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Critiques filtrées sur 5 étoiles  
L'oeuvre De Balzac fourmille de personnages sinistres. Dans son roman pas très connu La Rabouilleuse, publié pour la première fois en 1842, le lecteur est confronté à une noirceur absolue. On pourrait même dire que ce roman De Balzac est un roman noir par excellence.

On y trouve tous les ingrédients d'un best-seller de l'époque : vol, conspiration, rivalité, meurtre et vengeance. Tout cela n'est pas très beau, et avec les années qui passent, Balzac donne une image de plus en plus sombre de l'humanité, comme il l'a fait dans son dernier grand roman La Cousine Bette.

L'espace ici est trop limité pour rentrer dans les détails de ce roman riche en intrigues, je voulais juste m'attarder un peu à l'ex colonel Philippe Bridau de l'armée napoléonienne qui joue un rôle clé dans cette oeuvre. C'est encore et toujours l'ombre de Napoléon qui plane sur le monde balzacien.

On voit Philippe Bridau sur la jolie couverture de l'édition du Livre de Poche de 1965, caché dans l'ombre derrière Flore Brazier (la rabouilleuse), au regard menaçant et hostile.

Soldat vaillant et partisan inconditionnel de l'empereur, quand l'épopée finit à Waterloo, le monde n'a plus de sens pour Philippe.
Du désenchantement au désoeuvrement, la Restauration et le règne de Louis-Philippe où règnent la cupidité et la mollesse bourgeoise, Philippe Bridau refuse de rentrer dans les rangs, et se transforme en brigand et agitateur acharné. Cynique et impitoyable, tout ce qu'il touche, il finit par le détruire pour arriver à ses fins, jusqu'à sa propre mère.

Bridau est l'exemple typique de ces hommes qui pouvaient uniquement accomplir leur destinée sous les drapeaux impériaux ; quelque autre condition de vie leur enlevait tout sentiment de vigueur et de noblesse. Ils n'avaient d'autre choix que de se réfugier dans l'ombre d'une société qu'ils condamnaient, puisqu'elle avait condamné leur héros au confinement à Sainte-Hélène.
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Un très bon cru! Dans les meilleurs que j'ai lus De Balzac

D'abord un titre intrigant : que veut donc dire "La Rabouilleuse" ? 

"Rabouiller est un mot berrichon qui peint admirablement ce qu'il veut exprimer : l'action de troubler l'eau d'un ruisseau en la faisant bouillonner à l'aide d'une grosse branche d'arbre dont les rameaux sont disposés en forme de raquette. Les écrevisses effrayées par cette opération, dont le sens leur échappe, remontent précipitamment le cours d'eau, et dans leur trouble se jettent au milieu des engins que le pêcheur a placés à une distance convenable. Flore Brazier tenait à la main son rabouilloir avec la grâce"

La Rabouilleuse est donc une très jeune fille de douze ans, une orpheline que le docteur Rouget va prendre à son service pour cent écus de gages et cent écus à son tuteur. Habillée, instruite, elle "réchauffait la vieillesse" du vieux docteur de 72 ans...A la mort du vieillard, elle passe au service de Jean-Jacques, le fils du docteur dont tout Issoudun murmurait "c'est un imbécile" et va exercer son ascendant sur ce benêt. 

La Rabouilleuse n'est pas le personnage central du roman (gros roman). Elle n'apparait que tardivement dans l'histoire : le roman familial de la famille du Docteur Rouget, père d'un fils Jean-Jacques qu'il a favorisé au détriment d'Agathe délaissée. Cette dernière, mariée à un fonctionnaire d'Empire exemplaire, se retrouve veuve avec deux fils. Philippe, soldat de Napoléon, officier de la Garde, est son préféré

"Pour Philippe, l'univers commençait à sa tête et finissait à ses pieds, le soleil ne brillait que pour lui."




il causera la ruine de sa famille. Tandis que Joseph, l'artiste, se consacre à son art et à sa mère. Dans la misère, Agathe tente de regagner sa part d'héritage que son frère risque de céder à la Rabouilleuse, sa maîtresse.

Chez Balzac, les affaires d'argent sont souvent le moteur de la société.

Agathe et Joseph partent donc à Issoudun pour éviter la captation de son héritage. le moyen de gagner cette affaire est d'opposer la Religion à l'influence de Flore Brazier.




"Votre avoué ne connaît pas la province, dit le vieil Hochon à madame Bridau. Ce que vous venez y faire ne se fait ni en quinze jours ni en quinze mois ; il faudrait ne pas quitter votre frère, et pouvoir lui inspirer des idées religieuses. Vous ne contreminerez les fortifications de Flore et de Maxence que par la sape du prêtre. Voilà mon avis, et il est temps de s'y prendre. — Vous avez, dit madame Hochon à son mari, de singulières idées sur le clergé."

[...]
"Votre fortune sera le résultat d'un combat entre l'Église et la Rabouilleuse."

Encore une fois Philippe va faire capoter ce plan....

C'est un roman touffu (381 pages), très riche où de nombreux thèmes seront abordés : l'éducation par les femmes

"Les femmes sont des enfants méchants, c'est des bêtes inférieures à l'homme, et il faut s'en faire craindre, car la pire condition pour nous est d'être gouvernés par ces brutes-là !"

Sans autorité paternelle, Agathe serait responsable de la dépravation de Philippe.

"Quelque tendre et bonne que soit la Mère, elle ne remplace pas plus cette royauté patriarcale que la Femme ne remplace un roi sur le trône ; et si cette exception arrive, il en résulte un être monstrueux."

Bien sûr, le contexte historique n'est pas négligé par Balzac. On devine comment, pendant la Révolution, le Docteur Rouget va accumuler une collection de tableaux de maîtres, dont il ignore totalement la valeur. On assistera à la gloire puis à la déchéance des soldats de l'Empereur : Philippe et aussi Maxence, ont gagné leur gloire pendant les combats ; démobilisés ils connaissent toutes les dérives. A la Restauration, les bonapartistes deviennent des parias mais nombreux sauront s'adapter et faire fortune...

Vie quotidienne à Paris et à Issoudun, dépeinte avec précision et vivacité. Balzac  nous fait vivre plusieurs décennies : voyage dans le temps.

Un excellent Balzac, vous dis-je!









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Nous sommes ici devant une énigme : comment expliquer que ce roman, un des meilleurs de la Comédie humaine, soit aussi peu connu chez nous et mieux perçu à l'étranger ? Comment expliquer pourquoi ce roman, un des plus âpres, un des plus beaux, un des plus évocateurs sur le pouvoir de l'argent, comprenant certains portraits d'hommes et de femmes parmi les plus réussis, abordant les plus grands thèmes balzaciens (l'argent, la famille, l'amour, la gloire et la déchéance, etc.), comment expliquer que ce roman soit relégué au deuxième voire au troisième rang des grands succès De Balzac ? Il y a là un mystère, que Sherlock Holmes lui-même ne saurait résoudre.
Mais peut-être m'emballé-je, peut-être m'abuse-je, peut-être me trompe-je… Il est vrai que j'ai adoré ce roman (bien plus que d'autres mieux côtés comme « le Lys dans la vallée » par exemple) et vous me direz que tout est subjectif, vous aurez raison et j'opinerai sans restriction. Cela dit, je le maintiens, « La Rabouilleuse » est un grand Balzac.
Une « rabouilleuse » dans le parler de la région d'Issoudun (Berry) qualifie une personne, jeune fille généralement qui se sert d'une branche pour ramener les poissons ou les écrevisses vers les viviers. Flore Brazier est une rabouilleuse. Recueillie toute jeune par le docteur Rouget elle est au centre de toutes les intrigues qui tournent autour de la famille du docteur. A sa mort, celui-ci il laisse un fils, Jean-Jacques, et une fille, Agathe. Jean-Jacques prend Flore pour maîtresse qui de son côté prend Maxence pour amant. (Bon, ça, c'est fait !). de son côté, Agathe s'est mariée à Paris avec Bridau, un brave homme qui lui a donné deux fils : Philippe, un ex-soldat de l'Empire devenu demi-solde, débauché et malveillant (un cousin Pons qui serait passé du côté obscur) et Joseph, un peintre au naturel honnête et bon. Les rumeurs venant d'Issoudun n'étant pas favorables (l'héritage étant tout passé à Jean-Jacques et Agathe se trouvant déshéritée), la famille vient voir ce qui se passe dans l'Indre. C'est un fiasco, Jean-Jacques, Flore et Maxence se liguant contre ces empêcheurs d'hériter en rond. Philippe tente sa chance tout seul avec un peu plus de réussite : il tue Maxence en duel, oblige Jean-Jacques à épouser Flore, puis à la mort (opportune) de celui-ci, il épouse à son tour la rabouilleuse qu'il rejette aussitôt sur le pavé de Paris, où la pauvre tombe dans la prostitution, la pauvreté et la mort. Devenu riche et comte, il néglige sa mère malade, et ne peut éviter la conscription : il doit partir pour l'Algérie où il meurt sur un champ de bataille. du coup, toute sa fortune revient à son frère Joseph.
L'argent est bien sûr le thème majeur : l'argent de la succession, qui passe sous le nez d'Agathe, celui qui permet à l'ex-demi-solde de paraître dans le monde, celui qui lui permet de magouiller avec le baron Nucingen. Inversement, c'est celui qui manque cruellement aux autres personnages. Les relations entre membres de la famille forment aussi un bon sujet de discussion : Agathe ne jure que par Philippe et dédaigne Joseph, l'amour maternel étant semble-t-il encore plus aveugle que l'amour tout court. Au milieu de tout cela, nous avons Flore, magnifique portrait d'une femme qui saisit toutes les occasions pour se sortir de sa condition (ne l'oublions pas, elle sort du ruisseau… au sens propre). Femme belle, désirable et désirée, elle joue de ses charmes et volontaire, arrive à ses fins, jusqu'au moment où elle tombe sur plus fin qu'elle, et surtout plus mauvais : l'infâme Philippe !
Balzac ici est au sommet de son art. Il faut vraiment remettre ce roman en lumière. Il contient en filigrane tous les grands thèmes exposés dans la Comédie humaine, et de plus démontre, si besoin en était, à quel point Balzac était un analyste pointilleux de la société de son temps, mais aussi de la nature humaine.
Et que du seul point de vue de l'écriture, il était une sorte de génie.
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Encore un livre peu connu d'Honoré de Balzac : La Rabouilleuse… Quand le romancier poursuit sa grande histoire de moeurs tout en l'abordant par le biais de l'Histoire.

La Rabouilleuse est un roman foisonnant car il dénonce une société fondée sur le seul pouvoir de l'argent, un monde où la puissance n'est plus aux militaires mais aux financiers, tout en réunissant toutes les thématiques chères à Balzac : la famille, l'amour intéressé et désintéressé, l'ambition dévastatrice, l'égoïsme bourgeois… L'auteur l'écrit alors qu'il prépare la publication de l'ensemble de son oeuvre sous le titre La Comédie humaine. La coïncidence n'est pas anodine.
Ce livre est la réunion de deux récits, Les deux frères, publié dans la presse en mars 1841 et Un ménage de garçons en province, datant d'octobre-novembre 1842, et démontre l'architecture mouvante de la Comédie humaine.
Malgré une double localisation en opposition, Paris et Issoudun, La Rabouilleuse a finalement été placé des les Scènes de la vie de Province.
Le titre vient du surnom donné à l'une des protagonistes, une fillette innocente qui « rabouille », c'est-à-dire qui trouble l'eau d'un ruisseau avec une branche d'arbre pour effrayer les écrevisses et faciliter leur prise… Cette figure métaphorique sera filée dans tout le récit, comme un brouillage par ondes successives, de plus en plus larges.

Une partie de l'intrigue renvoie d'abord à une histoire de séduction et de manipulation…
Balzac nous raconte les malheurs d'un vieux garçon pas très malin, Jean-Jacques Rouget, amoureux de Flore Brazier, une jolie paysanne sans scrupules, surnommée « la Rabouilleuse ». La rumeur raconte qu'il a succédé à son père dans le lit et à la table de la servante de la maison et qu'il va aussi la coucher sur son testament…
Dans ce roman, il n'y a pas d'amour heureux ; ceux qui aiment sincèrement s'attachent aux mauvaises personnes.

C'est une histoire de famille complexe… Lors de ma première lecture, en 2013, j'avais dessiné un arbre généalogique pour m'y retrouver dans la quinzaine de personnages, entre la descendance des Descoings et celle des Hochon, sachant que les principaux protagonistes sont issus des deuxièmes et troisièmes générations.
Agathe Rouget, épouse Bridau, est une fille mal aimée, puis une veuve désargentée, mère courage de deux frères éternellement rivaux, qu'elle élève avec l'aide de sa tante Mme Descoings.
Philippe Bridau embrasse la carrière militaire ; chef d'escadron et officier de la Légion d'honneur, il refuse de se rallier aux Bourbons, devient un « bonapartiste de café », détourne des fonds en volant dans la caisse d'un journal libéral ou il a un petit emploi, joue, vole son frère et Mme Descoings, ruine sa pauvre mère. Joseph, quant à lui, est un bon fils et un artiste méconnu qui ne parvient pas à imposer une peinture trop novatrice pour être appréciée par ses contemporains.
Balzac parle de mariage et de ménage, opposant deux notions de la vie de couple, mettant même en scène un ménage à trois entre Flore Brazier, Jean-Jacques Rouget et Max Gillet. Flore Brazier est celle que l'on remarque, que l'on désire, mais que l'on n'épouse pas. Tout au long du roman, elle conserve un statut inférieur et n'entre jamais vraiment dans le marché matrimonial : tour à tour servante-maitresse de Jean-Jacques, maitresse de Max, tante de Joseph, épouse de Jean-Jacques puis de Philippe, qui en fait une éphémère comtesse de Brambourg, elle retourne finalement au ruisseau.

Les liens de paternité et de maternité sont au coeur du roman avec un affaiblissement du rôle des pères et une certaine idée valorisante de la maternité. Autour d'Agathe, la veuve Descoings et Mme Hochon jouent le rôle de mères bis.
La paternité est remise en question, présentée comme douteuse ; ainsi, au début, le docteur Rouget à des soupçons sur la légitimité de sa fille Agathe et, plus tard dans le récit, une dispute éclatera au sujet de la paternité de Gilet, ce qui rendra un peu singulier le futur ménage à trois. En outre, le seul père exemplaire, Bridau père, disparaît vite du récit et le seul personnage de la troisième génération dont la légitimité n'est pas mise en doute, Jean-Jacques Rouget, est infantilisé…
Flore Brazier est une fille sans père…
Balzac explore l'hérédité, les ressemblances… Ainsi Philippe est tout le portrait de son grand-père comme si le mal avait sauté une génération.

Les deux intrigues se rencontrent quand Agathe Bridau, ruinée, après avoir renié son fils indigne, cherche à se rapprocher de son frère Jean-Jacques Rouget, se déplace avec Joseph à Issoudun et apprend ainsi qu'il s'apprêterait à la déshériter au profit de sa maîtresse et de l'amant de coeur de celle-ci, MaxGilet, lui aussi ex-soldat de l'Empereur et champion local de l'Opposition. de son côté, Philippe Bridau entend bien rattraper la succession à son bénéfice exclusif.
En effet, la question de l'argent est cruciale dans ce roman… le docteur Rouget a éloigné sa fille Agathe pour des manigances successorales, Flore Brazier et Max Gillet lorgne vers l'héritage de Jean-Jacques Rouget, Agathe et Joseph veulent faire valoir leurs droits héréditaire et Philippe veut duper tout le monde.
Les anciens bonapartistes vivent chichement, en demi-solde.

Enfin, c'est un roman historique, politique et social où les personnages référentiels et fictionnels ont la même réalité. Balzac, profondément royaliste, donne à son narrateur une posture critique et ironique sur la Révolution, vue comme propice aux délations, à la lâcheté, à l'arbitraire, à l'aveuglement.
Balzac s'interroge aussi, au travers des personnages de Bridau père, de son fils Philippe et de Max Gillet, sur le devenir des bonapartistes pendant l'exil de Napoléon à Sainte-Hélène. Après des ascensions fulgurantes, que deviennent-ils sous la Restauration ? Intransigeants, incapables de s'adapter, Philippe Bridau et Max Gillet sont marginalisés. Ils sont comme des orphelins de père et Napoléon est métaphoriquement représenté comme une figure paternelle de substitution. Balzac insiste sur leurs « moeurs soldatesques ».
Sur le plan historique, on ne reçoit pas La Rabouilleuse aujourd'hui, avec le recul, comme au temps de son écriture par Balzac, en 1842. L'auteur et ses lecteurs n'avaient alors pas beaucoup de possibilité de prise de distance pour interpréter les faits ; en effet, le temps de la fiction est compris entre 1815 et 1835 ou disons, dans une coupe plus large entre 1792 pour l'incipit et 1839 pour l'épilogue…

J'ai relu ce livre et repris d'anciennes notes de lecture et d'études avec un immense plaisir d'autant plus que j'avais délaissé mon projet de lecture de l'ensemble de l'oeuvre balzacienne depuis plus de six mois.
Je recommande ce roman complexe, cruel, tragique…

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Excellentissime roman, qui tient en haleine de bout en bout, peut-être celui où se révèle le plus le talent de conteur du grand Balzac. Turpitudes humaines liées à l'appât du gain y côtoient générosité et désintéressement de la mère et de l'artiste, mais on ne peut s'empêcher d'être fasciné par les méchants de l'histoire, dont l'affrontement annoncé a la saveur d'un "Duel au soleil" ou, mieux, de "la Brute et le Truand" (pardon à Léone pour cette amputation). Un dernier mot : que le lecteur soit patient, la rabouilleuse - personne qui touille le ruisseau pour faire sortir les écrevisses de leur trou - n'apparaît qu'au milieu du bouquin.
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J'aime toujours revenir à Balzac. Il est, comme Zola, une de mes valeurs sûres en matière de . J'ai lu souvent comme Balzac était moqué pour ses descriptions inutiles de précision. C'est assez infondé. du moins, largement exagéré. Bien sûr, ça lui est arrivé, mais le réduire à ces quelques descriptions scrupuleuses est ne point le connaître, le mal juger, ne l'avoir qu'effleuré, n'avoir lu qu'un seul roman (le père Goriot probablement) ou uniquement des extraits. Non, Balzac n'est pas ce compteur de pouces d'une circonférence de cheville. Balzac est un maître, un artiste.

« La Rabouilleuse » raconte l'histoire d'une famille. Et plus particulièrement d'une mère, veuve, et de ses deux fils. L'aîné, Philippe, qui, selon elle, ressemble à son père, et Joseph, le second, qui est artiste et qu'elle aime moins, pour son tempérament calme et ses penchants artistiques.

Philippe, l'aîné suit les traces de son père (lequel s'est tué au travail sous les ordres de Napoléon), en s'engageant dans l'armée de l'empereur. Seulement, quand ce dernier est envoyé à Sainte-Hélène, Philippe refuse de servir le roi et se vautre dans l'alcool et le jeu. Bientôt, il fait des dettes et vole jusqu'à ruiner sa mère.

Celle-ci, dépouillée par son fils et auparavant déshéritée par son père, n'a plus d'autre choix que d'aller trouver son frère aîné, vieux garçon idiot, qu'elle n'a pas revu depuis des décennies, dans une petite ville de province, Issoudun, pour tenter de récupérer une part de l'héritage. Mais ce frère vit avec « la rabouilleuse », une beauté manipulatrice dont il est fou amoureux, et qui, elle, convoite l'héritage au profit de son amant, lui aussi ancien soldat de l'empereur.

Si la Rabouilleuse et son amant arrivent à faire fuir la mère et le fils cadet, ils trouveront plus fort qu'eux en la personne de Philippe, le fils aîné.

Ce roman montre d'abord l'amour aveugle d'une mère pour un fils qu'elle idéalise, parce qu'il ressemble en loin à son père. Philippe boit, vole, ment, joue, et elle lui trouve toujours de naïves excuses, et se contente de ses explications bêtes. Agathe est aveuglée et protège son fils jusqu'à l'absurde, se laissant dépouiller et lui donnant encore de quoi manger. Non par pitié, mais par un amour irraisonné.

C'est aussi l'histoire de deux frères que tout oppose. L'un soldat sans morale, préféré de la mère même lorsqu'il déchoit, de l'autre artiste travailleur et au tempérament doux, bien moins aimé mais qui soutiendra sa mère sans faille. Joseph est décevant quand il est question de sa mère. C'est un mou. Il est le gentil, trop gentil fils dévoué, qui perd de sa personnalité face à la figure maternelle. Ce fils moins aimé cherchera toujours à aider sa mère, à la chérir, à la protéger jusqu'à la mort, sans ne jamais exprimer la moindre révolte, ni ne jamais entreprendre de lui ouvrir les yeux sur son frère.

D'ailleurs, à travers Joseph, c'est également la vocation artistique qui est dépeinte. La volonté, jeune, de travailler durement et contre l'avis de sa mère, à son art pour y exceller. J'ai aimé le discours du professeur, quand Joseph, âgé de treize ans, veut être artiste et se rend à des leçons de peinture en cachette. Sa mère veut faire de lui un employé de l'administration, avec l'espoir qu'il devienne... chef de bureau! Elle va donc se plaindre et exiger que l'on n'accueille plus son fils aux leçons. Et la réponse du professeur est magnifique, emplie de mépris pour les imbéciles qui n'aspirent qu'à réussir dans un milieu qui n'est rien, dans la médiocrité d'une fonction ennuyeuse. Joseph est un personnage intéressant, qui ne vit que pour son art (et pour sa mère, comme par une obligation morale). Son regard sur les gens est moqueur, il dissimule mal un mépris pour ceux qui ne savent pas créer. Il fait l'effet aux autres d'une sorte d'étrangeté, et suscite la crainte et la méfiance à la manière des génies.

Quant à Philippe, l'aîné, immoral, sa conduite ne sera faite que de froids calculs et ne sera guidée que par son égoïsme, allant jusqu'à renier sa famille et laisser mourir sa mère seule et miséreuse. Néanmoins, il triomphe à un moment. Philippe, l'ancien militaire déchu devenu voyou deviendra conte par ruse. Cet homme empli de puissance et libéré de toute morale aura un destin digne des plus grands hommes. J'ai aimé cette phrase de lui, qui le résume parfaitement : « Mon fils souhaitera ma mort, je m'y attends bien, ou il ne sera pas mon fils ».

Si un tiers du roman se déroule à Paris, les personnages se retrouvent pour les deux autres tiers dans un village de province, Issoudin, que Balzac décrit finement: un village engourdi, renfermé sur lui-même, éloigné des préoccupations parisiennes. C'est à la fois pittoresque et très réaliste, ce contraste entre Paris et ce village où rien d'important ne se produit jamais, de sorte que les moindres cancans occupent les gens autant que des faits importants.

Enfin, ce roman est une peinture, en fond, d'une période historique très trouble. Napoléon est exilé, au grand dam de ses anciens soldats, et les Bourbons ont repris le pouvoir. On sait comme Balzac était fervent royaliste, tandis que son narrateur décrit le sort des soldats déchus de l'empereur. Ces soldats deviennent tous alcooliques, paresseux, voleurs, tricheurs, immoraux, et je ne peux m'empêcher de songer à une cruelle subjectivité de sa part, ou à une revanche avec la plume.

Flore, la rabouilleuse, est fine manipulatrice. Elle simule la bouderie, la colère, et redevient douce et caressante dès qu'elle a obtenu. Et Balzac précise qu'elle n'est pas plus épouvantable qu'une autre, qu'elle joue seulement le jeu de toutes les femmes, à tous les rangs sociaux, quand elles ont saisi le pouvoir. La duchesse, comme la bourgeoise, comme la paysanne usent de ce froid dédain caractéristique de la femme en colère, comme elle utilise la moquerie spirituelle et l'amère plaisanterie cassante, ou encore la plainte hypocrite, créant ainsi de fausses querelles, moyens légitimés par leurs fins. Voilà comment il voit la femme, et je ne peux nier. Car sa Rabouilleuse « est » la femme. Capricieuse, capable à la fois des plus grande cajoleries comme de toutes les turpitudes pour sauver sa peau ou s'enrichir, mais aussi l'amoureuse, qui a besoin d'un maître à admirer et à servir, et enfin la domptée, qui trouve plus fort qu'elle au jeu des manipulations et se soumet presque naturellement.

Le roman est dense, avec beaucoup de personnages et plusieurs intrigues en parallèle autour de cette affaire principale d'héritage familial.

On retrouve l'humour raffiné De Balzac. Des mots d'esprit excellents et subtils, très drôles, et un talent de psychologue et d'observateur de son contemporain. Je reconnais cependant que Balzac peut être impatientant quand il installe son contexte. Il prend du temps à situer historiquement l'intrigue, à raconter la saga familiale antérieure aux événements. La rabouilleuse elle-même fait son apparition seulement après un tiers du roman. N'importe, c'est par soucis de clarté et de précision, et c'est si bien écrit que ces longueurs se dégustent.

Je retiens également le récit d'un duel au sabre entre les deux anciens soldats qui se disputent l'héritage, extrêmement bien écrit, avec la minutie et le soin nécessaires à ces récits bien particuliers que sont les duels.

Un bémol, cependant, quant à la fin. Même si le dénouement compte beaucoup de morts, il ressemble à une sorte de « Happy end » en faveur du frère cadet, l'artiste sage et maudit, comme si la morale et l'innocence devaient triompher. D'ailleurs, les femmes, sur leur lit de mort, se repentissent de leurs fautes morales, craignant le jugement divin. Balzac laisse ainsi planer le doute quant à une justice divine, punissant la mère peu aimante, la femme perfide et l'homme immoral. C'est dommage.

Néanmoins, cela reste un bon roman. Chaque personnage a une profondeur et est sondé et décrit par un fin psychologue. L'intrigue est alimentée de luttes et d'affrontements vils et déloyaux entre des individus calculateurs et aux tempéraments égoïstes et intéressés.
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Me voici de nouveau confrontée à La Rabouilleuse, roman lu il y a longtemps et aujourd'hui redécouvert...Quel texte ! Et quel auteur dont je viens de relire la vie !
Le docteur Rouget a épousé une femme dont il a deux enfants. Par une de perversions dont Balzac a le secret, il veut favoriser son fils et discréditer sa fille. Cette dernière, nommée Agathe, épouse un officier, fier défenseur de l'empereur. Elle en a deux fils : Philippe et Joseph. Cette femme pourtant droite et bonne se prend de passion pour son fils aîné qui n'a qu'une ressemblance physique avec son père puisqu'il est aussi froid et calculateur que son géniteur était généreux. Il la fait beaucoup souffrir. Quand elle se retrouve veuve cependant, il vient à l'esprit de ses deux fils que leur mère a, en province, un frère célibataire fortuné. Attendu qu'il est entouré d'une servante-maîtresse Flore Brasier et de l'amant de celle-ci, Maxime Gilet, Jean-Jacques Rouget risque bien de spolier sa famille au détriment d'étrangers. C'en est trop pour les fils Bridau qui, pour des mobiles différents, se rendent à Issoudun afin de récupérer la fortune de leur oncle. Elle leur revient de droit puisqu'ils sont liés par des liens familiaux...
Circulation de l'argent, moteur de réussite et de reconnaissance sociale, jeux sur les sentiments amoureux, familiaux et filiaux, enjeux de pouvoir et manipulation, chute des idéaux napoléoniens et retour aux Bourbon ...On ne s'ennuie pas avec Balzac qui, au passage nous montre l'évolution d'une société sur un demi-siècle. le monde n'appartient plus aux militaires mais aux financiers...
Je retiendrai les diverses descriptions de Flore, petite fille pauvre d'abord puis magnifique servante-maîtresse et pour finir malade effarée détruite par Philippe Bridau. Bridau : celui qui sait faire mourir mais est couvert d'honneurs...
Réalisme, morale, métaphysique...
Vive Balzac, donc...


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« Quelle fosse pleine d'infamies ! » s'exclame, à un moment donné de l'histoire, Joseph, peintre talentueux et fils vertueux – dont sa mère découvrira finalement les mérites, telle une illumination –, opposé au cynique et sans scrupule personnage de Philippe, son frère aîné. Leur mère, la pauvre Agathe, se leurre en effet et s'illusionne de l'aura de son fils Philippe, ancien dragon de la Garde impériale. Une phrase résume la situation : « Joseph adorait sa mère, tandis que Philippe se laissait adorer par elle. »
La Rabouilleuse – qui fait partie des Scènes de la vie de province et doit son nom à une petite paysanne qui, avantagée par un physique superbe, saura creuser son trou mais, trop sûre d'elle, ne se méfiera pas assez de Philippe – oscille entre Paris et Issoudun, c'est-à-dire entre la capitale bouillonnante et la province engoncée dans ses manies, étouffante et périlleuse à qui n'en connaît pas les codes mesquins.
Cette exceptionnelle étude de moeurs, comme seul Balzac sait en concevoir, nous plonge donc dans les affres de l'envie, l'un des sept péchés capitaux. Envie qui rime évidemment avec argent, ce graal maudit que Philippe traque comme un fauve affamé, quitte à provoquer des drames dont il se moque éperdument. Mais Philippe n'est pas qu'un personnage abject : il fait aussi figure d'instrument vengeur du destin à l'encontre de créatures peu recommandables. En cela il est bel et bien un personnage balzacien des pieds à la tête, fait d'une extrême complexité ; laquelle complexité ne trouve, hélas, aucune échappatoire en ce qui le concerne : il révulse. Et contrairement à un Vautrin, auquel on finit par s'attacher, Philippe n'a rien qui le sauve… Mais, comme pour lui interdire de poursuivre plus avant ses méfaits, le destin se chargera de lui d'une manière particulièrement terrible et dégradante.
« le seul service que puisse me rendre la bonne femme est de crever le plus tôt possible », lâche ce fils ingrat à propos de sa mère mourante qui, par son dénuement – dont il est grandement responsable –, dérange ses plans dans le grand monde. Certains critiques ont avancé, non sans arguments, que Philippe était ainsi parce que la désillusion – celle de la chute de l'Empire – et les coups du sort l'avaient façonné dans ce sens. Je leur répondrai que le Colonel Chabert est là pour contredire cette opinion…
Là où Balzac a tendance à s'épancher dans des généralités – que j'apprécie pour ma part –, ici il est d'une concision extraordinaire, laissant aller le fil du récit pour tisser cette toile dramatique qu'est La Rabouilleuse, un chef-d'oeuvre littéraire au passage.
Après la lecture d'un tel roman, parmi les plus réussis De Balzac – c'est dire le niveau ! –, voici ce que Victor Hugo en disait : « Que pourrais-je ajouter à une pensée comme la vôtre ? À ce propos je vous dirai que votre famille Bridau est un tableau de maître, vous le saviez bien, mais je suis heureux de vous le dire. »
Un tableau de maître, en effet, où le vice et la vertu se livrent un combat à armes inégales, où la petitesse des calculateurs, si elle donne l'illusion de la victoire, s'effondre au regard des quelques grandeurs morales qui émaillent le récit. Enfin, il y a la question de la rédemption, qui prend ici plusieurs formes, mais toutes édifiantes…
Un roman incontournable, pour les happy few qui aiment lire… !

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Voilà un Balzac facile et rapide à lire que je conseille fortement. Balzac n'a pas écrit que des romans longs et d'une lecture que certains pourraient trouver fastidieuse comme Les illusions perdues ou la Peau de Chagrin.

Non, hormis quelques pages descriptives d'Issoudun dont on se passerait volontiers, la Rabouilleuse est un roman passionnant abordant plusieurs thèmes : la maternité, la fraternité, l'avarice, la fortune et la succession...
Balzac a mis beaucoup de lui-même dans le personnage de Joseph Bridau, peintre sans succès, fils aimant, dévoué à sa mère Agathe, qui ne voit ni l'amour qu'il lui porte ni ses qualités mais lui préfère son aîné, Philippe. Pourtant, Philippe est un fils ingrat, voleur et débauché qui entraîne sa famille dans le déshonneur et la ruine. Seul espoir des Bridau pour s'en sortir, demander au riche frère d'Agathe une partie de la fortune qui leur est due. Mais la tâche s'avère compliquée car le frère d'Agathe est sous l'emprise d'une jeune paysanne, cette fameuse rabouilleuse qui s'est laissée désirer depuis le début du roman et qui n'apparaît que dans la 2ème partie du roman (il en compte trois). Oui, j'avoue l'avoir attendue longtemps...

Je ne vais pas dévoiler la suite de l'intrigue mais comme dans tout roman destiné à être publié en feuilleton, il y aura encore pas mal de rebondissements et de suspense jusqu'à la fin qui font que l'on ne s'ennuie pas une seconde.

Un très grand cru balzacien à consommer sans modération !
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"La Rabouilleuse" est un roman d'Honoré de Balzac, divisé en trois parties.
La première est plutôt moyenne ; la deuxième est relativement réussie ; et dans la troisième, j'ai retrouvé le Balzac magique des "Illusions perdues" et du "Père Goriot".
La première partie n'est pas ce que j'ai vu de pire en littérature, certes ; mais elle est baroque, confuse, désuète. Les personnages y sont mis en scène de façon caricaturale… Bof !...
La deuxième partie est plus réussie. On commence à retrouver un petit peu le grand littérateur qu'est Balzac, ce merveilleux sociologue qui décrypte toute la société du XIXème siècle, ce merveilleux psychologie qui mit sa connaissance profonde du coeur humain dans ( presque ) tous ces personnages, ce merveilleux littérateur, tantôt tragique, tantôt comique, qui sait soulever mon coeur de tant d'émotions. Cette deuxième partie n'est pas parfaite, mais, néanmoins, on sent que c'est Balzac qui l'a faite.
La troisième partie est du Balzac pur et simple : parfaitement construit, dramatique, avec la plume incisive de l'écrivain, de cet auteur merveilleux, de cet Ecrivain avec un E majuscule que fut l'immense Balzac.
Bref, voilà un ouvrage avec des défauts certes. Toutefois, personnellement, je pense que les défauts sont largement compensés par les qualités.
Ce n'est pas un ouvrage indispensable à l'homme qui veut découvrir la Comédie Humaine, mais il s'agit d'un bon livre, néanmoins.
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