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EAN : 9791025205631
280 pages
LES PEREGRINES (25/08/2022)
4.09/5   35 notes
Résumé :
Inaya, une intrépide fillette de huit ans, vit avec sa tante et ses cousines dans un village d’Afrique, au cœur d’une région instable depuis des années.

Un jour, une association humanitaire s’installe à proximité du village. Les bénévoles se mettent en quête d’orphelins de père et de mère, afin de les sortir de la misère et de leur donner accès à l’école.

Sur le camp où ils sont accueillis, Inaya et une centaine d’autres enfants sont a... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (26) Voir plus Ajouter une critique
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Quelque part dans un pays d'Afrique subsaharienne ravagé par des conflits internes, Amandine Prié place d'emblée son récit à hauteur d'enfants, construisant son récit autour du personnage d'Inaya, fillette de huit ans qui brûle d'accéder à la connaissance et faire des études pour devenir médecin. L'espoir de concrétiser son rêve naît avec l'arrivée d'une association humanitaire française qui promet de scolariser les enfants orphelins dans leur camp fraichement installé.

Le plus réussi dans ce roman réside dans la description du fonctionnement du village d'Inaya, des rapports de force et plus largement des interactions entre villageois dès que les Blancs ouvrent leur camp : le doyen qui se vexe lorsque les Blancs ont le culot de venir lui proposer de l'aider comme s'il ne savait pas tenir sa communauté ; et surtout, les femmes qui se rebellent pour que tous les enfants puissent être scolarisés - même ceux qui ont toujours leurs parents et sont plus grands, - voulant s'engouffrer dans la porte qui s'ouvre et pourrait offrir un avenir à leurs enfants. le monologue de la tante d'Inaya, face au au doyen qui refuse que les filles soient envoyées au camp des Blancs, est très fort :

« Je te parle de ça et aussi des bébés qu'on porte dans nos ventres en continuant à travailler, qu'on met au monde seules en espérant ne pas mourir au prochain, parce qu'alors plus personne ne pourrait veiller sur ceux qui sont déjà là, plus personne ne pourrait les nourrir et les aider à devenir adultes. Sans nous, je ne donne pas un mois au village avant de commencer à compter ses morts. »

Le personnage d'Inaya est très attachant, petite fille têtue, intrépide et intelligente mais je n'y ai pas cru. Sa maturité et sa perspicacité à comprendre le drame tacite qui se joue ne m'a pas semblé du tout crédible, même pour une enfant qui aurait grandi trop vite après le massacre de ses parents par des rebelles armés. Les dialogues qui la mettent en scène avec d'autres enfants, parfois plus jeunes, soulignent cette invraisemblance alors qu'on sent toute la sincérité de l'autrice et son empathie pour son personnage.

Ce ne serait pas gênant si Pour leur bien était un conte mais là ce n'est pas le cas, ce n'est pas la tonalité choisie par Amandine Prié, bien plus réaliste ... d'autant qu'elle s'est inspirée d'une histoire vraie : en 2007, l'inculpation de six membres de l'association Arche de Zoé pour enlèvement de mineurs et escroquerie avec exercice illicite de l'activité d'intermédiaire pour l'adoption, dans un Tchad en pleine crise du Darfour

J'ai trouvé qu'il y avait un problème avec le point de vue, pas assez net sur un sujet que la justice à trancher, assez brouillon et confus sur les Blancs, leurs projets, leur dilemme : on n'est pas plu avancé pour savoir s'ils étaient d'idéalistes naïfs pris au piège de leur amateurisme ou de vulgaires trafiquants d'enfants agissant en connaissance de cause.

Le sujet est pourtant passionnant : la complexité des liens Afrique/Occident et d'un néo-colonialisme rampant qui se manifeste par un sentiment de toute-puissance des Occidentaux prétendant sauver des enfants africains sans prendre à compte la violence de l'arrachement à leurs familles et de la négation de leurs origines. L'intérêt matériel des enfants doit-il primer sur la morale ? Forcément, les lecteurs se posent des questions, poussés à réfléchir sur leur vision des drames humanitaires qui touchent certaines parties du monde. Les maladresses du récit tout comme sa fin balancée à la hâte ne permettent pas de le faire totalement.

Je précise que je suis à contre-courant de la vox populi qui est bien plus élogieuse que moi à l'égard de ce premier roman.


Lu dans le cadre de la sélection 2023 des 68 Premières fois
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Au coeur d'un pays en guerre, les enfants qui vont chercher de l'eau risquent gros. Les bandes de rebelles sous emprise psychologique et chimique constituent une menace vitale. Inaya le sait, elle qui a perdu ses parents dans ce conflit sans signification par elle.

Ce matin-là, une fois de plus, ils sont attaqués sauvagement, sans aucune espèce de compassion pour leur jeune âge et leur innocence.

Au village, la décision du chef s'impose, les petites filles n'iront plus au point d'eau. Pour Inaya, la décision est aberrante, car les garçons ne sont bons qu'à jouer et incapables de rapporter suffisamment d'eau pour la communauté.

Mais voilà que des Blancs, accompagnés d'un traducteur viennent au nom de la France proposer de scolariser les enfants orphelins du village. Ils doivent avoir moins de cinq ans pour être plus accessibles à l'apprentissage d'une langue étrangère.
Après des discussions houleuses avec le chef, un accord naît : une trentaine d'enfants rejoint la base de l'organisation humanitaire.

Mais peu à peu le doute naît : et si le but n'était pas aussi charitable qu'il n'y paraît ?

Ce roman reprend la trame d'un fait divers datant de 2015, qui avait abouti à l'arrestation des responsables de ce trafic d'enfants.

Le récit est habilement mené, en se plaçant du point de vue de la fillette perspicace qu'est Inaya, qui rêve de devenir médecin. On est plongé dans le quotidien d'un village exsangue, menacé par des attaques sauvages et au bord de la famine. On comprend bien l'impact d'une proposition d'offrir un avenir meilleur à ces enfants, même si le prix à payer est la séparation temporaire exigée par leur statut de pensionnaire. Mais aussi la déconvenue et le sentiment de trahison lorsque la supercherie est dévoilée.

Hormis quelques maladresses d'écriture, le récit est convaincant et suscite des émotions diverses au gré des révélations. Un premier roman tout à fait honorable.

280 pages Les Pérégrines 25 Août 2022

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Ce livre qui prend sa source dans la réalité, une réalité bien inhumaine, est beaucoup plus qu'un récit de fait divers. Il invite à regarder sa propre vie, à se rappeler, sans devenir pessimiste et en gardant espoir, combien le monde est malade : différence entre les continents, avidité des politiques, inégalité de niveau de vie, famine, guerre … On ne peut s'empêcher de se sentir mal, on salue les personnes qui s'activent pour adoucir le quotidien de ces villageois qui subissent la guerre, le viol, qui élèvent tant bien que mal des enfants qui ne sont pas les leurs, on admirent ces personnes qui savent profiter des moments agréables d'une existence difficile, on loue la sagesse du doyen qui prend des décision concernant la communautés, on s'invite dans les huttes, on partage, riche moment de lecture.

Et puis on prend contact avec les blancs, les Européens aux belles idées qui proposent de donner un avenir aux enfants du village, beau projet… Mais que cache-t-il, ce beau projet ? comment est-il amené dans les communautés ? comment ces gens qui vivent dans un univers restreint peuvent-ils décider en connaissance de cause ?

Si en tant que lecteur, on a une vague idée des objectifs de cette association qui survient pour promettre une issue aux familles désemparées, on découvre peu à peu l'envers du décor.

On ne peut que s'attacher aux personnages, Inaya, la rebelle, celle qui malgré son jeune âge, porte la responsabilité des plus petits, Sékou le courageux, et les autres enfants qui forment à eux seul une communauté bien vivante, une communauté d'orphelins soudés par leur malheur.

Un beau livre, une magnifique premier roman, triste et dérangeant, qui laisse pensif.
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Les vrais-faux orphelins et l'appât du gain

S'appuyant sur l'histoire vraie d'un trafic d'enfants, Amandine Prié raconte dans «Pour leur bien» le plan machiavélique de quelques français décidés à voler garçons et filles dans un pays d'Afrique pour les confier à des familles adoptives. Glaçant!

Il n'aura fallu que quelques secondes à Inaya pour fuir. Quand les rebelles ont atteint leur village, la fillette a réussi à gagner la cache préparée dans l'anfractuosité d'un mur. Mais ses parents n'ont pas pu échapper au terrible massacre. Les quelques survivants décident de fuir pour rallier un endroit où leur sécurité sera assurée. Autour de sa tante, Inaya et les autres enfants doivent désormais apprendre à avancer dans la vie sans parents. Mais plutôt que de sombrer, l'enfant se forge un caractère bien trempé, curieuse de comprendre et de découvrir, n'hésitant pas à interroger les adultes. Et même si cela a le don d'en énerver certains, elle parvient ainsi à tenir.
Son destin va basculer avec l'arrivée dans le village d'un groupe de Blancs qui expliquent au Doyen qu'ils ont le projet de créer une école qui prendra en charge les orphelins et assurera leur nourriture et leur hébergement. Et pour rassurer les villageois, ils promettent d'emmener également avec eux Chef du village, pour qu'il puisse se rendre compte du sérieux du projet et de leur professionnalisme. Après bien des tractations – et quelques arrangements avec l'état-civil – tous les enfants du village montent dans les véhicules pour rejoindre leur nouvelle école où les attendant nourriture, chambre et jouets. Les premiers jours se passent bien, même si Inaya reste méfiante en constatant que les cours se font attendre.
C'est que dans le plan fomenté par les Blancs, l'enseignant n'a pas pu être trouvé. Aussi, après avoir engagé un autochtone qui va s'avérer totalement incapable, ils décident de prendre eux-mêmes les choses en main. Avec un certain succès.
Mais Inaya reste méfiante, comprenant que ces blancs ne disent pas toute la vérité sur leur projet. Au fil des jours, elle voit la tension croître et les dissensions se faire plus visibles. Jusqu'à ce jour où tout le monde prend la direction de l'aéroport.
Amandine Prié s'est appuyée sur l'affaire de l'Arche de Noé, cette ONG qui sous couvert d'humanitaire organisait un trafic d'enfants, pour nous offrir un premier roman très réussi.
Le choix de le rédiger à hauteur d'enfant y est pour beaucoup. Si Inaya a l'esprit vif et l'envie d'apprendre, elle ne voit pas le piège se refermer sur elle. À la fois naïve et intrépide, sa curiosité va toutefois lui permettre de se poser les bonnes questions, de mettre au jour les contradictions des adultes et leurs petits arrangements avec la vérité.
Le roman met le doigt sur les terribles inégalités entre le Nord et le Sud, sur cet écart de richesses qui peut pousser des parents qui n'arrivent plus à nourrir leurs enfants à les abandonner. Il souligne aussi, comme une forme de néocolonialisme, cette idée que l'on peut prendre des enfants et les vendre à des familles adoptives pour leur bien. Enfin, il nous propose de rehausser notre regard face à l'accès à l'éducation et au savoir, un bien aussi précieux que dévoyé aujourd'hui chez nous. Pouvoir apprendre est une chance à tous les âges. On l'oublie trop souvent. Ce suspense glaçant est aussi là pour nous le rappeler.

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❝Tout a un prix, même les gestes humanitaires.❞
Claude Fournier, Les tisserands du pouvoir

❝Malgré leurs désaccords, les six Français partagent, à cet instant, la même conviction d'avoir fait de leur mieux, d'avoir tout mis en oeuvre pour secourir les enfants. Sylvain [...] parvient cette nuit à se dire qu'il en a perdu un pour en sauver plus de cent. Une fois le portail franchi, il se consolera en refaisant les comptes, comme un épicier déguisé en soldats de l'humanitaire.❞

Quelque part en Afrique. Un village de brousse comme tant d'autres, où plusieurs familles vivent sous l'autorité sage d'un doyen respecté. Une vie à la dure, loin de tout, avec presque rien, dans des conditions extrêmement précaires et l'eau, vitale mais si lointaine, au bout de deux heures de marche sur une piste écrasée de soleil dès le petit matin. L'eau, corvée qui est celle des enfants et des filles en particulier, avec le danger qui rôde le long de la piste rouge qui mène à cette ressource vitale dans ce pays dont le ciel porte un soleil éternel. Une vie fragile, consciente qu'il suffit de quelques minutes pour basculer dans l'horreur absolue comme ce fut le cas quand le village fut attaqué par des rebelles ❝aux visages d'enfants et dégaines de soldats amateurs [qui] marchent vite, parlent fort, chantent faux, crachent et jurent et exterminent sans discernement❞. Lors d'un raid sanguinaire, la petite Inaya a perdu ses parents. Si elle a survécu au carnage, elle ne le doit qu'à la cache dans laquelle elle s'était glissée. À huit ans, la petite orpheline vit avec sa tante et ses cousines qui l'ont recueillie, car la solidarité entre générations, entre familles, est une évidence ❝On dit qu'ici, il faut un village pour élever un enfant❞.

Amandine Prié a choisi d'écrire son roman à hauteur de la petite Inaya, à la 3e personne du singulier et non à la 1re. Un choix à saluer quand on sait combien il est difficile de tenir la note juste de la langue de l'enfance ; l'adulte a tôt fait de tomber dans la mièvrerie ou, à l'opposé, dans un langage soutenu, autant d'écueils qui creusent un écart irréconciliable avec l'image que le lecteur se fait du personnage.

Inaya est une jeune enfant à laquelle on s'attache dès les premières pages. Mélange harmonieux et convaincant de naïveté et de maturité, son caractère fort, opiniâtre et curieux questionne et ne lâche rien avant d'avoir obtenu la réponse souhaitée.

❝[elle] insiste parfois un peu trop, respecte rarement l'intimité, peut se montrer aussi tenace qu'une tique sur un chien, parle sans réserve, aime sans retenue.❞

Amandine Prié façonne tous ses personnages avec une même attention, Sekou l'ami d'Inaya comme les autres enfants, comme les adultes du village, Marietou en tête, tous terriblement humains, pétris de doutes, de contradictions et d'espérance qu'exacerbe l'arrivée inopinée des Blancs, membres de l'association humanitaire Une école, un avenir, qui rencontrent le doyen du village avec une proposition difficile à refuser quand on sait dans quel dénuement le village vit : les garçons âgés de moins de 5 ans, en bonne santé et orphelins ont la possibilité d'intégrer leur école pendant 2 ans.

❝Cette fois, les jeeps ne sont pas conduites par des rebelles venus les tuer, mais par des Blancs. Les premiers voulaient les voir morts, les seconds rêvent de leur offrir un avenir.❞

Pour leur bien.

Les conditions posées par l'association soulèvent toutefois une vague de questions (Pourquoi uniquement des orphelins ? ; Pourquoi uniquement de très jeunes garçons ?) pour lesquelles il existe visiblement des réponses toutes prêtes. Quand l'association accepte de prendre tous les enfants sans distinction, levant ainsi les dernières réticences des villageois, les familles voient se dessiner pour leurs enfants un avenir — éducation, nourriture, soins, hébergement — qu'elles n'osaient espérer. Au prix de quelques petits arrangements avec l'État civil, les parents se séparent de leurs enfants qui montent dans les véhicules.

❝Marietou regarde la voiture s'éloigner. Elle a aperçu le visage d'Inaya collé contre la vitre, mais n'a pas réussi à distinguer ceux d'Issa et de Sekou. La douleur qui lui tord le ventre mettra des jours à se dissiper. La place, remplie d'enfants et de cris quelques instants plus tôt, est désormais silencieuse.❞

Pour leur bien.

Pour les enfants comme pour les adultes, bien que douloureux, ce départ est une chance. Inaya est partie, pleine de crainte et d'espoir, elle qui veut devenir médecin depuis qu'elle les a vus, admirative, oeuvrer au dispensaire. Pourtant, sa confiance ne tarde pas à se fendiller. Si l'association prend soin d'eux correctement, leur offre nourriture et même jouets, il est évident que tout ne va pas comme il le devrait, comme il était promis ; le manque de moyens est criant, l'impréparation et l'amateurisme des humanitaires aussi. Peu à peu Inaya comprend que la vérité n'est peut-être pas celle qu'on leur a racontée. le soupçon s'installe et les questions se pressent : pourquoi ces gens-là se querellent-ils la plupart du temps ? Où vont les enfants qui disparaissent du jour au lendemain ? Pourquoi ce départ précipité pour l'aéroport ?

C'est une évidence, l'affaire de L'Arche de Zoé, qui a secoué la France en 2007 et que personne n'a oubliée, est en toile de fond du premier roman d'Amandine Prié. Pour leur bien montre la dérive humanitaire quand quelques-uns fomentent d'enlever de très jeunes enfants pour les proposer à l'adoption, contre monnaie sonnante et trébuchante bien sûr, à des familles françaises désespérées de ne pouvoir procréer. Laissant au lecteur son libre arbitre, Amandine Prié s'abstient de juger Sarah, Sylvain, Mickaël, Daniel, Mélanie, Laurence, Pierre, membres de l'ONG dont la plupart sont convaincus d'agir pour le bien non seulement des parents qui ne peuvent plus subvenir aux besoins et assurer la sécurité de leurs enfants, mais aussi des enfants eux-mêmes, candidats au départ pour un meilleur avenir, sans parler des familles d'accueil françaises.

❝Ce qui anime [Pierre], depuis le premier jour, c'est la volonté de ramener ces enfants sur le sol français, pour que l'État prenne ses responsabilités et ouvre enfin les yeux sur le rôle qu'il aurait dû jouer depuis longtemps dans ce conflit. Que les gamins restent dans leur famille d'accueil dont les dons sont parfois généreux ont permis de financer la mission, ou qu'ils soient par la suite confiés à d'autres personnes importe peu. Quoiqu'il arrive, ils seront toujours mieux en France qu'ici. Il aurait aimé en sauver plus, bien plus.❞

Ces humanitaires ont au moins un point commun avec Inaya qui ❝laisse rarement aux gens le temps de savoir ce dont ils ont envie ou besoin. Elle veille sur eux à sa manière, partant du principe que ce qui est bon pour elle ne peut qu'être bon pour l'autre.

C'est tout le talent de l'autrice de créer des personnages complexes, que le lecteur ne peut enfermer dans une case unique qui les résumerait. Doit-on vilipender les villageois qui ont menti en faisant passer certains enfants pour orphelins, pour plus jeunes qu'ils sont, afin de leur offrir une promesse d'avenir, loin du village cerné par les rebelles dont les attaques sont journellement redoutées ? Les bons sentiments et l'intérêt des enfants — pour leur bien, ne l'oublions pas — peuvent-ils peser d'une quelconque façon face aux intérêts financiers ? À quel moment bascule-t-on du sauvetage humanitaire au trafic d'enfants ? Où est la frontière entre humanitaire et mercenaire voleur d'enfants ? En tous cas, un relent de Françafrique, une resurgence de ❝néocolonialisme compassionnel❞, pour reprendre une expression en vogue à l'époque du scandale de L'Arche de Zoé et toujours d'actualité, sont à l'oeuvre ici, et fort bien suggérés.

❝Une école, un avenir est l'histoire d'une double domination : celle de l'Occident sur l'Afrique, et celles des adultes sur les enfants, les premiers se targuant d'agir pour le bien des seconds.❞

Pour leur bien est un premier roman adroit, qui dérange son lecteur, tant au moment de la lecture que plus tard, grâce à la richesse des problématiques qu'il porte. Amandine Prié lui laisse son libre arbitre et n'oriente aucunement son jugement.

Premier roman, lu pour la sélection 2023 des #68premieresfois

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(Les premières pages du livre)
– Inaya, si tu bouges encore, j’arrête tout.
La petite fille, assise bien droite sur un minuscule tabouret en bois, se mord les lèvres pour ne pas crier. Sur son crâne, deux mains s’affairent au milieu des touffes de cheveux. Elles plaquent, lissent, trient, tirent, rabattent, tressent, exécutent un ballet à dix doigts dans le secret de l’arrière-cour, entre des bassines empilées et un tas de bois.
Cette danse nerveuse est orchestrée par Marietou, une femme aux traits tirés, longue et sèche comme un roseau. Inaya gémit et, dans un mouvement réflexe, repousse la main de sa tante. Les doigts s’immo¬bilisent sur la tête de l’enfant. Marietou la contourne, s’accroupit à sa hauteur et plante ses yeux fatigués dans les siens :
– Tu veux que je te laisse comme ça, avec les cheveux en l’air ? Alors tiens-toi tranquille, jeune fille !
Inaya observe l’index noueux de sa tante s’agiter sous son nez. Elle baisse les yeux, retient un rire. C’est toujours comme ça quand Ma’ se fâche : aucune des deux n’y croit vraiment. Ce ne sont pas les réprimandes de sa tante qu’elle redoute le plus, mais son silence. Une chape de plomb qui tombe d’un coup et frappe plus fort qu’une gifle, qui est plus étourdissante aussi que des cris. Marietou se replace derrière sa nièce, et les doigts reprennent leur danse.
Autour d’elles, le village s’étire, s’éveillant doucement de sa sieste. Quand le soleil est au plus haut et que les ombres ont rétréci jusqu’à disparaître, hommes et bêtes se couchent sans résistance. Ici, s’agiter dans l’air brûlant peut vous faire perdre la raison. Raison que les femmes ont probablement perdue depuis longtemps, elles qui ne s’allongent qu’une fois la nuit tombée.
Sans bouger la tête, raide comme un piquet, Inaya fait signe à Sekou, le petit-fils de la vieille voisine, si vieille qu’elle avance courbée, le visage chaque jour plus près du sol. Sa maison, dont la teinte ocre semble presque rose tant la lumière est crue, ressemble en tous points à celle de Marietou. Un toit de paille, des murs circulaires qu’ouvre un rectangle sombre. Une géométrie simple faite de terre, comme pour ne jamais oublier d’où l’on vient. Sekou s’étire longuement, sourit à Inaya, salue Marietou et prend le petit balai en paille appuyé contre le mur de la maison. Sa grand-mère et son petit frère dorment encore à l’intérieur, assommés par la chaleur. Le garçon, torse et pieds nus, nettoie la cour d’un geste sûr. Le balai passe entre ses jambes, soulève la poussière, chasse une poule au passage.
Un vent chaud agite les feuilles des manguiers. On les aperçoit, juste là, derrière la porte du petit grenier dans lequel Marietou et la voisine entreposent leur menue récolte. Inaya n’y a jamais mis les pieds et refuse catégoriquement de s’en approcher. Ce qu’elle aime, elle, dans l’arrière-cour de Ma’, c’est grimper sur le petit muret, s’asseoir sur ses talons et regarder la nuit tomber sur le village. Chaque soir, perchée à un mètre cinquante du sol, avec la sensation d’effleurer les nuages, elle observe. Les hommes qui lavent leur visage, penchés sur les bassines. Les femmes qui frottent et rincent les casseroles. Les trois chèvres osseuses du doyen qui tournent autour des maisons, en quête de restes de repas. Les avant-bras posés sur ses genoux, les pieds bien à plat sur le muret, elle voit les enfants qui se chamaillent et se poursuivent en riant. Comme Inaya, ils entendent souvent parler d’avant. Avant, c’est ce que disent tous les habitants du village. Avant est presque devenu un personnage, une figure lointaine et paisible. Dans cet avant qui peuple la mémoire collective, on buvait du lait chaque jour, on élevait ses vaches, on ne croisait ni casques verts ni casques bleus. Il n’y avait pas d’attente, pas de distribution, pas de registre. Dans cet avant, Inaya avait quatre ans et s’endormait chaque soir en écoutant le souffle de sa mère et les ronflements de son père.
Mais un jour, les choses ont changé. Il a fallu monter dans des cars, traverser une frontière, s’inventer à nouveau dans cette région presque déserte où seuls rôdaient les mauvais esprits. Il a fallu donner¬ son nom, s’inscrire sur des listes, récupérer quelques semences, accepter un lopin de mauvaise terre. Il a fallu tout reconstruire, les toits de paille, les murs d’argile, les familles et les espoirs. Beaucoup de parents ne sont pas montés dans ces cars. À leur place, des oncles, des tantes, des cousines, des voisins, des grands-parents. On dit qu’ici, il faut un village pour élever un enfant. Alors le village s’est retroussé les manches. Les enfants sans parents sont désormais ceux de tous.
Inaya sent les mains de Ma’ enserrer son crâne tressé. Celle-ci peaufine son ouvrage, tire un cheveu qui dépasse et lui donne une tape sur l’épaule. Inaya a envie de se gratter la tête. Elle plante un baiser sur la joue de sa tante et s’éloigne en sautillant, pieds nus et bras tendus, le corps enfin en mouvement.

Pour Inaya, tout avait basculé quatre ans plus tôt, le jour du bruit. Le bruit des camions, des portières, des meubles retournés, de son souffle dans le ¬grenier à sorgho. Le bruit des sandales de sa mère qui s’éloigne et la laisse là.
D’abord, il y avait eu les portières qui claquent. Certaines en même temps, d’autres en décalé. Ça faisait comme une musique métallique, pas de ces musiques qui font danser, non, plutôt de celles au son desquelles tout s’arrête. Une drôle de petite musique de mort. Ce n’était pas la première fois que des rebelles pillaient le village. Ils venaient régulièrement se servir, en vivres, en femmes, en violences, réaffirmaient leur domination, marquaient leur territoire puis repartaient, un temps rassasiés. Le jour du bruit, ils n’avaient qu’un seul objectif : anéantir.
Au début, le bruit avait été lointain, circonscrit aux abords des premières maisons du village, là où s’arrêtait la piste. Des cris. Des cris et des détonations en rafale, et ces portières qui n’en finissaient pas de claquer. Inaya connaissait les cachettes, sa mère les lui avaient montrées tant de fois. Derrière les bananiers. Dans les greniers. Dans le trou dissimulé par la bassine de linge, le trou creusé par les mains de son père. Plus Inaya grandissait, plus il le creusait, dans l’espoir fou de la sauver. Combien de parents regardent leur enfant grandir en pensant aux dimensions du trou dans lequel ils le cacheront pour lui éviter le pire ?
Rapidement, le bruit s’était rapproché. On entendait des pas, des voix d’hommes, des crachats. Des rires aussi. Puis un bref silence et, avant qu’Inaya n’ait eu le temps de se cacher, la plaque de tôle qui servait de porte fut renversée avec fracas d’un coup de botte. Elles étaient partout, ces bottes, se levaient et s’abattaient, écrasant un mégot, renversant la grande marmite en fonte. La mère d’Inaya l’avait prise dans ses bras et s’était enfuie par la petite porte qui donnait sur l’arrière-cour. La main sur les yeux de sa fille pour la préserver des mauvaises images, le cœur affolé, courbée sur son enfant comme une armure frêle offerte aux rafales, elle murmurait dans la petite oreille : « Ça va aller, tu ne bouges pas, surtout tu ne bouges pas. » Dans la maison, le bruit toujours. Le père implorait sans y croire, pour gagner du temps, un peu de temps pour sa femme et sa fille.
Arrivant au premier grenier à sorgho, la mère avait glissé le corps de la petite par l’ouverture étroite, tout en haut du mur de terre. Puis elle avait mis son doigt devant sa bouche et répété : « Tu ne bouges pas. » Elle avait ensuite couru en direction des bananiers, ses sandales en plastique claquant contre ses talons.
Inaya n’avait pas bougé. Il y avait eu d’autres bruits. Un autre jour, une autre nuit. Il y avait eu la lune, ronde et brillante, puis des voisins et des soldats, des mots chuchotés, des bras pour la soulever, des mains pour cacher ses yeux, des mains, des mots et des bras qui n’étaient pas ceux de sa mère. Il y avait eu des cars, une frontière et des registres, une tante et quatre cousines, qui plus jamais n’avaient reparlé du jour du bruit.

Inaya presse le pas, une bassine en plastique vert en équilibre sur son crâne tressé. Pour ne pas abîmer le travail de Marietou, elle a plié en quatre un petit tissu et l’a posé sur sa tête, entre ses tresses et la bassine. Il fait déjà chaud et ses cousines Fatou et Asma marchent vite, leurs longs bras battant l’air à chaque pas. La route de l’eau, c’est le royaume des enfants. Garçons et filles partent tôt le matin, quand le soleil n’est pas trop haut et que les adultes sont déjà aux champs. Il faut marcher pendant deux heures, d’abord sur la piste puis dans la brousse, jusqu’au lit de la rivière. Inaya aperçoit Sekou un peu plus loin, qui tient par la main son petit frère. Si Sekou boite un peu, c’est parce qu’une maladie a tordu sa jambe. C’est en tout cas ce que disent les Blancs, parce que Ma’, elle, a une autre explication : elle raconte que la mère de Sekou a trompé son mari lorsqu’elle était enceinte. Si le petit est de travers, c’est à cause du mauvais œil, rien à voir avec ce virus inventé par les Blancs.
Inaya double ses deux cousines et appelle le garçon. C’est que, même avec sa jambe tordue, il marche vite, Sekou. Il se retourne et la regarde sans sourire, visage fermé et traits tirés. Issa, le petit frère, bâille en se frottant les yeux de sa main libre.
– Qu’est-ce que je t’ai fait pour mériter cette tête ?
– C’est pas toi. C’est ma grand-mère, elle est malade.
– Malade comment ?
– La fièvre.
Sekou baisse la tête, soucieux. Sa grand-mère dormait encore, ce matin, quand il est parti avec Issa. Pourtant, la vieille femme est faite du même bois que Marietou. Rester couchée la journée, il n’en est pas question, c’est une insulte aux vivants. Rares sont les femmes du village qui peuvent encore compter sur un mari. Pour elles, tenir debout n’est rien de moins qu’une question de survie.
Inaya et Sekou reprennent leur marche en silence vers le po
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Inaya est accroupie sur le petit muret au fond de la cour. Elle observe les préparatifs de la fête prévue ce soir. Les femmes ont commencé à cuisiner tôt le matin, à l’heure où les musiciens, de jeunes garçons pour la plupart, partaient se coucher après avoir répété toute la nuit. Voilà bien longtemps que le village n’a rien fêté. Trop longtemps, a décrété le doyen, qui sait que la joie des vivants est la meilleure arme contre les mauvais esprits. Ils sont nombreux ces derniers temps à rôder par ici, depuis l’installation des rebelles au bord de la rivière. Il est grand temps de recommencer à danser.
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C’est ainsi qu’on grandit et que l’on meurt ici : entouré de deux cents âmes prêtes à se substituer à celles et à ceux qui vous ont donné la vie, au milieu d’une famille grande comme un village posé au bord d’une piste rouge.
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Marietou regarde la voiture s'éloigner. Elle a aperçu le visage d'Inaya collé contre la vitre, mais n'a pas réussi à distinguer ceux d'Issa et de Sekou. La douleur qui lui tord le ventre mettra des jours à se dissiper. La place, remplie d'enfants et de cris quelques instants plus tôt, est désormais silencieuse.
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Ce qui anime [Pierre], depuis le premier jour, c'est la volonté de ramener ces enfants sur le sol français, pour que l'État prenne ses responsabilités et ouvre enfin les yeux sur le rôle qu'il aurait dû jouer depuis longtemps dans ce conflit. Que les gamins restent dans leur famille d'accueil dont les dons sont parfois généreux ont permis de financer la mission, ou qu'ils soient par la suite confiés à d'autres personnes importe peu. Quoiqu'il arrive, ils seront toujours mieux en France qu'ici. Il aurait aimé en sauver plus, bien plus.
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