Ce livre m'est tombé entre les mains un peu par hasard et ayant entendu récemment parler des guerres balkaniques du début du 20ème siècle, j'ai eu la curiosité de le lire : au final une belle surprise.
Pourtant c'est à un voyage dépaysant dans le temps et l'espace que convie ce recueil de nouvelles de l'écrivain turc
Necati Cumali, mort en 2001. Macédoine ? Ce nom commun nous est familier pour désigner un mélange de légumes. Mais quid de cette région à la fin de l'empire ottoman ? Écoutons l'auteur : « Au début du 20ème siècle, les Balkans étaient appelés le panier de crabes, la poudrière de l'Europe. Turcs, Grecs, Macédoniens, Valaques, Bulgares, Serbes, Albanais, Arméniens, Juifs, Gitans, en plus des levantins d'Istanbul, Géorgiens, Iraniens, Occidentaux, qui se trouvaient dans les Balkans pour des raisons diverses, y cohabitaient tous ensemble ». Sous l'autorité de l'administration ottomane, une coexistence relativement pacifique était de règle. Mais avec le déclin de l'influence impériale et le réveil des nationalismes, la région toute entière fut déchirée par des guerres sanglantes.
Contrastant avec la couverture assez bucolique du livre, les nouvelles de N. Cumali vont évoquer ces temps troublés. Certes il commence par le souvenir de ses grands-parents et de leur vie de paisibles commerçants turcs dans le cadre pittoresque de la petite ville de Florina (aujourd'hui en Macédoine grecque), mais très vite on voit apparaître les exactions des brigands, bulgares en la circonstance, les pillages, incendies, viols et meurtres auxquelles vont répondre de terribles vendettas. Même si le motif de la vengeance est privé (Dame Dilà), elle sera sans pitié, à plus forte raison s'il s'agit de conflits sur fond d'affrontements ethniques, où l'auteur se révèle un maitre du suspense quand il décrit la soif du sang qui anime les bandits d'honneur, quel que soit leur bord. Chaque peuple a ses héros de légende et rapporte la geste de leurs exploits, ce qui ne manque pas de rappeler l'univers de l'auteur albanais
Ismaïl Kadaré.
Mais l'originalité du recueil ne tient pas seulement dans ces récits suggestifs et haletants, mais plutôt dans la dimension humaine que l'auteur sait toujours garder à ses personnages même au milieu des pires cruautés. Des justiciers impitoyables sont atteints du mal d'amour, des voisins de communautés différentes se protègent mutuellement, deux voyageurs turcs échangent des cigarettes avec un détachement grec qui aurait pu les massacrer, des prisonniers turcs injustement condamnés s'évadent sans tuer ni priver de leurs armes des gendarmes grecs chargés de les convoyer, quand la sieste les réunit dans un même sommeil sous la canicule écrasante. Ces moment d'humanité, de tolérance et parfois même d'amitié réunissent ceux que des haines aveugles devraient opposer.
Pour
Necati Cumali, dans un contexte de guerres ethniques meurtrières, les relations interpersonnelles, les échanges entre êtres humains menacés par la même destinée, restent primordiaux, permettant aux peuples déchirés par des luttes intestines de trouver une parcelle d'humanité, un répit au milieu de l'hostilité générale. Il ne s'agit pas pour lui de prêcher une entente utopique mais de montrer à coup d'anecdotes, vécues notamment par son père, à quel point elle est possible et survient plus souvent qu'on ne croit.
Des nouvelles qui tiennent en haleine, écrites et traduites dans un style dense et évocateur et finalement une belle leçon d'humanisme malgré la toile de fond de guerres sans merci entre communautés adverses.