Le territoire littéraire de la Seine : Géocritique d'un fleuve

En recevant et en découvrant ce recueil, je me suis revue des années en arrière, étudiante en lettres modernes à l'université de Mont-Saint-Aignan. La géocritique permet d'abord de cerner la dimension littéraire des lieux, de dresser une cartographie fictionnelle des espaces humains. Elle est du domaine de la littérature comparée, un domaine qui était le mien à l'université.
Il s'agit de parler de la Seine, entre Paris et Le Havre. Mais il faut reconnaître que c'est surtout la Seine à Paris et dans ses alentours qui est représenté. Ce qui me frappe est que, même si la Seine était déjà présente dans les oeuvres littéraires médiévales, j'ai failli dire des oeuvres légendaires médiévales, la description du fleuve prend de l'ampleur au XIXe siècle, comme si sa description devenait un passage obligé pour tout auteur. J'ai même été surprise de découvrir qu'Alphonse Daudet s'était, en quelque sorte, plié à cette tradition qui ne disait pas son nom dans son roman Jack. La Seine n'a pas la même symbolique selon qu'elle appelle aux loisirs, au repos, à la rêverie, voire à l'amour (je pense à Maupassant) ou qu'elle ne symbolise le travail, et tout ce que l'eau peut charrier comme déchets. Bien avant que le roman noir ne s'empare de la Seine en littérature (voir l'article La Seine du crime, plus spécifiquement consacré à l'oeuvre de Léo Malet ou encore L'inconnue de la Seine, jeune femme morte devenue mythique), la Seine rappelait les exactions commises pendant la Commune, la "Seine sanglante", le fleuve teinté de rouge, symbole fort de la répression, symbole aussi de ce que le fleuve donnait à voir ce que d'aucuns pensaient être cachés. 
J'admets avoir été moins sensible à la seconde partie de l'ouvrage, qui s'attache à montrer les liens entre la Seine et la "création émergente". 
Merci aux publications des presses universitaires de Rouen et du Havre et à Babelio pour ce partenariat. 

L'approche de cet ouvrage est originale.

La geocritique : utiliser la littérature pour percevoir un lieu dans sa réalité horizontale, à travers tous les âges. Cette approche met en lumière la Seine comme aucun traité historique ne peut le faire. Elle encourage la pluralité des points de vue, parfois même contradictoires ou éloignées de la réalité historique. C'est le charme de la geocritique.
J'aime beaucoup cette approche, elle ajoute de l'aventure à la découverte littéraire. le lecteur apprend à appréhender un lieu dans toutes ses formes et représentations. Il le voit non pas par l'intermédiaire des sens mais plutôt en développant son imaginaire topographique. Ainsi, le lecteur affine sa compréhension du monde, affine sa perception des choses qui ne sont plus seulement le reflet de nos sens, mais aussi la réflexion métaphysique, nous permettant peut-être d'approcher la réalité telle qu'elle est véritablement. J'adore !

La Seine comme objet d'analyse permet d'utiliser une pluralité de sources littéraires. de manière directe ou indirecte, elle apparaît à de multiples reprises dans la littérature. de plus, le lieu met en lumière des réalités multiples puisque le fleuve traverse à la fois campagnes, villages et grandes villes et est présent depuis des centaines d'années.

Son traitement particulier m'a permis d'apprécier véritablement cette lecture. Je conseille à tous les amateurs.

Ouvrage collectif réalisé par des universitaires, ce livre s'emploie à envisager le fleuve, dans sa portion évoluant entre Paris et la mer, au moyen d'une approche exploitant le lien entre les lieux et la littérature, du Moyen Âge à nos jours.
Cette démarche souligne combien les représentations de la Sequana et de son environnement s'inscrivent dans une époque leur conférant une lecture historique, politique, sociale, sociétale, économique, géographique, poétique, symbolique...
Sans pouvoir tous les citer, certains exemples sont très parlants.
L'expression « la Seine sanglante » fait ainsi référence à la Semaine sanglante qui sonna le glas de la Commune de Paris.
Chez Zola les descriptions de la Seine sont indissociables des travaux de modernisation de la capitale conduits par Haussmann.
Plus près de nous, le roman policier fait du fleuve un élément essentiel du décor de ses intrigues. On pense bien évidemment aux « Nouveaux Mystères de Paris » de Léo Malet.
Alors que chez le créateur du détective privé Nestor Burma le cours d'eau est un terrain neutre, le néo-polar va le transformer en « espace stratégique, à fort enjeu politique, […] qui incarne et concentre la lutte. »
Encore plus proche de nous, avec Jean-Baptiste del Amo et son « Éducation libertine » l'image de la Seine, « à la fois féminine et masculine », fait écho à la problématique contemporaine de l'identité sexuelle.
On le voit, le fleuve qui traverse la Ville Lumière ne cesse d'être une source d'inspiration et de métaphores pour les écrivains, et d'une manière générale pour les artistes.
Merci à Babelio et aux Presses Universitaires de Rouen et du Havre pour cette lecture enrichissante.
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