Suivons, si vous le voulez bien, Petrovitch, clochard-céleste, dont le prénom et le nom de famille n'ont plus d'importance à ses yeux, renseignant le niveau d'abandon des « choses d'en-bas » de notre héros.
Variation russe du « Dude » (The Big Lebowski des Frères Cohen), se baladant « les mains dans les poches » dans les couloirs de l'URSS en décrépitude, simplement à la recherche de petits bonheurs, la bouteille comme premier accessit.
Ce démarrage léger, débonnaire, où la sympathie grandit envers cet homme qui a apparement renoncé à son ego, lui jadis écrivain à la recherche d'une publication, à présent gardien d'appartements dans un gigantesque immeuble communautaire, à la veille se sa « privatisation ».
L'action se déroule, sans grandes précisions, entre
Gorbatchev et Eltsine, laissant à d'autres le soin de décrire cette fin de l'Homme Rouge; Petrovich n'ayant d'autre couleur que celle, indistincte, de l'Underground.
Se vidant de son aura contestataire, de son utilité historique, hésitante sur son héritage, l'Underground devient un navire à la dérive, interrogeant la morale jusqu'à la possibilité du meurtre.
...
Et ce livre qui bascule, lentement, vers le tragique sans les larmes, introduisant le personnage du petit frère, Venia, version brillante de notre Petrovitch, archétype de ce héros d'un autre temps, ne courbant l'échine devant l'oppresseur jusqu'à en perdre la raison, enfermé dans un asile depuis Brejnev.
Petrovitch finira par le rejoindre, acculé à la folie de son temps qui se désagrège, nous offrant une longue partie à l'écriture impressionnante, l'humour vaincue par les neuroleptiques.
...
Makanine, à la manière de Bolaño dans « Les détectives sauvages », s'interroge sur cette tendance universelle de la création à s'enfoncer toujours plus profondément, quitte à se perdre, toujours plus excitée par ces oeuvres qui n'existent pas encore, éternel inassouvissement.
L'ombre des grands auteurs de la littérature russe éclaire un autre chemin, celui que l'auteur a probablement décidé de suivre avec ce livre, à la croisée des chemins, d'une grande modernité classique.
...
Surprenant mais familier, d'aventure sans apprentissage, ce roman se classe tout seul dans le « légèrement inoubliable », laissant le loisir à chacun d'y relever, ou pas, ses nombreuses références, son humour pas encore désespéré, sa pesante légèreté.