un bébé un assassin" ? Les six étapes-rites qui font d'un enfant garçon un homme : le rite de la circoncision vers 10 ou 11 ans, rite qui sépare le garçon de sa mère et le fait entrer dans le monde masculin ; la durcir et baiser, la première expérience sexuelle souvent au bordel, parfois conduit par le père, qui peut être concomitante avec la troisième initiation, le service militaire ; se trouver un travail, une position dans la société ; se marier et enfin, devenir père, l'ultime étape. le service militaire (obligatoire pour les mâles durant six mois en Turquie, interdit aux homosexuels et aux trans, sur présentation d'un certificat médical et à base d'examens humiliants lors de l'incorporation) constitue un passage initiatique homosocial qui inculque aux garçons la violence via des brimades, l'enfermement, l'encasernement, la soumission à des ordres et des tâches répétitives, absurdes, voire maltraitantes, les brimades des bizutages des aînés et de la hiérarchie étant tolérées et même encouragées. 2000 appelés perdraient ainsi la vie dans leurs casernes. Puis on les initie au combat et au maniement des armes. Ainsi le "Mehmetçik" devient-il un "Mehmet" dans une patrie nationaliste où l'armée constitue historiquement et plus que jamais la colonne vertébrale. Devenir un homme en rampant. Bien que la méthode sociologique employée par Pinar Selek à base de questionnaires faisant remonter un verbatim constitue la trame de l'ouvrage, on est ici dans l'anthropologie. Faisant le lien entre Hannah Arendt sur les origines du totalitarisme, les travaux de Foucault (Surveiller et punir), en passant par Monique Wittig, Pinar Selek écrit en cent pages un ouvrage universel sur la fabrique du masculin hégémonique. C'est à la fois implacable, terrifiant et magistral. A lire absolument. Sortie en librairies le 5 octobre 2023.
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Née en 1971, Pınar Selek est une sociologue d'origine turque. Elle a mené des enquêtes sur les groupes opprimés en Turquie (personnes homosexuelles et trans, Kurdes) et pour ces raisons s'est mise à dos le régime. En 1998, après une explosion au gaz dans le bazar aux épices d'Istanbul, les autorités prétendent qu'ils s'agissait d'un attentat et l'accusent d'y avoir participé. Elle est emprisonnée et torturée. Elle a été jugée et acquittée quatre fois. Un cinquième procès est prévu. En 2011 elle a trouvé asile en France.

Le 19 janvier 2007 Hrant Dink, journaliste arménien et ami de Pınar Selek est assassiné. A ses obsèques Rakel Dink, la femme de Hrant, dit : « Rien ne se fera, mes ami.es, sans sonder les ténèbres qui font d'un bébé un assassin ». Pınar Selek se questionne alors sur le « rôle de la masculinité normative dans l'organisation de la violence politique » et décide de mener une étude sociologique sur le service militaire en Turquie. Ce travail a donné lieu à un livre paru en Turquie en 2009. Devenir homme en rampant, est parue en 2014. L'ouvrage est épuisé. le chaudron militaire turc est une sorte de résumé de ce précédent ouvrage. Ce court livre de 100 pages est paru en 2023 alors que Pınar Selek devait être rejugée le 29 septembre. Ce procès a été reporté au 28 juin 2024.

Pınar Selek distingue six étapes de l'acquisition du statut de sexe dominant en Turquie : circoncision, première expérience sexuelle, service militaire, travail, mariage, paternité. Dans les milieux traditionnels ces étapes sont l'occasion de célébrations familiales et mettent en valeur le fait d'avoir un pénis. Lors du service militaire les jeunes hommes apprennent à obéir à des ordres ineptes. Ils sont brutalisés par leurs supérieurs et leurs camarades incorporés avant eux. Cela les amène à consentir à l'organisation hiérarchique car ils savent que, en montant en grade, ils seront moins souvent battus et pourront battre à leur tour les nouveaux. Les hommes qui témoignent sont de générations très diverses. Certains ont fait la guerre de Corée (la Turquie y a participé aux côtés des forces de la coalition américaine), d'autres sont nés dans les années 1970. Tous ont subi des violences. Cette violence est acceptée par les soldats : les commandants non violents ne sont pas pris au sérieux, ce qui légitime l'usage de la violence.

J'ai apprécié le regard féministe et j'ai trouvé intéressant la réflexion menée sur le rôle du service militaire dans la perpétuation d'une masculinité normative. Toutes proportions gardées il m'a semblé que le service militaire tel qu'il existait en France jusqu'au 20° siècle devait bien avoir le même effet.
Lien : http://monbiblioblog.revolub..
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Citations et extraits (9) Voir plus Ajouter une citation
Le service militaire réunit matériellement les hommes et crée une unité apparente autour d'un critère précis : avoir un pénis "qui fonctionne". Basé sur une idéologie patriotique valorisée par les familles, il rassemble ceux qui ont le "pouvoir de baiser" pour former le corps principal de la nation. Il donne l'image d'une piscine dans laquelle des hommes, se situant à différents niveaux de la hiérarchie sociale et issus de milieux culturels très divers, nagent maladroitement, mais tous ensemble. Sortir de cette piscine est impossible, tout comme fermer les yeux, s'arrêter ou s'isoler. Les hommes restent, continuant à nager sans savoir pourquoi. Pourtant, d'autres gardent en mémoire l'image d'un chaudron plutôt que celle d'une piscine. Cuire ensemble est un processus de co-construction.
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Faire sociologie « avec », sans faire violence aux enquêtés, nécessitait non seulement de trouver une méthode appropriée, mais de s’appuyer sur un socle éthique,pour produire une connaissance avec eux en nous engageant dans la durée, ce qui a favorisé un climat de confiance
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les mécanismes des violences structurelles qui façonnent l’ordre social et politique en Turquie. A savoir né du génocide des Arménien·nes de 1915 et des massacres de centaines de milliers de Grec·ques et de Kurdes
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Considérant que même le mensonge était une forme de raisonnement à prendre au sérieux, j’ai focalisé mon attention non pas sur ce qui a réellement été vécu, mais sur la nature du discours qui en découlait
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Cette étude sur le rôle du service militaire dans la structuration de la violence masculine avait en effet fortement agacé l’appareil politico-militaire turc
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Pinar Selek menacée d'une condamnation à perpétuité en Turquie
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