Tout d'abord, j'ai été déconcertée ; je n'ai pas reconnu nos héros familiers, nos "fondateurs" : ceux de la première Fondation, condamnés, sans presque aucun moyens, à aller se faire voir sur le trou du cul de la galaxie, Terminus, obligés désormais de survivre à proximité de barbares féodaux et sanguinaires, tout en étant chargés d'accomplir le "plan Seldon", seul capable d'épargner à l'humanité 30 000 ans de barbarie.
Je n'ai pas reconnu ceux de la seconde Fondation, cette poignée de scientifiques pointus et disciplinés, formés, eux, à la science des sciences de Seldon, la psycho-histoire, et dont la mission était, de leur côté, de veiller sur la première, dans l'ombre, pour s'assurer qu'elle ne déraille pas.
Ceux des première et seconde Fondation, n'étaient-ils pas des êtres totalement désintéressés au service d'une cause magnifique, au milieu de géants puissants et hostiles... ?
Mais là dans ce quatrième volet, 500 ans après l'exil des premiers fondateurs, à mi-chemin du plan, les fondateurs ne sont-ils pas devenus de sacrés sales types ? "Embourgeoisés" comme dit un babelionaute, occupés de leurs ambitions personnelles, pleins du sentiment de leur puissance et de leur supériorité, chacun à la tête de leur fief - un presque Empire pour la première Fondation, une seule planète pour la seconde, mais où les "cherchieurs" (ah ah ah ! Comment le dit le texte anglais ?) se conduisent comme des nobles au milieu de leurs serfs...
Ces seconde et première Fondations, la tête et les jambes, créés par Seldon pour s'épauler face à la barbarie montante ou face à l'empire agonisant, ne sont-ils pas devenus des rivaux désormais occupés avant tout par leur lutte fratricide pour la suprématie dans l'empire futur ; jouant, qui de leur esprit surpuissant (super compétences scientifiques et pouvoirs mentaliques), qui de leurs gros "muscles" (machines volantes ultra rapides, perfectionnées, équipées d'ordinateurs surintelligents et flotte de vaisseaux surarmés) ?
C'est pour en arriver là qu'
Asimov se remet à la rédaction des aventures des fondateurs, 25 ans après avoir terminé les 3 premiers tomes ?
J'avais donc posté une critique un peu désabusée : "le plan Seldon a du plomb dans l'aile. Non plus à cause des barbares mais à cause de leurs principaux promoteurs, qui semblent ne plus y croire. Et nous non plus. Démoralisation. Dégrisement. Coup de mou.
Ce n'est pas très agréable pour le lecteur cette douche froide, ce retour à cette fatalité poisseuse de l'intérêt individuel, du soupçon et de la rivalité (...) [Ici] tout le monde manipule tout le monde et se fait manipuler et se sent manipulé. Ah, ça raisonne, ça raisonne pour détecter une manipulation - pendant des pages et des pages... C'est sûr qu'il y a de l'intelligence. Mais pour quoi faire ? On ne voit plus le sens de tout cela. Où est l'idéal du début ?
C'est parfois un peu pesant, voire lassant."
Le lendemain matin, je l'ai effacée.
A y regarder de plus près, non. Mais non,
Asimov n'a pas capitulé ! La vérité scientifique continue de guider la seconde Fondation. La soif de liberté continue d'animer le héros de la première, où la prédestination avait toujours été compatible avec le pragmatisme. Non, il me semble finalement qu'
Asimov sauve l'idéal - même si ce n'est plus le "plan Seldon" qui, effectivement, 500 ans après Seldon, et après trop de graves événements imprévus, semble irrémédiablement sorti de ses rails...
Ainsi l'orateur de la seconde fondation, Stor Gendibal, même s'il est engagé dans une lutte pour le pouvoir sur sa planète, agit en tant que psycho-historien particulièrement talentueux qui a découvert une anomalie dans le système.
Ainsi la première Fondation, dont les cadres sont des militaires dressés à dominer, à détruire et à collectionner les honneurs, trouve en son sein, comme elle l'a fait à chaque "crise Seldon", l'homme de la situation, capable de s'opposer aux siens pour les sauver.
(En l'occurence, ils seront cette fois deux : Golan Trevize, homme politique (conseiller, très haute fonction) intrépide "un homme qui n'accepte pas les apparences" et Pelorat, caricature du "vieux garçon" et rat de bibliothèque dont les recherches n'ont jamais conduit nulle part - apparemment ; deux personnalités contraires…)
En tous les cas, il y a bien du désintéressement derrière ces types pas franchement sympathiques. Ça c'est un.
Mais il n'y a plus trop de cap. le cap pourrait bien être fixé ailleurs...
C'est là qu'arrive mon second point : est-ce que le vers de la rivalité n'était pas dans le fruit même de l'objectif de Seldon : ressusciter un Empire ?
Finalement, ce volume a, une fois de plus, le chic de répondre à l'une de mes questions, surgies à la lecture du tout premier tome : ce serait quoi, un second empire qui éviterait à l'humanité le règne de la barbarie, un second empire "civilisé" ? le premier empire n'est-il pas lui-même un Etat autocratique hyperinégalitaire, hypercentralisé, hyperpolicier ? Pourquoi un second le serait moins ?
Un empire réclame un empereur et, dès lors, une lutte pour le pouvoir.
Alors que Trevize a l'intuition que la seconde Fondation n'a pas été détruite et continue de manipuler scientifiquement la première dans l'ombre (fût-ce pour son bien), il ne sait faire autrement que de la voir comme une rivale à abattre. Patriote, il souhaite le triomphe de Terminus (ce qui conduirait nous dit
Asimov, à un "empire militaire maintenu et instauré par les armes")
Et même si Gendibal, de son côté, est un indéniable scientifique de talent, toujours attentifs aux mesures psychohistoriques, il est tellement naturellement imbu du sentiment de supériorité de la seconde Fondation, qu'il ne doute probablement pas de sa future suprématie ( qui conduirait, dit
Asimov, à "un empire paternaliste instauré par le calcul, maintenu par le calcul et que le calcul entretiendra dans un perpétuel état de mort-vivant").
Asimov-Seldon n'auraient pas pu y penser avant ?
Ainsi, aussi désintéressés, dévoués, compétents, courageux, que soient les protagonistes, ne sontils pas prisonniers de ce que la question suivante n'a pas vraiment été pas posée : sauver l'humanité de la barbarie, ok, mais pour quoi faire ?
Asimov ne se dérobe plus. Et pose la question d'abord indirectement, dans les chapitres sur la quête des origines, puis directement à la toute fin en proposant une solution originale et explicite 😯🤨. Mais chut.
Cette perte de sens, on a l'impression qu'
Asimov suggère, pour la surmonter, un... retour aux sources. Encore un coup de génie que cette recherche de la Terre - dada de Pelorat, qui accompagne Trevize dans son exil...
(Si mes calculs sont bons, nous sommes 22500 ans après que des hommes ont quitté la terre pour coloniser la galaxie.)
Asimov nous entraine alors dans des questions écologiques (si, si) : à cette idée par exemple que la terre est certainement le seul réservoir de biodiversité de toute la galaxie, toutes les espèces vivantes de la galaxie étant toutes les mêmes et provenant donc toutes d'une seule origine - tandis que la vie indigène s'est trouvée partout insignifiante et a même périclité.
Pourtant plus personne ne parle de la terre et les terriens eux-mêmes ne se manifestent pas.
Il ne reste que les raisonnements du vieux Pelorat et les recherches entêtées des traces de cette histoire sous forme de légendes de la galaxie, inlassablement compilée faute de témoignages plus directs...
Suspens.
Les babelionautes ont maintes fois fait remarquer qu'avec ce 4e volume de la série, nous voyions la liaison avec son autre grande série sur les robots. Mais cela n'est qu'ébauché - à la toute fin.
Juste de quoi être hautement alléché et avoir hâte de lire le 5e volume (toujours pas en version audio 😪)...
Finalement, finalement, nous ne finissons pas le livre sur la Terre mais sur ...
Tout ce que je peux dire, c'est une fin tout à fait spectaculaire. Miam. Et qui répond à : comment faire société harmonieuse à l'échelle de la galaxie.
En voilà une bonne idée !
J'en arrive à mon troisième et dernier point. Ce roman, comme les autres de la série, je le regarde comme une expérience de pensée.
Asimov pose des lois de développement de l'histoire humaine, avec ses contraintes environnementales (enfin il n'élucide pas la question de l'habitabilité des planètes de la galaxie), physiques, sociales, biologiques, psychologiques, avec ses hasards et ses contingences, dans de multiples contextes (les différentes crises) ; et il déroule cette histoire humaine, en mettant au coeur la question suivante : l'humanité, avec tout cela, peut-elle être maîtresse de sa destinée ?
Il unifie ce qui s'oppose souvent : les émotions, la raison, l'intuition. Emotions, raison et intuition sont pour lui des capacités mentales complémentaires qui conduisent les humains à l'élaboration de solution dans des contextes variés.
Si
Asimov dit bien quelque part dans ce livre que l'intuition est un pis aller par rapport à l'explication rationnelle, c'est bien l'intuition qu'il met ici à l'honneur. Je te laisse, lecteur, découvrir pourquoi.
Qu'ils comprennent ou qu'ils ne comprennent pas vraiment ce qu'ils décident et font, les êtres humains sont équipés pour prendre les bonnes décisions.
En outre, les capacités mentales humaines peuvent être entrainées pour aboutir à de nouvelles capacités. C'est ainsi que ceux de la seconde Fondation sont repérés parmis les dizaines de milliards d'enfants de la galaxie, sélectionnés et intensément entrainés pour parvenir à la télépathie et à la "mentalique" (pouvoir de modifier les émotions et pensées d'autrui à distance) - outre l'entrainement à la discipline scientifique classique.
Et de toute façon, ces capacités mentales peuvent aussi être assistées de l'extérieur, comme y a réussi la première Fondation, en développant des ordinateurs fonctionnant par apposition des mains, comme de véritables prolongements du cerveau.
Ainsi la spécialité de la première Fondation, le développement de la puissance physique et de la technologie, qui servent à maîtriser le monde extérieur, parvient aussi à une certaine maîtrise du monde intérieur (au grand dam des dirigeants de la seconde, dont la maitrise du mental est la spécialité, qui sentent qu'ils sont "rattrapés").
Par un bout ou par un autre,
Asimov dit que les humains peuvent augmenter leurs pouvoirs intérieurs (moi, je marche à fond) et extérieurs et ce, de façon pratiquement illimitée et qu'ils sont en mesure de maîtriser leur destinée collective.
Le terrain qu'il choisit pour illustrer cette conviction - une galaxie de millions de planètes habitées, un plan humain d'avenir sur 1000 an, enfonce, je pense, encore un peu plus, ce clou de la confiance qu'il porte aux capacités du genre humain.
Quoi ? J'en arrive à la conclusion inverse à ma première critique : c'est bien la foi en l'homme qui perce ici sous les descriptions de soudards arrogants, ambitieux et brutaux ?
Las. Les hommes superévolués des première et seconde Fondations conduisent l'humanité vers une impasse, chacun à leur manière !
Une fois de plus, il faut l'intervention d'une instance cachée, pour offrir une perspective ? Apres une première fondation, après une seconde fondation, des êtres fantastiques veilleraient dans l'ombre ? de sorte que l'humanité se retrouve, une fois de plus, manipulée…?
Ah la la.
Je ne peux rien dire de plus - et c'est suggéré assez tôt dans le roman - je ne crois donc pas trop spoiler.
Ça me démange pourtant, car j'aurais envie de révéler en quoi, peut-être,
Asimov résout cette contradiction.
En tous les cas, comme dans les précédents volumes, l'action et l'intelligence des masses n'occupent, dans cette confiance en les capacités de l'humanité, aucune place.
Qu'est-ce que cela serait.