Surtout ne lisez pas ce billet avant d'avoir lu vous-même le dernier roman de
Paul Auster4 3 2 1 ! Il me semble important de se laisser perdre par cette construction originale, surtout à son début, lorsqu'on découvre cet enchevêtrement d'histoires : l'image d'une structure végétale avec ses tailles et ses rejets s'est progressivement imposée en moi. Tel récit en lequel on finissait par croire est abandonné, puis l'auteur reprend dans un nouveau chapitre un épisode antérieur déjà décrit mais lui donne une issue différente. À son tour le chapitre suivant reprend un fait marquant du précédent et lui donne une poursuite totalement nouvelle. le délicieux sentiment de vertige dont on est saisi à ce moment abonde le plaisir de lire et n'est à manquer sous aucun prétexte. Mais il faut également dire la profusion des personnages, des caractères, des lieux — parmi lesquels New York, densité, immensité, complexité, tient une place prépondérante, comme attendu chez
Paul Auster — de l'inventivité des situations vécues par les personnages. Je reste abasourdi par ce bouillonnement sans fin et ces rebondissements multiples qui, finalement, conduisent le lecteur à lire quatre romans en un seul, et à découvrir une matière qui pourrait en fournir encore bien davantage. C'est dire combien le bonheur de lire est intense et renvoie — c'est là sans aucun doute sa fonction — à une découverte du monde, des humains, des lieux et de l'histoire. le cadre géographique — New York, le New Jersey, Princeton, Rochester — est un élément du récit à part entière. Les différentes vies possibles des deux premières décennies de la vie d'Archie Ferguson, sont aussi un fabuleux roman d'apprentissage, inséré dans les interrogations universelles qui ont traversé notre génération, de l'après guerre à la fin de ce que nous avons appelé chez nous les Trente Glorieuses. du rêve matérialiste américain, dont Stanley, le prophète des profits, se fait le héraut, à la problématique lancinante de la place des Noirs dans la société américaine qui vaudra à Archie des péripéties très personnelles, à son engagement dans la contestation de la guerre du Viet-Nam, aux révoltes de 1968, à la dislocation de la famille et aux pratiques sexuelles libérées, le roman séduit par la description minutieuse qu'il donne des faits et des interrogations qui ont bouleversé le monde. Et puis, quel bonheur de lire cet ami américain, amoureux de culture française, qui nous fait aimer sa ville comme personne.
La joie du lecteur est ici : la description particulièrement habile des multiples variations de ce que peut devenir une vie conduit, selon moi, à considérer avec un nouveau regard sa propre vie. Celle-ci n'est alors qu'une des formes possibles, prises par les épisodes successifs empruntés à la suite d'événements ou de décisions dont nous sommes quelquefois, mais pas toujours responsables. Cette même vie contient alors en elle-même tant les épisodes qui n'ont pas eu lieu, à l'image de ce magnifique récit, qu'elle en devient plus riche, même dans son infime modestie. La découverte de ces enchaînements mimétiques nous donne une vision de notre milieu, de notre temps et de notre propre vie, sans aucun doute, toujours plus large et comme plus compréhensive. Encore une ruse de la représentation…
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