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Illusions et désenchantement : L'exil intérieur des Russes après la chute de l'Union Soviétique.

«Quand Gorbatchev est arrivé au pouvoir, nous étions tous fous de joie. On vivait dans des rêves, des illusions. On vidait nos coeurs dans nos cuisines. On voulait une nouvelle Russie… Au bout de vingt ans, on a enfin compris : d'où aurait-elle pu sortir cette Russie ? Elle n'existait pas, et elle n'existe toujours pas. Quelqu'un a fait remarquer très justement qu'en cinq ans, tout peut changer en Russie et en deux cent ans, rien du tout.»

Svetlana Alexievitch est une oreille et une plume. Après nous avoir fait entendre les témoignages des soldats soviétiques engagés dans la guerre en Afghanistan dans «Cercueils de Zinc» et ceux des habitants de la région de Tchernobyl dans «La supplication», elle nous livre ici les voix du désenchantement des russes qui ont vu leur monde brusquement disparaître avec l'effondrement de l'URSS.

Des hommes et des femmes éduqués pour placer le sacrifice et l'héroïsme militaire au dessus de tout, nourris de la grandeur de leur patrie construite sur la victoire sur le fascisme et la conquête spatiale, victimes des déportations et des tortures, lecteurs infatigables de classiques russes et de samizdat échafaudant chaque nuit des rêves d'idéal et de liberté dans les cuisines, descendus dans les rues en 1991 en croyant à la liberté, sont devenus des étrangers dans leur propre pays, sidérés par la dissolution de leur culture, l'effacement de leur mémoire et l'abîme qui s'est brutalement ouvert entre les générations, sidérés par la spéculation, la misère soudaine côtoyant les appétits de consommation les plus démesurés, et par le pouvoir de corrosion de l'argent.

«Alors la voilà, cette liberté ! Nous attendions-nous à ce qu'elle soit comme ça ? Nous étions prêts à mourir pour nos idéaux. À nous battre pour eux. Mais c'est une vie "à la Tchékhov" qui a commencé. Sans histoire. Toutes les valeurs se sont effondrées, sauf celles de la vie. de la vie en général. Les nouveaux rêves, c'est de se construire une maison, de s'acheter une voiture, de planter des groseilliers… Il s'est avéré que la liberté était la réhabilitation de cet esprit petit-bourgeois que l'on avait pris l'habitude d'entendre dénigrer en Russie. La liberté de Sa Majesté la Consommation. L'immensité des ténèbres. Des ténèbres remplies d'une foule de désirs, d'instincts – d'une vie humaine secrète dont nous n'avions une idée qu'approximative. »

«Avant on allait en prison pour «L'Archipel du Goulag». On le lisait en secret, on le tapait à la machine, on le recopiait à la main. Je croyais, j'étais sûre que si des milliers de gens le lisaient, tout serait différent. Que viendrait le temps du repentir et des larmes. Et que s'est-il passé ? On a publié tout ce qui s'écrivait en secret, on a dit à voix haute tout ce qu'on pensait tout bas. Et alors ? Ces livres se couvrent de poussière chez les bouquinistes. Les gens n'y font plus attention…»

Effondrement intérieur des Russes qui résonne fortement avec les romans de Vladimir Makanine La brèche» ou «Underground ou un héros de notre temps»), tableau complexe et nuancé de la société russe contemporaine qu'on retrouvera dans «La maison haute» de Anne Nivat, «La fin de l'homme rouge», polyphonie des âmes rouges perdues est une lecture fondamentale et bouleversante. Les souffrances et les idéaux de l'homme soviétique ont été engloutis sans mémoire et, de la décomposition du grand corps soviétique, il n'est resté que le dénuement des anciens, les rêves vides d'idéal des nouvelles générations, la violence folle du grand-banditisme et du capitalisme nu, la résurgence des massacres ethniques, et la douleur d'une illusion mort-née.

Retrouvez cette note de lecture, et toutes celles de Charybde 2 et 7 sur leur blog ici :
https://charybde2.wordpress.com/2015/05/08/note-de-lecture-la-fin-de-lhomme-rouge-svetlana-alexievitch/
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Du lourd, du lourd !
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Sur la couverture, l'homme rouge est une femme brandissant d'une main, le drapeau rouge avec la faucille et le marteau, ede l'autre un bouquet - rouge - bien sûr!

Le Désenchantement est double: désenchantement de la grande utopie communiste avec pour corollaire le goulag et le militarisme, et désenchantement de ceux qui ont cru au libéralisme, qui ont manifesté en 1991 au nom de la Liberté et ont perdu dans les privatisations les maigres économies, et sont restés sur le bord de la route tandis que d'autres s'enrichissait de manière insolente.

L'Homo sovieticus, était programmé pour la construction du socialisme dans la grande Union soviétique allant de la Baltique à Vladivostok cimentée par un patriotisme indéfectible..., vivant à la fois dans la croyance que l'homme est bon, et que tout travailleur est respectable tandis que la crainte des dénonciations étouffe les conversations dans les cuisines. Après 1991, il devient inadapté au capitalisme sauvage, aux privatisations, à l'enrichissement effréné et à la concurrence. La liberté, est-ce plus de saucisson? des jeans dans les magasins?


A travers une vingtaine de témoignages, de destins individuels et singuliers, on découvre une galerie personnages, du paysan qui se suicide en s'arrosant d'acétone, du héros de la guerre, de la fillette née au goulag, au maréchal de l'armée, du jeune juif donné pour mort dans la forêt près de Minsk qui rejoint les partisans et y est fort mal accueilli, du couple de Roméo et Juliette - arméniens et azerbaïdjanais - des Tadjiks, autrefois soviétiques, maintenant esclaves caucasiens soumis aux pogroms.... la mort d'une milicienne en Tchétchénie....

Il est beaucoup question d'amour, de solidarités familiales, de religion, de suicide et d'alcoolisme aussi. Une réalité complexe.

J'ai beaucoup aimé ce livre, j'en sors émue, mais perplexe : ne sachant que penser des deux réalités, la soviétique d'avant Eltsine, la Russie capitaliste de Poutine.
Lien : http://miriampanigel.blog.le..
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Lorsque les dictatures tombent dans les mois qui suivent se pose inévitablement le problème des responsabilités, parfois des poursuites judiciaires sont engagées, on recherche les bourreaux, on fait parler les victimes. Au Chili, en Argentine, en Afrique du Sud, le traitement de l'après fut différent mais partout il y eu une interrogation, une réflexion collective.
En Russie, après la chute du communisme et l'éclatement de l'URSS rien de tel.
Une journaliste Svetlana Alexievitch s'est penchée sur le ressenti des Russes (au sens large en incluant les pays de la CEI). Pour comprendre, pour en savoir plus elle a enquêté, elle a recueilli les mots, les témoignages, les questions de ses compatriotes. Elle a écouté leur colère, leurs regrets, leur honte, leur désarroi, leur angoisse.
Il a fallu les faire parler, les accoucher de leurs souvenirs. Ces récits sont ahurissants, drôles, émouvants, incroyables, horribles et toujours d'une grande simplicité.
Il lui a fallu faire le montage comme avec les séquences d'un film en cours de tournage, il a fallu choisir, mettre en perspective, balayer tous les genres, et surtout surtout ne pas trahir.
Je me souviens de mon impression très forte à la lecture de deux livres, celui de Colin Thubron sur la Sibérie et celui de Terkel Studs avec Hard Time extraordinaire livre sur la crise de 29. Dans les deux un travail d'interview et d'écoute avait eu lieu.
On est ici dans la même veine et c'est un livre passionnant et remarquable que signe Svetlana Alexeivitch. Elle devrait prochainement recevoir le Prix de la Paix des libraires allemands.

Les récits balayent la période stalinienne, la guerre, l'après guerre, la Perestroïka et bien sûr aujourd'hui. Elle a interrogé des instituteurs, une musicienne, une architecte, un maréchal, un milicien, des hommes qui ont combattus en afghanistan.

Le livre se compose de deux grandes séries de témoignages, chaque personne qui témoigne va au bout de sa pensée, l'auteur lui laisse le temps de trouver ses mots, de laisser remonter les souvenirs.
Ces gens lui ont accordé leur confiance, elle ne les a pas trahis, ils sont tous là : jeunes et vieux, bourreaux et victimes, Ukrainiens ou Russes, Tchétchènes ou Arméniens, pauvres ou nouveaux riches.
L'auteur appelle cela un « romans de voix ». Romans oui car les événements de ces vies sont parfois difficiles à croire, on entend aussi bien des enfants de Koulaks, des enfants de déportés à la Kolyma, des communistes purs, durs et fiers de l'être, des hommes qui vivent encore les affres de la seconde guerre. Des victimes de Tchernobyl, des nouveaux riches ….

Tout est passionnant mais il y a des moments très forts comme cette femme racontant comment son père revenu du Goulag garde toute sa foi dans le communisme, il était de ceux « qui avaient totalement adhéré à l'idéal, qui l'avaient si bien intégré qu'il était impossible de le leur arracher ».
Ces femmes découvrant qui les a dénoncé, qui a envoyé leur père, leur mère, leur soeur au Goulag. Une femme se découvre dénoncée par celle à qui elle a confié sa fille pendant toutes ses années de camps, et cette femme fut une véritable mère pour l'enfant…..Comment sonder l'âme
humaine ?

L'angoisse touche ses hommes et ses femmes devant une liberté toute neuve dont ils ne savent pas vraiment quoi faire. Ils en arrivent à souhaiter un homme fort « On ne peut pas bâtir une grande Russie sans un grand Staline ! » Des regrets pour ce temps où un chef était là pour dicter la voie à suivre.

C'est la vie quotidienne du peuple russe qui se dessine à travers tous ces récits, les plus anciens qui ont adulé Staline et qui lui voue « un culte de Staline dans un pays où Staline a exterminé au moins autant de gens que Hitler !! »
La guerre et les camps sont encore très présents :
« Ma génération a grandi avec des pères qui revenaient soit des camps, soit de la guerre. La seule chose dont ils pouvaient nous parler, c'était de la violence. »
Pourtant aucun appel à la vengeance car « Pour juger Staline, il faut juger les gens de sa propre famille, des gens que l'on connaît. Ceux qui nous sont les plus proches. »

L'époque était effrayante
« Une époque féroce. On bâtissait un pays fort. Et on l'a bâti. Et on a vaincu Hitler ! C'est ce que disait papa… »
On comprend mieux en lisant ces témoignages que ce peuple ai résisté au delà de l'humain à Stalingrad.

Pour quelques uns seulement il s'agit d' « aller jusqu'au bout, obtenir un procès de Nuremberg pour le Parti communiste. »

Le mécontentement, le désarroi est prégnant dans les récits mais aussi l'amour inconditionnel pour la Russie malgré tout « Aujourd'hui encore, cela me fait plaisir d'écrire “URSS”. C'était mon pays. », il y a toujours eu de l'espoir « Toute notre vie, on a cru qu'un jour, ça allait s'arranger. »

Les livres qui ont pendant des années représenté une certaine résistance, car il fut un temps où « Les livres remplaçaient la vie… », les livres n'ont plus le même parfum « le pays s'est couvert de banques » mais par contre « Les bibliothèques et les théâtres se sont vidés… Ils étaient remplacés par des bazars et des magasins »


La plus jeune génération regarde la course au profit et tente d'y prendre part sans illusions
« Quand on allume la télé, tout le monde parle la langue des truands : les hommes politiques, les hommes d'affaires, et… le président. Graisser la patte, verser des pots-de-vin, des bakchichs… »
Certes la vie a changé « Je vais à l'église maintenant, et je porte une petite croix » et on peut éprouver une certaine fierté « La peur du KGB avait disparu, et surtout, on avait mis un terme à la folie atomique… Et le monde nous en était reconnaissant. »

Mais des voix discordantes se sont entendre « Je hais les Tchétchènes !» ou encore « La Russie aux Russes » et aussi « Moi, je leur casserais la gueule, à tous ces fumiers de démocrates ! On leur en a pas assez fait voir »
La vie est plus libre mais aussi beaucoup plus précaire qu'autrefois.
La vie est très difficile aujourd'hui, l'état n'est plus protecteur, les retraités ont des pensions de misère, les logements sont vétustes
et la télévision montre les nouveaux riches qui se paient des clubs de football.

Ce livre pourrait être d'une tristesse effroyable
« Nous avons connu les camps, nous avons couvert la terre de nos cadavres pendant la guerre, nous avons ramassé du combustible atomique à mains nues à Tchernobyl. Et maintenant nous nous ­retrouvons sur les décombres du socialisme. Comme après la guerre... »
Et bien non, certes il surprend, parfois on a un mouvement de recul, mais ce qui domine c'est un courage rare, une envie de vivre énorme, on sent vraiment battre le coeur de la Russie, pulser la vie, sans doute « La mystérieuse âme russe... »

Un très grand livre à mettre dans votre bibliothèque si vous êtes amoureux de la Russie.


Lien : http://asautsetagambades.hau..
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Une Biélorusse sonde les traumas de l'Homo sovieticus.
Lien : http://www.books.fr/en-libra..
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Des histoires de femmes et d'hommes, des souvenirs, des passions aveuglées ou non, mais jamais indifférentes à ce monde, « même en temps de paix, tout était comme à la guerre », aujourd'hui englouti. « Brusquement, tout a changé autour de nous : les enseignes, les objets, l'argent, le drapeau… Et l'homme lui-même. Il est devenu plus coloré, plus isolé, on a fait exploser un monolithe, et la vie s'est éparpillée en petits îlots, en atomes, en cellules ». Des resurgissements du nationalisme le plus ordinaire ou le plus abject, la déification de Lénine, de Staline ou des Tsars. Les haines tenaces ou nouvelles. le capitalisme rêvé comme marchandises et liberté et ses figures plus sauvages. Les espérances ouvertes ou rabougries et les refus tournés vers des passés recomposés. Sans oublier la grisaille, le Goulag, les famines, les répressions et les quotidiens démolis, rappés, détruits, hier et aujourd'hui…

« L'histoire ne s'intéresse qu'aux faits, les émotions, elles, restent toujours en marge. Ce n'est pas l'usage de les laisser entrer dans l'histoire. Moi, je regarde le monde avec les yeux d'une littéraire et non d'une historienne. »

Une polyphonie qui fait resurgir ces femmes et ces hommes soviétiques, russes, tatars, tchétchènes, azerbaïdjanais-e-s, arménien-e-s, etc. « Nous venons tous de là-bas, de ce pays qui a connu le Goulag et une guerre effroyable. La collectivisation, la dékoulakisation, des déportations de peuples entiers… ». Les mémoires des humilié-e-s, offensé-e-s de ces êtres brisé-e-s, des stalinien-ne-s aussi et leurs réécritures aveugles, des talmudistes du socialisme ou du communisme. Des pensées nostalgiques ou résolument décidées à tourner la page du socialisme réellement existant. le souvenir des déportations, des exils, des violences, des viols, des dénonciations, des enthousiasmes. Des conversations, « à l'intérieur de la prison », « à l'intérieur d'une cellule ». le tournant des années de la perestroïka, le capitalisme réellement existant, les nouvelles dictatures. Des histoires d'amour, de séparation, d'enfance de vieillesse, des histoires de femmes et d'hommes.

Des histoires de jeans, de vodka, de racismes, d'homophobie, de normalité, de sexisme, « des bruits de la rue et des conversations de cuisine », de tanks sous les fenêtres, de bourreaux et de victimes, de cris et de murmures, de « l'aumône des souvenirs et du désir éperdu de trouver un sens », de Prague, de la Hongrie, de l'Afghanistan, de croyant-e-s, « de la cruauté des flammes et du salut qu'on trouve dans les nuages », d'un temps « où tous ceux qui tuent croient servir dieu », de Soljénitsyne. Des histoires « au milieu de nulle part », de solitude et de bonheur, « de l'horreur d'avoir eu cette envie », des appartements moscovites, du « silence de la poussière »…

D'autres pourraient probablement raconter, se raconter, autrement, dans d'autres contrées, dans d'autres réalités confrontées aux rêves et aux cauchemars. « Je vais vous cueillir un bouquet tiens… »

Un livre pour appréhender ce que furent des vies, ce que furent ou sont les souffrances, les reconstructions mentales pour sur-vivre, les lâchetés, les ignominies, les bravoures ou les résistances. Une littérature comme chroniques du temps, comme dessins de mémoires. « Mais il y a de nouveau des dizaines de milliers de gens qui descendent dans la rue. Qui se tiennent par la main. Ils ont des rubans blancs sur leurs vestes. Un symbole de renaissance . de lumière. Et je suis avec eux ».
Lien : http://entreleslignesentrele..
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