L’Italie a-t-elle une histoire avant l’unification ? Au cœur de la Méditerranée, pendant des siècles, la péninsule se présente comme une koiné culturelle à première vue uniforme mais montre une complexe pluralité politique, économique et sociale.
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Les voyageurs ont été l'un des vecteurs de l'émergence de l'Italie sur la scène européenne. Leurs expériences et leurs écrits ont modelé la perception par les Italiens de ses réalités physiques et humaines. Avec plus d'intensité qu'ailleurs en Europe, le voyage y a conduit nombre d'hommes mais aussi de femmes, originaires du reste du continent ou de plus loin. Munis de leur bagage culturel, ils ont arpenté l'espace et y ont agi, parfois en se divertissant et souvent en observant, découvrant dans la Péninsule les lieux d'un patrimoine partagé par tous les Européens ou d'autres plus inattendus, rencontrant des habitants de condition, d'âge et de sexe variés. À travers leur regard, les étrangers ont fini par façonner une identité italienne.
Là dove'l sì suona : là où le sì résonne. Dante Alighieri a défini en peu de mots l'Italie, le « beau pays », autour d'un écho minimal, un « oui » en partage qui la fonde en tant qu'espace linguistique cohérent. Dès le Trecento, des considérations d'ordre linguistique se sont combinées à des représentations spatiales et à des observations liminaires de type esthétique afin de ceindre l'Italie de frontières culturelles. Au sein de cet espace culturel commun, c'est pourtant la division - celle de l'affrontement politique et des conflits entre États territoriaux - qui est demeurée la norme. Pétrarque, comme Dante, et à leur suite les élites humanistes du XVe siècle, ont aspiré à transformer la cohérence culturelle de la Péninsule en cohésion politique afin, notamment, de résister aux appétits étrangers et à la menace que représentait au début de l'époque dite « moderne » le développement des monarchies espagnole et française.
Dans ces conditions, quelle pertinence le cadre italien conserve-t-il pour étudier les réformes du XVIIIe siècle ? Aux yeux des voyageurs européens, la Péninsule ne présente de ce point de vue aucune homogénéité. C'est une mosaïque d'États où s'opposent les réformes éclairées de Lombardie et de Toscane, les Lumières sans réformes du royaume de Naples, les réformes sans Lumières du royaume de Piémont, et enfin les États sans réformes ni Lumières, comme la république de Gènes, les États du pape, voire la république de Venise.
Comment faire l'histoire de l'Italie au temps où aucune entité politique ne correspond à cet objet ? Comment faire l'histoire de quelque chose qui n'existe pas ? Depuis le XIXe siècle qui voit la progressive réalisation de l'unité italienne, les historiens de la Péninsule n'ont cessé de vouloir donner des réponses à cette question lancinante. Retracer l'histoire de cette quête impose de tenir ensemble le travail des historiens depuis le Risorgimento et celui de l'historiographie qui naît du traumatisme des guerres d'Italie sous le régime de la Pax hispanica. L'Italie est à l'époque moderne un « méta-objet » de l'histoire : à la fois absent de l'historiographie qui s'écrit au même moment mais sans cesse projeté par l'historiographie des siècles postérieurs.
Italia : le nom se trouve sur toutes les cartes dès la fin du XIIIe siècle. C'est un nom ancien qui, s'il a, dans la haute Antiquité grecque, désigné le plus souvent la partie méridionale de la Péninsule, est devenu aux temps de la République romaine, notamment avec Polybe, celui qui la désigne tout entière, telle qu'elle est limitée par le puissant massif alpin. Au sud, les îles, en particulier la Sicile, restent toutefois exclues, ce que rappellera plus tard l'image de la jambe ou de la botte, vue comme étant en train de frapper vivement la Sicile. Depuis l'Antiquité, l'Italie s'est en grande partie construite cartographiquement avant même d'avoir pu trouver une existence politique.
(INCIPIT)
Rencontre avec Jean Boutier, auteur du « Grand Atlas de l'Histoire de France »