Myocarde

Six mois plus tôt.
L'adolescent profitait de sa taille et de sa force pour me plaquer contre le meuble. Mes tentatives pour le repousser se soldaient invariablement par un échec.
Et dire que j'avais cru trouver la paix en venant réviser dans le foyer des secondes à vingt-deux heures passées ! Mais Jean-Eudes avait troublé ma quiétude, et de quelle manière !
— Allez, Caitlin, juste un petit bisou, c'est pas grand chose, murmurait-il en cherchant à plaquer sa bouche contre la mienne.
Je lui avais déjà mordu la lèvre une première fois, et il m'avait giflée en retour, si bien que nous saignions tous les deux du visage, lui de la lèvre inférieure et moi de la tempe, là où ma tête avait heurté le mur.
— Fais pas ta difficile, laisse-toi faire, susurrait-il en laissant ses mains courir sur mon corps avec insistance, tu vas adorer ça, fais-moi confiance....
— S'il te plait, lâche-moi, ça va mal finir, le prévins-je pour la troisième fois, sans succès.
Je sentais mon pouvoir enfler démesurément, presque au point de rupture. Et là, tout pouvait arriver...
Cette fois, il parvint presque à s'emparer de ma bouche, et je tournai violemment la tête sur le côté pour lui échapper.
Cette nouvelle dérobade acheva de l'énerver. Il me poussa violemment, me faisant tomber. Je gémis en heurtant le parquet, mais cela parut l'exciter encore plus. Il se laissa tomber sur moi, me clouant au sol sous son poids. Souffle coupé.
— Je... S'il te plait... haletai-je en tentant de me contrôler.
— Y a personne d'autre que nous, alors maintenant, tu fermes ta petite gueule et tu me donnes ce que je veux, gronda-t-il en prenant mon visage entre ses mains pour m'embrasser avec violence.
Cette fois, impossible de me retenir ; les ampoules se mirent à clignoter frénétiquement, envoyant un message en morse parkinsonien. La première lampe explosa. Suivie par deux autres. Il se redressa, surpris par le bruit ; j'en profitai pour avaler une grande goulée d'air.
— Toi, tu bouges pas, j'ai pas besoin de lumière pour ça.
Il voulut s'allonger de nouveau sur moi, mais cette fois, le pouvoir était presque libéré et je devais me concentrer pour l'empêcher de tout détruire. Les lampes survivantes se mirent à briller avec une intensité renouvelée, jusqu'au point de rupture ; leurs filaments dilatés à l'extrême se touchèrent, provoquant des courts-circuits, rapidement suivis par des étincelles.
Mon agresseur en reçut une dans le cou, qui le fit hurler de rage, de douleur et de peur. Il se leva d'un bond, tapant sa nuque comme si elle prenait feu.
— Merde, c'était quoi, ce truc ? demanda-t-il, ses yeux exorbités parcourant la pièce.
Je fermai les yeux pour tenter de retenir le pouvoir qui glissait dangereusement hors de moi, mais je pouvais à peine le contenir.
— Va-t-en ! l'enjoignis-je.
Visiblement, les étincelles qui jaillissaient des différentes lampes ainsi que des prises de courant firent leur effet, et il prit ses jambes à son cou sans même s'interroger sur mon sort. Le papier peint défraîchi prit feu en premier, rapidement suivi par un dossier cartonné posé sur une étagère et le livre que j'avais ouvert pour étudier. En moins d'une minute, des flammes léchaient les meubles et une épaisse fumée envahissait l'air.
Encore sous le choc de l'agression, je me redressai prudemment tout en resserrant les liens autour de mon pouvoir. La panique des premiers instants avait disparu, et je pouvais de nouveau me contrôler.
Mais c'était trop tard pour le foyer des secondes.