Une fois n'est pas coutume, je ne me suis pas arrêté sur ce dit « manque de style » de
Djaïli Amadou Amal, que beaucoup trop de critiques montrent du doigt.
Parce que, pour moi, le vrai message de cette auteure c'est de dénoncer la violence inouïe dont sont victimes les femmes, quelque part dans une région du Cameroun.
Le livre est aussi un grand cri dénonciateur sur les droits des femmes qui sont bafoués partout ailleurs, dans toutes les sociétés où la féroce mixture du patriarcat et du religieux est malheureusement omniprésente.
Une fois n'est pas coutume, je me suis laissé envahir par mes émotions, aux premières lignes du roman-témoignage.
J'ignore où est la part de la réalité et celle de la fiction. Mais pour avoir lu d'autres livres sur ce même sujet, j'ai ressenti que l'auteure a mis beaucoup de son vécu.
Ses mots si puissants, si tranchants en témoignent. Ils m'ont bouleversé.
Des mots et des phrases qui claquent encore très violemment dans ma tête, comme le fouet de ce père irascible et sans compassion, ivre de sa puissance et brutal dans son rôle de chef de famille. Les coups de fouet de ce père qui châtie sa fille rebelle, celle qui sème la honte pour le clan. Ce père qui corrige aussi la mère de sa fille, de n'avoir pas réussi à l'élever dans le respect de la famille. Il pourrait même, d'un seul claquement de doigt, comme on envoie du bétail à l'abattoir, répudier sa femme.
Des phrases assassines qui résonnent en moi comme venues d'un autre monde, d'un autre temps, celles par la voix autoritaire d'un père qui répète inlassablement les litanies de ses aïeux :
-« A partir de maintenant, vous appartenez chacune à vos époux et lui devez une soumission totale, instaurée par Allah. »
Ou bien
-« le mariage n'est pas une question de sentiment. Au contraire, c'est d'abord, et avant tout, l'alliance de deux familles. C'est aussi une question d'honneur, de responsabilité, de religion – et j'en passe. »
Avec ces deux seules terribles phrases, nous pourrions résumer le livre.
Quelque part dans ce monde, il y a toujours ces mêmes histoires glaçantes, ces mêmes tristes gémissements, ces mêmes déchirements comme une lente marche vers l'agonie, ces mêmes sanglots comme une fuite vers la folie, ces mêmes cris qu'on étouffe, ces mêmes femmes qu'on fait taire, ces mêmes insultes que l'on vomit, ces mêmes peurs et ces pleurs de jeunes filles qui se sentent prises au piège d'un mariage forcé, d'un mariage arrangé, celui qui volera et détruira leur jeunesse.
Quelque part dans ce monde, il y a des jeunes filles vierges et innocentes qui se retrouvent en une nuit, celle de leurs noces, dans le lit d'un quadragénaire parfois dégénéré.
Certaines saigneront par les coups mais aussi par des outrages sexuels immondes.
Quelque part dans ce monde, il y a des jeunes filles meurtries de s'être faites déchirer leur hymen en toute sauvagerie et toute brutalité.
Et toutes les religions se sont mises d'accord, le viol d'une épouse n'existe pas. C'est à la femme d'être une « bonne épouse » en se soumettant à tous les désirs de son mari.
Quelque part dans ce monde, il y a aussi et encore beaucoup trop de femmes qui ne semblent pas tirer des leçons de leur vie, souvent misérable, de leur souffrance.
Et qui continuent de transmettre cet énorme héritage des traditions. Qui continuent immuablement d'enseigner à leurs filles, mot pour mot, phrase pour phrase, ce que leur a enseigné leur propre mère.
Sans émettre parfois une question, comme si tout n'était qu'une fatalité, qu'il fallait accepter les us et coutumes de son pays, qu'il ne fallait surtout pas s'attirer les foudres du Dieu si cruel et si colérique.
Ne rien dire, ne rien remettre en question.
Et pire sera leur enfer, pire sera leurs sanglots si ces femmes veulent garder leurs maigres privilèges ou conserver leur place de première épouse.
Et puis comment se rebeller ?
Alors que beaucoup d'entre elles sont illettrées et sont mises volontairement dans l'ignorance, et que d'autres femmes sont avilies et sont interdites de penser.
« Tout esclave a en ses mains le pouvoir de briser ses chaînes. », écrivait
William Shakespeare.
Alors gardons espoir pour qu'un jour toutes ces femmes puissent briser leurs entraves.