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Rwanda, assassins sans frontières" est une enquête journalistique de grande envergure qui, en dévoilant de l'intérieur la nature du régime du président Paul Kagame à la tête du pays depuis avril 2000 (de facto depuis 1994), remet en cause la version officielle prévalant sur la scène internationale depuis trente ans.
« le régime issu des fosses communes s'est servi des remords de la communauté internationale, coupable de non-assistance à personnes en danger, pour mieux consolider un pouvoir qui n'est pas celui d'une ethnie -« les Tutsi »- mais d'un homme et de ses affidés. »
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Rwanda, assassins sans frontières. Enquête sur le régime Kagame" (2023) de la journaliste d'investigation anglaise
Michela Wrong ne se veut pas un livre sur le génocide mais une enquête sur l'évolution de la nature du Front patriotique rwandais (FPR) et sur les dessous du régime instauré par Paul Kagame qui, depuis qu'il est reconnu dans le monde entier comme étant celui qui a mis fin au génocide, jouit d'un statut de presque saint en Occident.
Spécialiste de l'Afrique employée par Reuters, la BBC ou encore le Financial Times,
Michela Wrong (1961) a livré pendant vingt ans des analyses pointues sur le continent, couvrant entre autres les derniers jours de Mobutu (1930-1997) et le génocide des Tutsi au Rwanda. Sympathisante du FPR et de ses nobles idéaux de lutte, elle a par la suite commencé à soupçonner que sa vision des faits avait peut-être été biaisée par le récit officiel communément admis lorsque des preuves accablantes mettant à jour des atrocités commises par le FPR ont commencé à circuler après la fin du génocide.
« Plus l'effort fourni pour se forger une conviction a été important, plus on renâcle à ajuster son point de vue. Après le génocide, l'énergie financière, émotionnelle et intellectuelle investie au Rwanda par une communauté internationale honteuse et confuse était énorme, pour un si petit pays. Pas étonnant qu'autant de gens aient des réticences à revoir leur copie. »
C'est ainsi que des années plus tard, malgré les nombreuses et importantes difficultés auxquelles elle a été confrontée pour mener à bien ses recherches (sources capitales reconnaissant avoir menti par le passé, méfiance de la diaspora rwandaise, menaces et craintes des représailles) est née "
Rwanda, assassins sans frontières", une enquête édifiante ayant nécessité quatre années de recherches intenses pendant lesquelles la journaliste a notamment mené de nombreux entretiens avec d'anciens proches du président rwandais contraints à l'exil.
Sur plus de cinq cents pages, elle s'attache à déconstruire le mythe selon lequel le Rwanda est devenu après le génocide un pays en paix, prospère et stable. Avec pour fil rouge la vie et l'assassinat de Patrick Karageya, l'ex-chef du renseignement extérieur du Rwanda et l'homme le plus puissant des renseignements d'Afrique centrale avant qu'il ne décide de se retourner contre le FPR et Kagame, elle démontre comment « la liberté et la vie sont menacées aujourd'hui au Rwanda », affirmant que ce pays est devenu sous la présidence de Paul Kagamé (1957) « rien de moins qu'une dictature ».
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Rwanda, assassins sans frontières" est une enquête mastodonte, d'une grande précision et densité mais qui se lit sans aucune difficulté et qui m'aura permis d'appréhender un peu mieux certains enjeux à l'oeuvre dans la région des Grands-Lacs, véritable poudrière depuis des décennies. En effet, pour mener à bien une telle enquête et analyser de façon globale les tenants et aboutissants de certains événements majeurs, il fut nécessaire de déborder un peu des frontières nationales du Rwanda pour prendre en compte ce qui se déroulait et/ou se déroule encore à la fois en Ouganda et dans l'Est de la République démocratique du Congo (RDC).
Michela Wrong décrit ainsi avec beaucoup de précision la lutte armée révolutionnaire dans l'Ouganda voisin menée à bien dans les années 1980 par celui qui deviendra en 1986 le (toujours actuel) président de l'Ouganda, Yoweri Museveni (1944). Pourquoi? Tout simplement parce que c'est au coeur de la diaspora tutsi en Ouganda qu'est né le FPR. Suite aux premières violences anti-Tutsi habilement orchestrées au Rwanda en 1959 par les colons belges qui voyaient d'un très mauvais oeil les prémisses d'une rébellion à leur encontre, les premières vagues de migration tutsi vers l'Ouganda voisin ont débuté. Dans les années 1980, Museveni et son armée de libération populaire ont ainsi compté dans leurs rangs de très nombreux tutsi d'origine rwandaise dont la détermination sans failles a largement contribué à faire tomber Milton Obote (1925-2005). C'est de cette réussite que le tout jeune mouvement rebelle FPR va s'inspirer pour tenter de rentrer enfin au Rwanda en chassant du pouvoir Juvénal Habyarimana (1937-1994), président hutu fermement soutenu par la France. Malheureusement ce qui a fonctionné en Ouganda ne fonctionna pas au Rwanda…
Le livre évoque la polarisation historique entre Hutu et Tutsi dont le génocide fut le paroxysme en 1994 et revient, sans donner de réponse, sur l'un des secrets qui hante les fondations de l'histoire moderne du Rwanda : qui a vraiment abattu l'avion transportant le président rwandais et son homologue burundais le 6 avril 1994, déclenchant le génocide qui aura causé la mort de près d'un million de personnes en tout juste trois mois?
En navigant entre les périodes pré- et post-génocide,
Michela Wrong démontre à quel point le FPR a trahi ses objectifs et la noblesse de ses idéaux initiaux après s'être emparé du pouvoir à la fin du génocide en juillet 1994. Elle affirme ainsi que les violations des droits humains sont légion, tout comme les allégations d'exécutions extra-judiciaires, les disparitions et les assassinats politiques et que face à cela, les donateurs étrangers ont continué à croire dur comme fer au miracle économique et démocratique et donc à fermer les yeux sur tout ce qui remettrait en cause leur vision d'une réalité idéalisée. Enfin, elle évoque la thèse du double génocide (massacres de Hutus par les forces du FPR à la fois pendant leur progression vers la capitale mais encore bien après la fin du génocide), aborde les questions de la déstabilisation du Congo voisin par des milices financées par Kigali, du pillage de ses ressources naturelles (une constante depuis trente ans) et du soutien du régime de Kigali au mouvement rebelle M23.
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Rwanda, assassins sans frontières" est un essai absolument édifiant que je ne peux que vous conseiller de lire si la thématique vous intéresse.