Le professeur Martens se rend à Saint-Pétersbourg pour servir d'expert pendant une rencontre au sommet entre souverains. C'est que sa réputation n'est plus à faire au plan international, éminent juriste, spécialiste de droit international, il est souvent choisi comme arbitre lors de litiges entre états. Pourtant, rien ne le prédestinait à ce brillant parcours. Fils d'un tailleur estonien, orphelin de bonne heure, il ne doit sa réussite qu'à ses exceptionnelles qualités. Mais voilà, passée la soixantaine, il se demande s'il a vraiment réussi, et surtout si cette réussite ne s'est pas faite au détriment de quelque chose de plus essentiel, qu'il a du mal à formuler, si finalement il n'a pas été amené à faire au pouvoir tyrannique en place en Russie des concessions tellement importantes, qu'il ne peut finalement pas vraiment garder réellement du respect pour lui-même. Sa réussite n'aura été qu'une immense duperie.
Jaan Kross pose dans ce roman, la question de savoir quels choix restent à un individu dans un état qui ne respecte pas les individus, mais s'en sert sans aucun respect. Et le choix est impossible, car il s'agit d'être finalement soit victime, soit complice. Les deux à la longue aussi inconfortables. le professeur Martens avec sa respectabilité de façade, ses bonnes manières, sa réussite matérielle, se sent terriblement misérable et insatisfait. Sur tous les plans. Et il sait à quel point sa marge de manoeuvre est étroite, et qu'il devra pour garder sa position supporter tout ou presque.
Un livre très noir, très cruel. Qui montre aussi à quel point le droit n'est finalement qu'un instrument, au service de ceux qui détiennent le pouvoir. J'ai toutefois moins apprécié ce roman que
le fou du tzar, plus lyrique, plus tragique d'une certaine façon, mais en même temps plus ample. La vision étriquée, ironique mais en même temps mesquine du professeur Martens n'est guerre sympathique, et j'ai eu du mal à adhérer au parallèle fait avec un homonyme du professeur vivant à un siècle de distance. Et le rythme un peu heurté du récit n'aide pas forcement à y rentrer.