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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
[Critique parue sur le forum du prix du Roman FNAC le 26/06/2023]

Dans Conquest, on rencontre d'abord Frank Landau. Il se passionne pour le codage informatique et la musique de Bach et il possède de multiples interprétations des Variations Goldberg.
Rachel, sa petite amie, préfère Bowie... Dès le début, il est question d'Eddie dont on ne sait presque rien, mais on comprend qu'il influence fortement Frank. Ils ont fait connaissance sur un forum, LAvventura, dont les membres se préoccupent essentiellement d'une probable invasion extraterrestre en cours ou sur le point d'advenir. Selon eux, un « truc » est peut-être enfoui dans le sol en Écosse ou ailleurs, et des substances toxiques s'en échappent, contaminant tous les organismes vivants. Rachel s'inquiète beaucoup de la fragilité psychologique de Frank et de sa perméabilité aux diverses théories du complot. Elle doute évidemment du bien-fondé des craintes de Frank. Celui-ci décide un jour de rejoindre ses amis du forum à Paris, et Rachel n'aura plus de nouvelles : Frank disparaît complètement. Elle fait alors appel à Robin, une ex-flique devenue détective privée, pour qu'elle enquête et tente de le retrouver. Robin partage avec Frank une passion pour Bach, mais le lecteur découvrira au fil du récit qu'ils ont d'autres points communs et que plusieurs personnages sont liés par leur passé respectif…
***
Si le début du roman paraît un peu déroutant, c'est parce que les liens entre les personnages et leur histoire ne sont pas clairs, pensais-je au début. Mais non, c'est plus que ça. L'autrice réussit à diffuser une incertitude et à provoquer des interrogations tout au long de ce récit passionnant. le lecteur est confronté à un texte, La Tour, de John C. Sylvester, présenté comme un court roman de science-fiction de 1958, dans lequel un architecte construit un formidable édifice avec un matériau possédant d'incroyables propriétés thermiques : la masonite, originaire d'une planète vaincue par les Terriens. Ce texte s'avère capital, car Frank est ses amis sont persuadés qu'il raconte ce qui est en train d'arriver ou qu'il annonce l'avenir. Plus loin, on trouvera un essai sur le cinéma écrit par Edmund de Groote (Eddie) et un compte rendu de concert écrit par Jeanne-Marie Vanderlien, son amie, (JeanneDark sur le forum !). Tous deux parlent de cinéma ou de musique, et imbrique dans la narration des souvenirs personnels qui permettent de mieux les connaître. Mais le complotisme n'est jamais loin, JeanneDark appelant même Stephen Hawking à la rescousse... Dans les chapitres dévolus à l'enquête de Robin comme dans les autres, les références culturelles abondent (musique, SF, peinture, cinéma), et je me suis parfois surprise à rechercher si elles étaient réelles ou fictives. Nina Allan sème nombre de références allusives, et je suis certaine de ne pas les avoir toutes vues. Il est bien difficile de dire quel est le personnage principal de ce roman. Paradoxalement, l'absence de Frank le rend présent à l'esprit de Rachel et de Robin et, partant, à celui du lecteur. Les imbrications entre les histoires de chacun, leurs liens avec les théories du complot, les doutes omniprésents ont rendu pour moi ce roman addictif. de plus, il recèle de vrais moments de poésie et l'écriture de Nina Allan m'a enchantée. Bref, je me suis sentie manipulée et transportée, et j'ai beaucoup aimé… jusqu'à la toute fin.
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Conquest
Nina Allan
Tr. de l'anglais par Bernard Sigaud
Tristram, 2023

À douze ans, Frank entend les Variations Goldberg de Bach pour la première fois de sa vie. Il les écoutera des centaines de fois par la suite et en collectionnera les interprétations. Exceptionnellement doué pour travailler avec du code et en interpréter les schémas récurrents, il finit par imaginer que Bach n'a peut-être pas existé et que les Variations sont un code extraterrestre.
« le code ne pouvait pas mentir et la musique non plus. »
Lorsque sa petite amie Rachel lui fait découvrir The Rise and Fall of Ziggy Stardust, Frank s'interroge. Ce n'est que bien plus tard qu'il comprendra que le message extraterrestre inhérent à cet album lui est parvenu de manière subliminaleet qu'il parle de « la guerre ». Et Frank a entendu résonner dans son corps le système d'alerte de la Terre. La théorie d'Eddie, qu'il a rencontré via le forum ufologique LAvventura, est que l'Art est une histoire secrète de la guerre, un commentaire critique codé sur la structure du pouvoir, un manifeste de résistance.
La fragilité psychologique de Frank lui a valu d'être interné une première fois à l'adolescence pour anxiété généralisée et une seconde fois à la fin de ses études supérieures. Cependant, Rachel a porté avec lui le poids de sa peur et a continué à l'aimer au fil des années.
Bien que Rachel tente de l'en dissuader, Frank se rend en France rejoindre Eddie – qu'il n'a jamais vu en vrai – pour y rencontrer des membres actifs du groupe LAvventura qu'Eddie nomme le cabinet de guerre.
Neuf mois plus tard, il n'a pas réapparu. La police a interrogé Edmund de Groote (Eddie) qui déclare n'avoir jamais rencontré Frank à Paris. Rachel est persuadée qu'il ment. Devant l'attitude attentiste de la police, elle se décide à faire venir chez elle une détective, ex-policière, Robin. Il se trouve que Robin, elle aussi, collectionne les enregistrements des Variations Goldberg de Bach. de plus, le nom De Groote ne lui est pas inconnu. Au fait du peu de moyens de sa cliente, elle accepte tout de même le contrat.
À l'époque où les deux amis communiquaient sur LAvventura, Eddie a recommandé à Frank un ouvrage des années 50 : La Tour de John C. Sylvester. Cet ouvrage va littéralement obséder Frank qui le qualifiera de livre sacré : à la suite d'une guerre avec une planète extraterrestre, Gliese, qui a fait un nombre incalculable de morts, un architecte mégalomane entreprend la construction d'une tour de la victoire (la Tour Conquest) assortie d'un complexe d'appartements de luxe, à l'aide d'une roche importée de cette planète, la masonite, qui emmagasine de la chaleur et diffuse une énergie rayonnante, de la même façon qu'un radiateur. Mais ce qu'il ne sait pas, c'est que cette roche est en partie vivante…
La recherche de Frank – qu'on ne retrouvera peut-être jamais – est propice à l'exploration de toutes sortes de domaines parfois très éloignés les uns des autres : psychologie et fonctionnement des sectes conspirationnistes sur les réseaux sociaux et interprétation de la musique de J. S. Bach, par exemple.
« La musique de Bach est un carburant pour le cerveau, et tout cela à cause de la manière dont Bach se sert du contrepoint. »
La culture musicale de Nina Allan est stupéfiante, tout autant que sa connaissance de la science-fiction et de ses oeuvres fondatrices. Comme dans ses autres romans, on retrouve des histoires dans l'histoire : la novella La Tour, retranscrite intégralement, a été inventée pour servir le roman, mais le film Upstream Color de Shane Carruth existe réellement et sa critique cinématographique dans un essai d'Edmund de Groote, incrusté lui aussi dans les fils narratifs, distille un certain malaise qui contribue à brouiller les pistes. Il est vrai qu'on retrouve par moments dans ce roman une atmosphère ballardienne. de petite touche en petite touche, Nina Allan estompe la frontière entre réalité et théorie du complot (ici une invasion extraterrestre imminente) et on se demande dans quelle mesure l'enquêtrice Robin ne commence pas à être infectée elle aussi : « Tout cela sera balayé, se dit-elle : le froid de l'hiver, le merle solitaire, le doux susurrement des feuilles mortes dispersées en gouttes d'or sur l'allée bétonnée. »
Lire du Nina Allan, c'est comme regarder dans un kaléidoscope la réalité éclater et se reformer différemment à tous les moments de l'histoire.
Nina Allan et Bernard Sigaud, son traducteur, ont été lauréats du Grand Prix de l'Imaginaire en 2014 pour Complications, premier ouvrage de Nina traduit en français, et La Fracture – chroniqué dans Gandahar 29 – finaliste des prix Femina et Médicis, catégorie Étranger, en 2019, a propulsé Nina à un niveau de reconnaissance qui dépasse la littérature de genre.
Christine Brignon
chronique publiée dans Gandahar 37 Humain ♥ Animal
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Développeur passionné par Les Variations Goldberg de Jean-Sébastien Bach, Frank, malgré le soutien de sa petite amie Rachel et l'amour de ses proches, a du mal à trouver sa place dans la société. Son intelligence élevée et sa vision atypique du monde sont à la fois ses meilleurs alliés et ses pires démons. Il croit à la beauté du code informatique, aux signes contenus dans la musique. Internet a créé un espace où ses pensées peuvent s'exprimer, où il peut s'associer à des gens pour décrypter le monde. Mais à force de chercher des significations aux événements, Frank rejoint un groupe complotiste, dont les membres sont convaincus qu'une invasion extraterrestre secrète est en cours. Après avoir rencontré des personnalités de ce groupe en physique, Frank disparaît des radars. Rachel, dévastée, engage Robin, une ancienne flic, reconvertie en détective privée. L'occasion de plonger à ses côtés dans les mécaniques du complotisme contemporain, et dans sa nature : « La réalité fait peur, surtout avec le changement climatique, surtout depuis la pandémie. Croire aux extraterrestres, c'est comme croire en Dieu : soudain il y a une explication pour tout ce qui va mal dans le monde. »

À la manière de Qui se souviendra de Phily-Jo ? de Marcus Malte, Conquest, le nouveau Nina Allan, questionne le complotisme sous tous les angles, et montre combien le terme complotisme est utilisé pour décrire des réalités différentes : d'un côté des ensembles de théories aberrantes, « des amalgames spontanés de pseudo-science, de philosophie de comptoir et de théorie complotiste qui semblent puiser aux mêmes réservoirs d'extrémisme populaire, de rectitude morale et d'abnégation intellectuelle que n'importe laquelle des religions les plus solidement établies et avec une prolifération similaire de factions et de hiérarchies », de l'autre des vérités avant qu'elles n'éclatent au grand jour – confer les scandales économiques ou les manipulations des lobbys. Pour ce faire, Conquest s'amuse à retourner les situations, à changer les points de vue et à montrer qu'on est tous le complotiste de quelqu'un.

Au coeur du récit, La Tour, une novela, écrite par un écrivain fictif, sur les conséquences de l'importation de matière première extra-terrestre, que Frank et ses confrères considèrent comme détentrice d'un message caché. La Tour de John C. Sylvester est présentée dans son intégralité dans Conquest, au sein duquel elle agit comme une mise en abyme, puisque La Tour est également un texte sur le complotisme, dont le personnage principal s'imagine écrire une histoire où « un détective privé cherche à découvrir la vérité derrière la disparition d'un homme qui croit que la Terre est au bord d'une guerre interstellaire », avant de potentiellement se laisser convaincre que la guerre est réelle.

In fine, l'enquête policière au coeur de Conquest devient est elle-même traitée comme un phénomène complotiste. Les intuitions de Robin sont-elles la résultante d'une sensibilité et d'une capacité à analyser le monde, ou un biais cognitif qui l'amène à voir des signes et des symboles, là où il n'y a peut-être bien que des coïncidences ?

La force du roman est de ne jamais prendre ses personnages de haut, mais plutôt d'expliciter leur système de pensée, leurs failles et leurs talents, et de montrer que, si leurs conclusions sont farfelues, elles peuvent avoir pour base de brillantes analyses – le problème n'étant jamais ainsi la donnée scientifique, mais ce qu'on en déduit d'un point de vue historique, sociologique ou politique. Aux sociétés secrètes toxiques, Nina Allan rétorque, en gardant la distance nécessaire, avec des protagonistes aux motivations claires, portés par des intentions nobles, malgré leurs interprétations fantasques du monde.

Conquest ne cesse d'interroger l'attraction des lecteurs et lectrices pour les complots dans les fictions, leurs espoirs de les voir se concrétiser. La construction du livre, à la fois limpide (on n'est jamais perdu) et complexe (avec textes dans le texte) donne toujours envie de tourner la page et de se laisser désarçonner par la tournure que prendra l'histoire. Brillant en tous points.
Lien : https://www.playlistsociety...
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Frank Landau est un informaticien d'une intelligence exceptionnelle, un codeur free-lance surdoué, qui a grandi dans une maison d'une banlieue populaire du sud-est de Londres.
À 34 ans, cet informaticien asocial hospitalisé à plusieurs reprises pour troubles anxieux, vit toujours chez sa mère. Il évite au maximum les interactions sociales physiques à l'exception de Rachel, sa petite-amie, qu'il a rencontré adolescent.
Obsédé par l'oeuvre de Bach, et en particulier par Les Variations Goldberg, Frank s'intéresse également à l'ufologie et à des théories irrationnelles. Il partage sa passion en ligne via à une plateforme d'échanges complotistes, LAvventura où il s'est virtuellement lié d'amitié avec un prénommé Eddie. Rachel s'inquiète pour lui, en raison de son état mental et de sa vulnérabilité, surtout lorsque Frank part le rencontrer à Paris et disparaît.
Neuf mois après son départ, Rachel et sa famille n'ont toujours pas de ses nouvelles. Frank s'est évaporé. Étant majeur, les recherches de la police sont sommaires. Rachel demande l'aide d'une détective privée, Robin, ancienne flic qui partage avec Frank son amour pour Bach.
L'enquête de Robin lui fait suivre dans un premier temps un journaliste qui était le seul à s'être intéressé à la disparition de Franck et qui est mort d'une crise cardiaque lors d'un congrès d'ufologie où il enquêtait. Crise cardiaque vraiment ?

« Conquest » est un roman brillant, inventif, captivant, ludique qui constitue une formidable et passionnante expérience de lecture.
Nina Allan fusionne les genres (SF, fiction policière, roman psychologique, philosophique) sans que l'on puisse réduire le récit à un seul d'entre eux, et multiplient les points de vue grâce à des chapitres passionnants (dont une nouvelle (imaginaire) « La Tour » reproduite au centre du roman que Franck et ses amis considère comme une prophétie ou encore un article sur un film (réel)) qui enrichissent la trame principale.
Elle épouse parfaitement chacun des points de vue des personnages (elle reproduit par exemple à merveille la confusion qui règne dans l'esprit de Frank grâce à une absence de ponctuation ).
Comme dans « La Fracture », l'intrigue centrale sert d'armature à d'autres histoires, les histoires des personnages s'entremêlent de manière inattendue et ces histoires impliquent des éléments spéculatifs.
Sur son site Nina Allan décrit « Conquest » ainsi: c'est « un roman sur la vérité et la post-vérité, le familier devenu étrange, la crise communautaire et l'épiphanie individuelle ».
C'est un roman sur la vérité et la réalité dans lequel elle réussît à nous faire douter en permanence des deux. Un roman sur la paranoïa et sur notre perception du monde qui diffère selon notre subjectivité.
Énorme coup de coeur pour ce roman qui est brillantissime !
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