Adieu
Mais tu ne vins jamais avec le soir —
J'étais assise en manteau d'étoiles.
... Quand on frappait à ma porte,
C'était le bruit de mon propre cœur.
Maintenant le voilà suspendu à tous les montants de porte,
À la tienne aussi ;
Rose de feu qui s'éteint entre les fougères
Dans le brun d'une guirlande.
Je fis pour toi le ciel couleur de mûre
Avec le sang de mon cœur.
Mais tu ne vins jamais avec le soir —
... Je t'attendais, debout, chaussée de souliers d'or.
Je sais
Je sais qu'il me faudra mourir bientôt
Et pourtant tous les arbres brillent
Après le baiser de juillet longtemps désiré —
Pâles deviennent tous mes rêves —
Jamais il n'y eut de fin plus triste
Dans mes livres de poèmes.
Tu me cueilles une fleur en guise de salut —
Et moi, je l'aimais déjà quand elle n'était que graine.
Pourtant je sais qu'il me faudra mourir bientôt.
Mon souffle plane sur les eaux du fleuve de Dieu —
Sans bruit je pose mon pied
Sur le chemin qui mène à la demeure éternelle.
En secret la nuit
Je t'ai choisi
Entre toutes les étoiles.
Et je suis éveillée — fleur attentive
Dans le feuillage qui bourdonne.
Nos lèvres veulent faire du miel,
Nos nuits aux reflets scintillants sont écloses.
À l'éclat bienheureux de ton corps
Mon cœur allume la flamme qui embrase les cieux —
Tous mes rêves sont suspendus à ton or,
Je t'ai choisi parmi toutes les étoiles.
Au transfiguré
Hélas, amer et maigre était mon pain,
Décoloré —
L'or, ambre de mes joues.
Je me glisse dans les cavernes
Avec les panthères
Au cœur de la nuit.
J'ai si peur dans la douleur du crépuscule...
Les étoiles viennent aussi
Se coucher sur ma main pour dormir.
Tu es surpris de leur éclat —
Mais la détresse de ma solitude
Te demeure étrangère.
Dans les rues les animaux sauvages
Me prennent en pitié.
Leurs hurlements s'achèvent en chants amoureux.
Mais toi, libéré des choses de la terre, tu marches
Souriant, transfiguré, autour du Sinaï —
Indifférent, lointain, sans un regard pour mon monde.
Adieu
Toujours, toujours j'ai voulu
Te dire tant de mots d'amour.
Et maintenant tu cherches sans trêve
Des merveilles perdues.
Mais quand joueront mes boîtes à musique,
Nous célébrerons nos noces.
Ah, tes yeux si doux
Sont mes fleurs préférées.
Et ton cœur est pour moi le Royaume des cieux...
Laisse-moi regarder à l'intérieur.
Tu es tout entier menthe étincelante
Et si tendrement songeur.
Toujours, toujours j'ai voulu
Te dire tant de mots d'amour,
Pourquoi ne l'ai-je pas fait ?
Else LASKER-SCHÜLER – Une Vie, une Œuvre : 1869-1945 (France Culture, 1994)
Émission « Une Vie, une Œuvre », par Blandine Masson, diffusée le 24 mars 1994 sur France Culture. Invités : Helma Sanders-Brahms, Jean-Yves Masson, Zilke Haas, Helen Adkins, Lionel Richard, Michel Rachline, Jorg Afnauger, Judith Koukert et Hanna Schygulla.