Un jeudi comme les autres je suis allé chercher ma fille à l'école maternelle, qui se situe à deux pas de chez nous.
Une ribambelle d'enfants rejoint leurs parents respectifs à la grille, la foule commence à se disperser... et pas de trace de ma petite Jézabel, quatre ans et trois mois.
Je n'ai pas vraiment le temps de m'affoler, je la distingue au loin qui tient la main de sa maîtresse madame
Lyza.
Je m'approche d'elles, conscient que ma petite fée a sans doute fait une petite sottise dont l'institutrice souhaite me parler.
- Bonjour monsieur Antyryia. Je vous attendais. Votre fille a encore fait des bêtises et il faut à tout prix que ça cesse. Je l'ai grondée mais je vous laisse faire le nécessaire pour éviter que ça se reproduise sinon je me verrais contrainte d'avertir la directrice.
- Et qu'a-t-elle fait exactement ? demandais-je à Madame
Lyza en lançant de gros yeux à ma fille.
- Je l'ai surprise à coller son chewing-gum sous sa table. Vous imaginez un peu ? En cette période de crise sanitaire, de réchauffement climatique, de déforestation, de lobbys qui font pression sur nos politiques pour continuer à avoir la main mise sur le pétrole, ça pourrait être assimilé à du terrorisme contre l'écologie.
Je n'ai pas forcément tout compris tellement elle a parlé vite, mais j'acquiesce en répondant :
- Ne vous en faîtes pas, la situation est sous contrôle. Je ne veux pas que ma petite Jézabel soit à l'origine de l'extinction des bébés phoques.
Je suis un père responsable et je sais que je dois prendre la situation très au sérieux. de retour chez nous, je demande à Jézabel : Où as tu trouvé ce malabar ?
- C'est pas un malabar papa c'est les chewing-gums qui sont dans ton tiroir.
Bon, voilà que ma fille me prend mes nicorettes maintenant ! En même temps rien de tel pour commencer à fumer même si je la trouve encore un peu jeune.
J'explique rapidement à mon épouse ce qui s'est passé et je la rassure ; je vais m'en occuper.
La situation est sous contrôle.
A 20h00 extinction des feux pour ma petite puce, qui aura droit à sa petite histoire avant de s'endormir. Si jamais du moins elle parvient à trouver le sommeil.
Je prends le livre Angoisses de
Davy Artero qui contient onze nouvelles pour petits et grands.
- Mais il n'y a pas d'images ! me fait-elle remarquer.
- Juste en couverture.
Elle pousse un petit cri en voyant le monstre cadavérique qui lit lui-même le livre Angoisses sur la couverture duquel on distingue un monstre cadavérique lisant le livre Angoisses sur la couverture duquel... Enfin, vous avez compris le principe.
- Allez Jézabel, tu vas fermer les yeux et les images vont se faire toutes seules dans ta tête, lui dis-je d'une voix réconfortante.
Se laissant prendre au jeu, elle cligne des paupières en me serrant la main.
Quant à moi, je choisis l'histoire intitulée "Ordures".
- Il était une fois un gentil monsieur qui s'appelait Tino. Tino a un joli métier qui consiste à se débarrasser des sacs de détritus. La nuit, il déplace à l'aide de manettes un gros grappin qui saisit les paquets d'immondices et il les fait tomber dans un gigantesque four, qui brûle plus fort qu'un volcan.
- C'est quoi un immondice ? me demande-t-elle, toujours curieuse.
- C'est tout ce que les gens mettent normalement à la poubelle. Des boîtes de conserve, des épluchures, des crottes de chien, des chewing-gums, des tampons usagés, des mises en demeure pour non paiement, que des vilaines choses dont la place n'est plus dans la maison ou dans l'école.
( Vous remarquerez la subtilité avec laquelle j'amène le sujet )
- D'accord.
- Tino, c'est toute sa vie de faire brûler les déchets, c'est comme ça qu'il va sauver l'écosystème et empêcher la fonte des banquises.
Jézabel me regarde avec les yeux écarquillés.
- Jeter des papiers, des chewing-gums, ne pas ramasser son caca de chien, ça rend malade la planète ma chérie. S'il n'y a plus de coccinelles alors qui guidera les pucerons ?
- Ok j'ai compris papa je ne jetterai plus rien par terre et je ne collerai plus rien sous la table.
- T'as intérêt ! Parce que sinon Tino te retrouvera toi aussi ! Et tu sais ce qu'il fait aux pollueurs comme toi ?
Il était temps, on dirait que j'ai enfin toute son attention.
- Il les capture et il les met dans le coffre de sa voiture. Après il les découpe en petits morceaux avec sa tronçonneuse et quand vient la nuit, chaque soir il met un pied, un bras ou une tête soigneusement emballés parmi les sacs dont il doit s'occuper et avec son grappin, il fait disparaître progressivement le corps de sa victime dans la fournaise. Et il recommence semaine après semaine. Parce que les vraies ordures, ce sont les gens qui ne prennent pas soin de l'environnement !
Jézabel n'a plus jamais mâché mes gommes, ni quoi que ce soit d'autre.
Elle n'a pas prononcé un mot non plus pendant plusieurs semaines, on envisageait même avec mon épouse de lui faire consulter un psychologue.
Et puis un soir...
- Z'aime pas !!
Que les enfants sont ingrats !
A part les pâtes, les frites, le jambon et la pizza ils n'aiment rien.
Ma femme s'est décarcassée pour nous faire un succulent velouté de soupe aux épinards et notre fille a à peine pris une cuillérée qu'elle a décrété qu'elle trouvait ça trop dégoûtant.
- Allez, essaie de faire un petit effort encore. Juste deux cuillères. Une pour moi et une pour papa, lui dit sa mère d'une voix agacée.
- C'est trop beurk. Je vais vomir.
Elle a vraiment bien choisi son moment pour retrouver sa langue...
- Pense à tous les petits Ethiopiens qui n'ont pas assez à manger et qui meurent de faim !
Malgré la sévérité du ton employé, les mots de ma conjointe semblent glisser sur la conscience amorale de ma fillette.
C'est à moi de prendre les choses en main.
- Bon, puisque tu n'as pas faim, je vais te brosser les dents et après tu iras tout de suite au dodo.
Quand elle me voit arriver avec mon livre d'histoires, Jézabel se réfugie sous sa couverture mais je l'en extirpe.
Elle tente d'appeler à l'aide mais je lui mets une chaussette dans la bouche. Elle veut se boucher les oreilles alors je ligote ses petites mains avec la ceinture de mon peignoir.
- C'est pour ton bien tu sais ma princesse.
- Hmmmf
Cette fois je choisis "Echanges", le dernier titre du recueil Angoisses, qui me paraît bien adaptée.
- Il était une fois une petite fille qui se prénommait Jézabel, et le jour de ses cinq ans son papa adoré va la chercher dans sa chambre. Il lui bande les yeux de façon à ce qu'elle ne voit plus rien. Elle le suit d'un pas maladroit, descend les escaliers jusqu'à arriver dans la salle à manger, où elle a le droit de s'asseoir. Face à elle il y a une assiette et des couverts. Elle va essayer de deviner ce que son papa lui a fait à manger.
"- Je dirais du tournedos, juste poêlé comme j'aime ! J'ai bon ?"
"- C'est du boeuf... Cru... Et saignant, miam ! Je sais, c'est de la viande à fondue !"
- Hmmff fait ma fille qui tente de se débattre.
- Calme toi, tu vois bien qu'il n'y a pas de quoi avoir peur ! Elle se régale avec la viande, c'est pas comme si on l'obligeait à avaler de la soupe aux poireaux ! Tu aimes bien la sauce bolognaise, les steaks hachés dans les hamburgers ? Eh ben c'est pareil !
" - Oui, ce n'est pas mauvais, mais qu'est-ce que... Il est long le morceau... C'est quoi là, au bout ?"
"Mais c'est... C'est quoi? C'est une jambe ce putain de truc-là... "
Non seulement c'est une jambe, mais c'est celle de la maman de la petite Jézabel qui, le jour de ses cinq ans, apprend qu'elle appartient à une longue lignée de dévoreurs d'humains.
Elle enlève son bandeau, regarde les morceaux encore ensanglantés de sa maman. Son ventre crie famine alors elle coupe un morceau d'intestin qu'elle mange à pleines mains. Avec une cuillère elle déloge les deux yeux verts de leurs globes oculaires et les gobe comme des oeufs. Elle s'empare d'un mollet qu'elle rogne avec avidité jusqu'à l'os tandis que le sang dégouline sur son pyjama.
Puis pour terminer son apprentissage cannibale, la fillette doit manger son propre père, encore en vie, sans s'attarder sur ses hurlements.
Ce dernier lui tend d'ailleurs son bras pour qu'elle puisse commencer le premier repas de sa nouvelle vie.
C'est à ce moment précis que Jézabel parvient à recracher la chaussette qui l'empêchait de parler... et de mordre.
Malgré ses petites dents de lait j'ai encore une trace de morsure aujourd'hui.
Ma fille est devenue vegan et mange tous les jours de la soupe aux légumes.
Plus tard elle deviendra sociopathe, mais c'est une autre histoire.
Voilà en tout cas deux des contes pour enfants pas sages qui permettent de mieux éduquer vos bambins en bas âge. Citons également "Merry Christmas" si votre petit garçon n'est pas content d'avoir eu une clé à mollette pour noël, "Charlotte" si votre petit ange fait des trous dans ses vêtements, "Carmin" si votre pré-ado de six ans se drogue.
Autant de petites histoires qui ne sont pas sans rappeler les célèbres contes de la crypte, qu'elles soient ou non surnaturelles.
J'ai quand même trouvé ce recueil un tout petit peu moins inspiré que mes deux précédentes lectures de cet auteur (
Terreurs nocturnes et
Frayeurs ) et j'ai regretté qu'il y ait autant de références à ses autres oeuvres ( une nouvelle dont je me souvenais mais aussi deux romans :
Heptagon et
Lyza sur lesquels je ne me suis pas encore penché ).
Je vous laisse, avec mon grand on va aller à la chasse. En ce moment je lui apprend la taxidermie.
On empaille toutes sortes d'animaux.
Même ceux qui se promène à deux pattes ou sur un vélo.