Le Gang de la clé à molette, ou comment instaurer le sabotage comme mode de contestation.
Le livre est centré sur les exploits de quatre personnages : Doc Sarvis, un médecin pyromane et sa jeune partenaire Bonnie Abbzug, George Hayduke un jeune vétéran du Vietnam, et Seldom Seen Smith, un Mormon qui conduit des groupes pour du rafting dans les rapides du Colorado. Ils se rencontrent lors d'un de ces raids, et chacun reconnaît dans les trois autres le même désir d'action contre ceux qui saccagent la nature.
« L'idéal était plus lointain : le rêve des ingénieurs est une sphère parfaite. Une planète Terre aux irrégularités toutes effacées, des autoroutes simplement peintes sur une surface lisse comme du verre. »
Dès le premier chapitre, intitulé « Conséquences », vous savez comment le roman va se terminer, dans un feu d'artifice d'explosions et de destruction. L'intérêt du roman est de savoir comment et pourquoi les 4 membres du gang en sont arrivés là, et ce qu'ils sont prêts à risquer pour arriver à leurs fins.
Des quatre membres du gang, ma préférence va incontestablement à George Hayduke. Très jeune vétéran du Vietnam, il revient dans un pays qui a oublié ses soldats. Il est l'incarnation des aspirations, des désirs et des regrets du peuple, qui peine à se faire entendre. Jusqu'à ce qu'il se soulève et passe à l'action violente car, « il faut bien que quelqu'un le fasse ».
Quel beau roman que celui-là !!!
D'un humour féroce, l'histoire presque tragique d'un combat contre la modernisation effrénée, contre l'expansion inévitable des autoroutes, centres commerciaux, parkings. Très imaginatif, écrit dans un style simple et percutant, c'est un roman impeccablement construit, comme un scénario de cinéma. J'imagine ce que pourrait donner un tel roman adapté au cinéma : histoire de vengeance, violence gratuite, personnages hauts en couleurs, etc… Tous les ingrédients nécessaires sont là, pour faire un bon film.
Le propos intelligent est magistralement équilibré avec une prose très simple, mais pleine de poésie.
« En bas les monstres métalliques hurlaient, bondissant sur le caoutchouc de leurs énormes roues dans la trouée qu'ils ouvraient, déchargeant leur cargaison et emplissant la montagne d'un bruit de tonnerre. Les bêtes sauvages de Bucyrus, les brutes jaunes de Caterpillar s'ébrouaient comme des dragons et soufflaient de la fumée noire dans la poussière dorée. »
Dans ce livre, Abbey peut en même temps être très dur, mais aussi profondément critique envers le monde qui l'entoure, alors qu'il nous offre aussi des moments de totale comédie. C'est une vision de la vie directement inspirée de Kerouac, et des beatnicks qui ont traversé les grandes plaines de l'Ouest avant lui.
« Regarde ce trafic, dit-il, regarde les filer sur leurs roues caoutchoutées, dans leurs voitures de deux tonnes, polluant l'air que nous respirons, violant la terre, pour promener leurs gros et indolents culs américains. Six pour cent de la population du globe engloutissant quarante pour cent du pétrole mondial. Cochons ! mugit-il en agitant son énorme poing en direction des automobilistes. »….
Et il n'est pas indulgent envers son pays :
« Véritable patriote autochtone, Smith ne faisait serment d'allégeance qu'à la terre qu'il connaissait, pas à cette enflure farcie de propriétés privées et d'industries, terre d'exil d'Européens déplacés et d'Africains inopportunément transplantés, connue collectivement comme les États-Unis. Son univers s'arrêtait aux frontières du plateau du Colorado. »
L'auteur ne déclarait-il pas : « Je suis devenu un homme de l'Ouest à l'âge de 17 ans, pendant l'été 1944, en faisant de l'auto-stop à travers les États-Unis. J'ai eu le coup de foudre, une passion qui ne m'a jamais quittée »
Cette passion ne se dément pas et transparaît dans chaque mot de son livre. Une véritable déclaration d'amour à l'Ouest sauvage.
Cette capacité inouïe de conteur, alliée à des thèmes très actuels, et un quatuor de personnages éminemment sympathiques, malgré tous leurs défauts, font de ce roman une oeuvre particulièrement plaisante à lire, que l'on a du mal à lâcher, avant d'avoir lu le mot FIN.
Encore un petit mot : La préface signée de Robert Redford, autre grand amoureux du grand Ouest américain, est un petit bijou d'admiration, d'amitié et de respect pour l'homme qu'était
Edward Abbey.
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