Je me retrouvais à nouveau seul dans un univers que je connaissais encore mal. Je me suis alors laissé séduire par mon deuxième petit ami qui s’est révélé être un vrai vampire ! Il a fini par habiter chez moi, mettre mes vêtements, aimer les mêmes choses que moi. Il était terriblement jaloux. Il me culpabilisait à fond dès que je lui refusais quoi que ce soit, même ma personne. Il me phagocytait littéralement. J’ai dû changer d’appart. Il venait me harceler sur le campus. J’ai demandé pour pouvoir travailler à l’extérieur de l’unif. J’ai dû porter plainte et réclamer une injonction d’éloignement au tribunal. Ça a été un moment très difficile. J’étais fort déprimé. J’ai cru que j’allais abandonner mes études.
Quand je le voyais, je faisais bien attention de l’ignorer. Mais ça n’arrangeait rien ! À chaque fois, il se passait quelque chose en moi. Et cette fois-là, ce fut très fort ; Je n’ai pas trop compris, sur le moment. J’ai cru que j’allais faire une crise d’angoisse alors que je n’en avais pas eu depuis plusieurs jours. Mais c’était… différent. C’était comme… Comme si…
Il cherchait ses mots. Éric était un hypersensible. Cela signifiait qu’il percevait tout plus fort, plus entièrement, que la plupart des gens. Par conséquent, les mots courants ne suffisaient souvent pas à exprimer convenablement ce qu’il ressentait. Il eut recours aux métaphores.
Je sais que l’argent a un effet de rapport de pouvoir, continua Éric. J’ai vu mon père l’utiliser souvent à son avantage, même avec ma belle-mère qui était complètement dépendante de lui. Je ne veux pas jouer à ça mais je veux t’aider, Jay. Je me rends bien compte que tes études ont une grande valeur à tes yeux. Je comprends et je respecte ça. Tu as fait preuve de beaucoup de courage et tu as tenu le coup jusqu’ici, mais trimer n’est pas une obligation ni une fatalité. Je voudrais te faciliter la vie. Je te verserai une somme, une seule, et on en parlera plus, pour finir tes études sereinement.
Je me sens vivant dans le rôle, à travers le personnage et, oui, j’adore devenir quelqu’un d’autre et exprimer toutes ses émotions. C’est facile, pour moi, évident, logique, et en même temps ça demande de l’intuition, de la compréhension, et parfois du travail pour adopter une démarche particulière, une voix. Quand je participe à un show, j’endosse aussi un personnage, je joue le rôle du charmeur sûr de lui, de la célébrité, et c’est vrai que c’est parfois grisant, souvent amusant. Mais me sentir vivant en tant que moi-même, non, ça ne m’est jamais arrivé.
En dix-neuf ans, je ne me suis jamais senti vivant. Je n’ai jamais fait que résister silencieusement, patiemment, rigoureusement. Je suis fatigué. J’ai l’impression de n’être qu’une coquille vide. C’est pour ça que j’ai essayé de me tuer : parce que le vide, ça attire la mort comme un aimant. On a envie de rejoindre le néant, de s’y fondre, de ne faire plus qu’un avec lui. D’y disparaître. Parce que c’est mieux, en tout cas, de ne plus exister que de subsister comme un siège vacant. Oui, c’est mieux.