Parce qu'ils n'ont pas réussi à faire un enfant, le couple que Pietro formait avec Sara s'est lentement délité. le jour où elle le quitte, il rentre dans leur appartement déserté et trouve sur la table un mot l'informant du décès de Mario. Sara ne connaissait pas Mario devenu au fil du temps le secret, le tabou, la douleur qui relient Pietro à sa mère Giovanna. Mario, c'était le père de Giovanna, parti pour le front russe alors qu'elle n'était encore qu'un nourrisson et revenu marqué à jamais par les horreurs de la guerre. Mario, c'était le grand-père de Pietro, cet homme grand et taiseux, squelette au regard vide qui venait parfois l'attendre à la grille de l'école. Mario parlait peu mais dans sa tête se bousculaient des cauchemars russes qui pouvaient exploser en crises de violence et l'ont conduit à finir sa vie dans une institution. Seul et un peu déboussolé, Pietro retourne dans l'immeuble où il a passé ses premières années. Dans l'appartement où il vivait avec ses parents, loge désormais Olmo qui lui aussi a connu le front russe. Olmo lui ouvre sa porte, Olmo lui parle de la guerre, Olmo l'encourage à partir pour Rossoch. C'est donc pour fuir sa solitude, pour s'éloigner de Sara, enceinte d'un autre homme, pour s'imprégner de l'endroit où Mario a laissé son âme, que Pietro rejoint les rives du Don dans les lointaines steppes russes.
Si l'écriture est belle, finement ciselée, originale, métaphorique, parfaite pour décrire les petits détails qui font la vie, les tourments intérieurs des personnages, l'ambiance un brin nostalgique de l'histoire, on a tout de même du mal à savoir où l'auteur veut emmener son lecteur. On se perd dans les pas d'un Mario spectateur de sa vie, ballotté par les évènements, recherchant le passé de son grand-père à travers celui d'Olmo. Demeure une histoire familiale tourmentée par la guerre, où la douleur se transmet de génération en génération, où la parole est étranglée par le chagrin.
C'est étrangement beau mais on reste sur sa faim...
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Cette fois, c’est un grand-père, Mario, qui est la figure centrale bien que fantomatique d’un roman habilement construit, porté par une écriture racée d’une limpidité et d’une justesse rares.
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Seul le gamin de l’étage du dessus était heureux que le chien n’eût pas de nom, du balcon il lui en donnait chaque jour un nouveau, mais visiblement il suffisait au chien qu’on l’appelle pour qu’il remue la queue, et il plissait les yeux lorsqu’on le caressait.
Dans tous les cas, il avait parfaitement compris quelle était sa tâche, la première chose qu’il faisait le matin c’était d’aller chercher dans la maison ces corps invisibles, ces présences muettes qui transformaient notre appartement en entrepôt d’obsessions. Il les saisissait l’une après l’autre par une extrémité, entre ses crocs, il les traînait délicatement et les faisait glisser sur le sol, puis il les rassemblait toutes dans la pièce au fond du couloir, laissée vide dans l’éventualité où un enfant naîtrait, qui entre-temps était devenue la pièce du fer à repasser et des objets qu’on ne devait pas voir. Après quoi il retournait faire le chien, sortir et se promener au bout d’une laisse, poursuivre les oiseaux, se limer les griffes sur l’asphalte et mordiller des chaussons, et il dormait sur notre lit en nous haletant au visage un amour infini.
C'était notre Nous qui, chaque mois, tombait par terre et se cassait en deux, et à force de le recoller il n'y a plus eu moyen de le réparer. Les premiers mois, c'était normal, faire chaque fois le tour complet, dévaler les cycles menstruels sans se poser de questions, ne même pas y penser, juste faire l'amour, car dès qu'on était assez proches on ne pouvait rien faire d'autre que de glisser les mains sous les vêtements de l'autre.
Faire l'amour était donc devenu une manière de gonfler notre Nous, de le faire passer de deux à trois, puis à quatre, tel un ballon en forme de lapin dans lequel on souffle fort : d'abord il ne se passe rien et soudain une oreille apparaît.
Alors son regard se concentrait sur un seul point, la précision immobile d'une intervention en salle d'opération, puis elle se redressait, elle observait notre maison dans notre maison et se tournait pour me regarder, moi. Et, dans cette scrupuleuse construction d'une poupée russe imparfaite, dans ce monde de papier, de scotch et de colle en stick, il y avait une détermination et une tendresse vouées à l'échec, la bibliothèque trop haute qui tombait de temps en temps, le matin nous la trouvions écrasée au sol.
Lorsque nous nous disputions, nous fermions les fenêtres afin qu'on ne nous entende pas et nous soufflions dans l'appartement toute la colère qui était en nous.
Andrea Bajani: tirando le fila radiodrammatiche - AutoreVole