Le théâtre du corps

Avec l'élégance propre à la présidence du Ballet, j'ai reçu ma lettre de licenciement le 2 février 2004, le jour de mon anniversaire. La faute était là, inscrite noir sur blanc, faute lourde en caractères gras: "Carence dans l'avancement de la programmation de l'année d'après". Jean-Claude Gaudin qui, cinq ans plus tôt, me demandait personnellement de poser ma candidature, qui la soutenait, créait désormais en interne un problème en provoquant un véritable ras de marée médiatique.
Comment ne pas se remettre en question? Comment ne pas croire à un complot? Le tapage médiatique a détruit une partie de ma personne.
J'utilise peut-être un mot très lourd mais, en bafouant ainsi mon image, on voulait tuer l'artiste. Ma parole était vaine, on ne s'intéressait finalement que très peu à moi, c'est le scandale qui nourrissait la curiosité malsaine des journalistes. Ils ne cherchaient pas la vérité, mais simplement à conforter les dires d'une majorité.

Julien est mon patrimoine le plus précieux, il est le support de toutes mes émotions, de mes blessures, il subit les chocs, il les incarne. Il y avait, dans ce choix de thématique, une sorte d'évidence. A la fin de mon aventure marseillaise, lui aussi a souffert de l'emprise des médias sur notre vie. Heureusement, dix ans plus tard, quand il nous arrive de repenser à cette période riche en émotions, tant positives que négatives, nous sommes soulagés de voir que le temps finit par cicatriser toutes les blessures. Par rétablir les bonnes images -la mienne avait été tellement décriée par les médias... Cette aventure ne m'a pas laissée de marbre, et elle me poursuit aujourd'hui encore; les épisodes de nos vies nous suivent à jamais, on les traîne derrière soi comme de lourdes masses. Mais heureusement, une fois que l'on en a pris conscience, on peut inverser la donne et même s'en servir pour rebondir.

p. 46: "On dit souvent qu'il faut chuter pour progresser, il y a sûrement du vrai là-dedans. Mais, à Marseille, la douleur venait du dehors. Le regard de l'autre était désormais orienté, faussement orienté, j'étais pour lui, pou l'autre lambda, et pour certains collègues, certains danseurs, certains artistes, certains spectateurs, certains officiels, une femme tyrannique et difficile. Comment se reconstruire après une telle infamie? Comment se justifier, reprendre ce qui vous appartient? Votre image, vous-même? Je n'étais plus moi, mais je n'étais pas non plus celle que l'on voulait que je sois. Je flottais dans l'incompréhension et l'injustice."

p. 104: "Dans la danse, l'art du ressenti, au-delà de la technique, capture les émotions et transcende nos vies. Son pouvoir est immense, sa source est poésie, beauté, équilibre. Tel un funambule, le danseur prend tous les risques et trace son sillage dans l'espace."