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Christine Zeytounian-Beloüs (Traducteur)
EAN : 9782070753505
575 pages
Gallimard (02/10/2002)
4.5/5   14 notes
Résumé :
Pétrovitch est un écrivain «underground» dont aucun livre n'a été édité sous le régime soviétique et qui -comble de l'ironie- n'a plus écrit une ligne depuis l'effondrement dudit régime. Il survit en tant que gardien dans une immense cité d'anciens appartements communaux, effectue ses rondes dans les interminables couloirs de plusieurs immeubles labyrinthiques, s'installe parfois même dans les appartements après en avoir délogé des intrus. Désabusé et dépourvu d'amb... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Suivons, si vous le voulez bien, Petrovitch, clochard-céleste, dont le prénom et le nom de famille n'ont plus d'importance à ses yeux, renseignant le niveau d'abandon des « choses d'en-bas » de notre héros.
Variation russe du « Dude » (The Big Lebowski des Frères Cohen), se baladant « les mains dans les poches » dans les couloirs de l'URSS en décrépitude, simplement à la recherche de petits bonheurs, la bouteille comme premier accessit.
Ce démarrage léger, débonnaire, où la sympathie grandit envers cet homme qui a apparement renoncé à son ego, lui jadis écrivain à la recherche d'une publication, à présent gardien d'appartements dans un gigantesque immeuble communautaire, à la veille se sa « privatisation ».
L'action se déroule, sans grandes précisions, entre Gorbatchev et Eltsine, laissant à d'autres le soin de décrire cette fin de l'Homme Rouge; Petrovich n'ayant d'autre couleur que celle, indistincte, de l'Underground.
Se vidant de son aura contestataire, de son utilité historique, hésitante sur son héritage, l'Underground devient un navire à la dérive, interrogeant la morale jusqu'à la possibilité du meurtre.
...
Et ce livre qui bascule, lentement, vers le tragique sans les larmes, introduisant le personnage du petit frère, Venia, version brillante de notre Petrovitch, archétype de ce héros d'un autre temps, ne courbant l'échine devant l'oppresseur jusqu'à en perdre la raison, enfermé dans un asile depuis Brejnev.
Petrovitch finira par le rejoindre, acculé à la folie de son temps qui se désagrège, nous offrant une longue partie à l'écriture impressionnante, l'humour vaincue par les neuroleptiques.
...
Makanine, à la manière de Bolaño dans « Les détectives sauvages », s'interroge sur cette tendance universelle de la création à s'enfoncer toujours plus profondément, quitte à se perdre, toujours plus excitée par ces oeuvres qui n'existent pas encore, éternel inassouvissement.
L'ombre des grands auteurs de la littérature russe éclaire un autre chemin, celui que l'auteur a probablement décidé de suivre avec ce livre, à la croisée des chemins, d'une grande modernité classique.
...
Surprenant mais familier, d'aventure sans apprentissage, ce roman se classe tout seul dans le « légèrement inoubliable », laissant le loisir à chacun d'y relever, ou pas, ses nombreuses références, son humour pas encore désespéré, sa pesante légèreté.
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Underground ou Un héros de notre temps de Vladimir Makanine
Petrovitch est gardien dans une cité aux immenses couloirs dans lesquels il fait ses rondes. Et très fréquemment on lui rend visite, ce soir là c'est Kourneev qui passe, il vient de marier sa fille, il s'installe avec lui, boit un café et l'interroge sur Véra, sa femme, qu'il cherche, elle le trompe depuis toujours, c'est compulsif, Petrovitch sait avec qui elle est, il sait tout mais se tait, son travail c'est de garder les appartements, pas les épouses. Petrovitch est habitué à ces visites, certains viennent parler politique, de Gorbatchev ou de Soljenitsyne, de la Crimée, d'autres de leurs problèmes personnels, certains sont même tellement ivres qu'ils s'endorment sur une chaise. Un soir l'ingénieur Gouriev lui a rendu visite avec une bouteille de vodka, il voulait lui parler de Dieu qu'il venait de découvrir! Son boulot est mal payé, on le prend pour un moins que rien, il lit Heidegger, avant, il écrivait, il a toujours sa machine à écrire, mais il a arrêté, c'est juste un souvenir. Il avait eu de nombreuses aventures amoureuses, surtout Veronika, si souvent ivre mais qui aimait la poésie, Platonov et Pouchkine, elle écrivait des vers sublimes puis, responsable d'un service culturel, on lui avait alloué un minuscule appartement, elle était partie, il ne l'aimait plus mais il voulait l'aider. Elle l'avait mis en contact avec Dvorikov, un député qui voulait publier ses écrits, il avait refusé, trop tard, il avait insisté, « l'underground doit remonter à la surface », mais Petrovitch n'avait rien gardé de ses oeuvres. S'il l'avait fait, ça aurait été se tenir debout après avoir si longtemps fait la queue, piétiné sur place. Petrovitch a un frère plus jeune, Vénia, peintre avant gardiste, dénoncé aux autorités, interrogé par le KGB et qui depuis passe sa vie comme un légume dans un sinistre hôpital psychiatrique bourré de neuroleptiques et autres médocs. Petrovitch a toujours eu le sentiment qu'il était un brouillon, un essai et que Vénia était l'oeuvre parfaite.

Petrovitch est au centre d'une galerie de portraits qui gravitent autour de lui, pathétiques dans un univers froid et délabré. C'est un peu un héros à la Dostoïevski qui erre dans ce pays qui quitte l'absurde quotidien de l'URSS pour la déliquescence et l'incertitude du lendemain. Un roman d'atmosphère, un moment d'histoire rempli de vodka et de sexe. Époustouflant.
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Pavel Andreevitch, que tous appellent Pétrovitch, est un gardien sans statut dans une immense cité d'appartements communautaires de Moscou. Il était une figure de l'art non-officiel sous Brejnev ; jamais publié à l'époque soviétique, il est devenu un ancien écrivain, a renoncé à écrire maintenant qu'il pourrait être publié, «fossilisé» dans l'underground. Pétrovitch est un homme souterrain, vivant comme un sous-marin sous la surface, revendiquant son statut under, statut dévalorisé par beaucoup mais qui lui permet de ne dépendre de personne.

Les habitants des appartements le long des couloirs de la cité se confient à lui tout en le méprisant, car ils ne voient en lui qu'un rebut de la société ; mais ils lui parlent de tout, de leur épouse, de leur famille, de leur chef, des prix, des voisins, de Soljenitsyne ou de la Crimée. Il y a Kourneev, qui cherche depuis toujours sa femme Véra dans les couloirs vides, Veronika, poétesse underground, pocharde à la dérive qui devient ensuite une politicienne fluette aux fêlures encore apparentes, rongée par son incapacité à améliorer le sort de ses concitoyens obsédés par l'argent, Lessia Voïnova, ancienne personnalité de l'institut où il a travaillé à ses débuts, déchue avec la chute du régime soviétique, superbe femme transformée en une fascinante montagne de chair blanche, les mafieux caucasiens qui méprisent et intimident les intellectuels et les ingénieurs, et tant d'autres, qui forment une grande fresque de la société russe en cette fin des années 1980.

L'autre couloir que Pétrovitch arpente régulièrement est celui de l'hôpital psychiatrique où son frère Venedikt est interné. Vénia, qui était, étudiant, un dessinateur surdoué, fut dénoncé pour des caricatures sans doute faites par un envieux, une « sale trappe caractéristique de ces années gluantes », puis il fut interné et détruit par les médicaments. Retombé en enfance, Vénia fut privé de ses dessins et de sa liberté ; Pétrovitch s'est privé d'écriture pour rester libre.

Au début des années 1990, la société moscovite change. Les relations humaines se font plus violentes, les relations amoureuses tarifées s'envolent, une nouvelle génération d'hommes d'affaires aux appétits de loups surgit, et les appartements communautaires sont progressivement privatisés.
« Repérant grâce à un flair exacerbé les prétendants potentiels à un logement, ils les pressaient hors de la cité comme de la pâte hors d'un tube dentifrice. »

Agressé par un caucasien, persécuté ensuite par un indic du KGB, Pétrovitch devient meurtrier pour défendre son honneur et sa liberté. Ejecté de l'immeuble, il se retrouve dans un foyer, un taudis à rats, sous les hurlements des bourrasques de l'hiver, oppressé par le souvenir de son crime, dans un récit grandiose qui prend une tournure dostoïevskienne.

Underground est un monument, un roman de la permanence russe où tout se règle autour d'une bouteille de vodka et d'interminables discussions («Nos conversations sont nos pyramides »), le roman d'un héros négatif, dans les ombres géantes de Pouchkine et de Dostoïevski ; il est aussi le roman de la transformation russe, un récit tragi-comique dans cette période d'effondrement du capital intellectuel russe. Il est enfin un hommage aux véritables écrivains underground, un livre pour garder une trace de ces héros intransigeants qui n'ont jamais publié.
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Dans le chapitre concluant son Journal d'un gardien d'hôpital, Oleg Pavlov, à propos des années 90 en Russie déclare « Tout fout le camp, tout périclite - mais le vigile s'est installé partout.
On avait déclaré la liberté comme on déclare une faillite - mais les zones protégées se multipliaient à chaque pas. »
Même statut pour Pétrovitch, personnage central du livre de Makanine, gardien d'une cité d'appartements ex-communautaires à Moscou, membre de l'underground littéraire dans les années Brejnev et de l'underground social dans les années Eltsine. Interdit d'édition dans la période soviétique, cessant d'écrire dans la Russie post-soviétique par conviction radicale du loup refusant la laisse, Petrovitch traine sa misère d'under tout en nous livrant une analyse particulièrement virulente et désabusée sur le passage du monde de la censure soviétique au bonheur présumé de la parole libérée qui a suivi sa dissolution en décembre 1991 sur décision d'Eltsine (et malgré son rejet par le référendum de mars 91 à 80% de la population d'URSS)
On sait que la période des années 90 a donné lieu à une débauche de violence mafieuse, de corruption et de baisse quasi-générale du niveau de vie (jusqu'à la misère totale) particulièrement pour les personnes âgées. le thème de ce roman est moins consensuel puisqu'il laisse planer un parallèle entre les « apparatchiks/laquais du pouvoir/délateurs du KGB » et les « under/mis à l'index/refusant toute concession » des deux périodes brejnev-eltsine – totalement politiquement incorrect s'il en est. Il va même dans la quatrième partie se retrouver interné en HP par le même psychiatre qui avait provoqué l'internement et l'effondrement psychique de son frère dans les années brejnev, HP où on retrouve les (supposées) mêmes méthodes à base de doses massives de neuroleptiques et de tabassages des plus agités que dans les années 70.
Les péripéties (dignes d'un roman d'apprentissage de la cinquantaine grisonnante) sont traitées « à la russe » dans une ambiance de beuveries tragi-comiques et de scènes absurdes au gré des rencontres et aventures de Pétrovitch qui, malgré le caractère en permanence désabusé et pessimiste, doivent au talent de Makanine de se renouveler pendant plus de 500 pages avec brio.
Makanine a vécu la censure sous Brejnev mais a par contre publié et connu le succès à la chute de l'urss ; il connaissait par contre pas mal d'under qui le sont restés et dont plusieurs sont morts dans l'indifférence presque générale. Ce livre voulait leur rendre hommage.
Makanine a obtenu en 1992 le Prix Booker Russe –pour un autre roman- et en 2012 le Prix Européen de Littérature pour l'ensemble de son oeuvre.
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Fresque intéressante de la société soviétique, alors qu'elle est en train de redevenir russe, donc fin des années 80, début des années 90 du siècle dernier. Fresque peinte par Makanine, à travers son narrateur, l'écrivain Petrovitch vivant dans l'underground et errant de galère en galère.
Ce récit ne décrit pas les jeux de pouvoir qui se jouent en haut, mais décrit les malheurs du petit peuple, celui d'en bas, celui qui vit dans l'underground, celui des cités dortoirs de la périphérie de Moscou. Cités dortoirs géantes dans lesquelles Petrovitch squatte, tout en y servant de « Hausmeister », espèce de gardien d'immeuble non officiel, que certains occupant des lieux emploient pour surveiller leur appartement. Petrovitch dresse un portrait des « pauvres gens » qui y vivent, de certaines femmes avec lesquels il a des relations amoureuses. Petrovitch nous parle aussi de son frère Venia, peintre génial, mais trop caustique envers les autorités et qui a été cassé par un fonctionnaire de la police d'état un peu trop zélé.
Makanine nous décrit cette société qui est sur la brèche, en train de basculer. Dans la nouvelle Russie on commence à privatiser les appartements. de « nouveaux russes » apparaissent dans cette société post soviétique. Ceux-ci sont jeunes et sans scrupules. L'amour s'y tarifie. Les anciennes statues sont déboulonnées, les nouveaux leaders ne sont pas encore tout à fait en place ; bref une société en pleine mutation. Mais Petrovitch préfère ne pas vendre son âme au modernisme et rester pauvre écrivain de l'underground.
Récit passionnant pour ceux qui s'intéressent aux hauts et aux bas de cette Russie éternelle.
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Citations et extraits (3) Ajouter une citation
Et tout à coup, dans un élan d'inspiration, je me suis mis à parler de nous autres, les unders, demeurés fidèles à nous mêmes et à notre honnète (j'insistais sur le mot) clandestinité.
- Vivre dans l'underground, rester dans l'underground en cette toute fin de siècle : ça en impose, hein? m'extasiais-je.
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Une bande de laquais, de sacrés enfants de pute, ainsi qualifierais-je la confrérie littéraire, ceux qui avaient trahi notre idéal; comme ils y tenaient, à leurs appartements et à leurs datchas de fonction ! Et tous ces foutriquets d'anciens secrétaires de l'Union, qu'ils soient de gauche ou de droite, qui nageaient dans la verdure (les billets verts, roubles et dollars) et qui ouvraient leurs propres maisons d'édition ! Et Monsieur X, et Madame Y qui se pavanaient aux réceptions d'ambassade : il leur arrivait même de dormir sur place quand ils avaient trop bu; on gardait toujours un divan dans l'antichambre pour les écrivains russes ivres morts, un vieux divan couvert de vomi, une future pièce de musée !
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Mon "moi" (reflété) me regardait en silence. Non, il n'était pas pris en flagrant délit de quoi que ce soit, il n'était pas non plus particulièrement rusé ni cruel. A peine entrouverts, ses yeux laiteux et ensommeillés étaient pleins d'une soif enfantine de vivre et semblaient traduire l'univers des bêtes plus que celui des hommes. Pas la peur, l'éternité. Ces yeux (les yeux de mon "moi" qui avait tué et qui, maintenant, brouillait les pistes comme n'importe qui l'aurait fait) avaient quelque chose d'animal : ces yeux regardent et ne savent rien de la mort qui les attend. De ce point de vue, mon "moi" se suffisait à lui-même : il vivait, et partout où portait son regard, mi-triste mi-enfantin, s'étendait l'immortalité, la mort n'existait pas, elle ne viendrait jamais. Aux immortels, tout est permis.
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— … Surtout vers la nuit tombante. Il gémissait. Et chaque matin ils notaient dans son dossier : « a hurlé à voix basse ». Les hurlements sont aussi une forme de gémissements.
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Video de Vladimir Makanine (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Vladimir Makanine
Vladimir Makanine: Assan, la guerre et la vie .Entretien avec l'écrivain russe Vladimir Makanine, en mars 2013, quelque jours après la remise du Prix européen de littérature à Strasbourg, à propos d'Assan, son dernier livre traduit ( éditions Gallimard), de son regard sur la guerre de Tchétchénie, la corruption, et de la littérature en climats politiques divers.. Entretien réalisé par Dominique Conil et Sophie Dufau pour Mediapart. Traduit par Christine Zeytounian-Beloüs.
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