Un petit bouquin, publié en avril 2012, qui contient un des rares textes en prose de la grande poétesse allemande,
Else Lasker-Schüler, née le 11 février 1869 à Wuppertal (35 kilomètres à l'est de Düsseldorf) et décédée, à l'âge de 75 ans d'une crise cardiaque, le 22 janvier 1945 à Jérusalem, où elle est enterrée au cimetière du mont des Oliviers.
Prose c'est beaucoup dire, ou alors de la prose éminemment poétique, car pour elle le poète "prend toujours sa source dans son âme, mais aussi dans les détours de son sujet, dont il habille sa poésie".
En d'autres termes, lorsque
Else Lasker-Schüler évoque par exemple ses souvenirs de la petite enfance et, à plus forte raison, l'amour pour son fils, Paul, décédé de tuberculose à l'âge de 28 ans, son âme lui dicte de la poésie, même si ses phrases ne forment pas strictement des vers.
Formulé encore autrement : son approche du passé et de ses sentiments se présente par un usage de mots et phrases qui, peu importe la forme concrète, relève de la pure poésie. Pour citer la poétesse :
"La vraie rime est une toupie,
Elle veut toujours tourner ! "
Une approche, tellement personnelle, que toute traduction vers d'autres langues doit poser des problèmes considérables. On ne peut dès lors qu'apprécier la qualité de la version française assurée par
Raphaëlle Gitlis.
Le recueil ou "pot pourri", pour reprendre la formulation de l'auteure, sont des fragments de ses écrits posthumes ("nachgelassene Schriften") réunis par Karl Jürgen Skrodzki et Itta Shedletzky du "Jüdischer Verlag" ou la maison d'édition consacrée à la culture juive dans les pays germanophones.
Ces fragments se situent dans la période 1938-1939, 5 à 6 ans après l'émigration forcée de la poétesse en Suisse et à peu près 11 ans après la mort de son fils, Paul Lasker-Schüler (1899-1927), artiste peintre.
Reconnaissante pour l'accueil que la Suisse lui a réservé et ébloui par la beauté du lac de Zürich, le ton dominant de ses écrits reflète cependant une profonde mélancolie et nostalgie. Comme elle note : "...nous, les enfants d'Israël, qui nous sommes appliqués à être des citoyens loyaux et des citoyennes loyales, pour vous qui nous avez mis dehors... mon expatriation, divorce forcé de ma citoyenneté."
" Où demeure le souffle échappé de ma vie ?
Je rôde sans patrie parmi le gibier,
À travers des temps blafards, rêvant, oui
Je t'ai aimé. "
"...mon Paul, ami bien-aimé, qu'une grenade a atteint au front bleu...
Mon garçon était beau, d'une beauté céleste dans ses derniers jours."
"L'âme du poète est sa patrie, c'est pourquoi le poète est celui qui souffre avec le plus de fermeté, son émigration."
"J'ai, à la maison, un piano bleu...
Il est dans le noir, à la porte de la cave,
Depuis que le monde s'est abruti. "
Et pour conclure un brin de philosophie : "Le désoeuvrement continu mêlé à la tristesse donne sagesse."